Lorsqu’en sortant du bureau au soir des vacances de Pâques, quelques jours avant le premier tour des élections présidentielles tandis que les marmots et leurs parents ont fui la ville pour de riantes villégiatures et que les staffs de campagne sont aux champs, l’âme du Parisien s’envole, métamorphosée. Dans ce calme blanc d’une Seine d’huile qui précède la tempête et les déchaînements médiatiques, au rythme balançant des touristes dodus portant leurs appareils numériques comme nos grasses charolaises leurs cloches caverneuses, un sentiment de nature s’installe dans la ville.
Plus de sirènes, point d’ambulance ni pompiers en hâte, plus de camionnettes aux oreilles satellites. Une Velsatis ou deux passent en verres fumés et marquent respectueusement le feu orange. Les ministres, entre deux vestes, ont consigné leur moto Rémora à fond de cale. Paris est en vacances. La mêlée vrombissante s’est transportée ailleurs, dans une province lointaine où les places sont à prendre, les cartes à redistribuer, les marges à convaincre. Les allées de tilleuls s’élargissent en forêts, les marronniers poudrent l’air blond de leurs pollens chevelus, les bancs cachés deviennent dolmens de chiffonniers, les caniveaux chantent comme des torrents mousseux. Au flanc des quais, la rivière repose son bras de mer, les bus accostent les trottoirs comme des barques en guinguette, l’odeur des lilas échappée du jardin public infuse le souffle des ventilateurs, le chant du canari tinte dans les loges, les halls sont brossés à grande eau et force citron. Sur un croissant de Seine, une étoile s’allume au-dessus du mirage des ponts et des caravanes de vélos. La ville sent le terreau des bacs fraîchement sarclés, la lessive, l’enfance, la nuit, et la divinité jasmine de l’été qui avance.Dans cet espoir dolent, parmi les taxis libres, les terrasses offertes et les sourires échangés pour rien, le Parisien s’apaise, le cœur gonflé d’amour urbi et orbi.