Un système dit de cogestion est actuellement expérimenté dans le Nitassinan du Labrador, terre ancestrale du peuple innu. En vertu d’une entente avec le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador, la nation innue a maintenant son mot à dire dans la façon dont sera exploitée une partie de la vaste forêt du Nitassinan. «On est un gouvernement réel, explique Valérie Courtois, planificatrice forestière pour la nation innue du Labrador. L’exploitation passera par nous ou ne se fera pas du tout».
Mais la particularité de la «forêt modèle» des Innus du Nitassinan ne s’arrête pas là. Plutôt que de recourir à une exploitation classique de ses ressources forestières, la nation innue préconise une méthode appelée écosystémique. Selon cette approche, l’arbre n’est qu’un élément parmi d’autres de l’écosystème forestier, au même titre que l’eau et la faune et même le carbone. Ainsi, dans la forêt modèle du Nitassinan, les contours forestiers des cours d’eau sont protégés puisque ce sont ces zones qui absorbent le plus de carbone.
Mais quel rôle vient donc jouer le carbone dans tout ça? «C’est une opportunité de créer une économie de conservation, explique l’ingénieure innue. On est en train de se préparer au marché des échanges financiers du carbone, prévu par le protocole de Kyoto». Dans le futur marché mondial du carbone, les Innus du Labrador espèrent que la vente de crédits de carbone emmagasiné dans des zones protégées rapportera plus que les profits engendrés par la coupe d’arbres. Comme quoi leur mode de vie traditionnel ne les empêche pas de tirer profit des mécanismes internationaux de lutte contre les changements climatiques!
Le modèle du Nitassinan est ce qui se rapproche le plus de la vision autochtone de relation entre l’homme et la terre, estime Stephen Wyatt, professeur de foresterie à l’Université de Moncton. L’approche écosystémique préconisée par les Innus du Labrador parvient à gérer l’activité humaine sans bouleverser la nature. Or, elle n’est applicable que parce que les ressources forestières de la région ne «sont pas encore engagées», explique le professeur. Impossible donc de le reproduire partout. Au Québec par exemple, presque toute la forêt publique est déjà attribuée à des industriels forestiers détenteurs de contrats d’approvisionnement et de d’aménagement forestier (CAAF).
Martin Pelletier est l’instigateur de la forêt modèle ndoho istchee, littéralement «territoire de chasse», un projet de planification forestière expérimenté chez les Cris du Québec. L’idée derrière ce modèle est simple: impliquer les autochtones au tout début du processus de planification forestière afin que l’aménagement final respecte leur utilisation du territoire. «Traditionnellement, les compagnies forestières arrivaient avec leur plan déjà tout monté et les Cris se mettaient automatiquement en mode défensif. Chacun cachait son jeu, comme s’il jouait à Battleship», explique l’ingénieur forestier, qui cherche à concilier la science occidentale et les savoirs traditionnels cris.
La petite équipe de chercheurs de M. Pelletier a passé plusieurs mois en compagnie de trois familles cries. Une fois la confiance établie, ils ont conjointement élaboré des cartes très détaillées sur lesquelles étaient inscrits plusieurs sites d’intérêts pour les Cris, comme les frayères et les passages de caribous. Les cartes ont ensuite été remises aux compagnies forestières, qui ont alors pu planifier leurs coupes en profitant des informations utiles qu’elles contenaient mais aussi et surtout, en respectant les besoins des familles autochtones habitant le territoire.
«Ce dont on est fier, c’est que les Cris se sont ensuite approprié cet outil et l’ont répliqué pour l’ensemble des zones de trappes, exprime M. Pelletier. On ose croire qu’on a eu une influence dans la vraie vie». Mais l’ingénieur ne souhaite pas s’en tenir à cette victoire et a déjà fait parvenir les résultats du projet ndoho ischtee à quelque 150 communautés autochtones. «On ose penser que notre approche peut être reproduite à travers le Canada».