Ils sont pathétiques, ils sont incompétents, ils sont harcelés par le destin – bref, ils sont irrésistibles. Eternels abonnés à l’infortune, les onzes imperfectionnistes de ce roman choral se croisent tous les jours sans presque rien savoir les uns des autres, dans la salle de rédaction d'un anonyme quotidien international basé à Rome.
Exubérant de vitalité et saisissant de vérité humaine, ce premier roman magistralement orchestré, en narrant les mésaventures de ces quelques " chiens écrasés " de l'existence, compose aussi une fresque d'un demi-siècle sur les coulisses d'un univers rarement exploré par la fiction, celui de la presse.
- Editions Grasset -
Le titre et la quatrième disent tout, avec emphase et enthousiasme certes, de l'esprit et de l'atmosphère de ce roman aussi irrésistible que ses personnages.
Double récit sous forme de chroniques, Les imperfectionnistes raconte l'historique d'un journal depuis sa création dans les années 50 à sa disparition au début des années 2000. Un demi siècle qui verra ce journal tenter de suivre l'évolution des techniques et moyens de communication. Cependant, il ne s'agit pas d'un roman sur la presse malgré les descriptions des vicissitudes de succession au sein du puissant groupe financier propriétaire qui s'intéresse peu à cette publication jamais suffisamment rentable. Ce récit s'intercalle chronologiquement aux chroniques. Peu de scènes au sein de la rédaction ou de références à des événements d'actualité, presque des anecdotes, les locaux du journal étant plutôt le lieu qui définit les personnages selon leurs différentes fonctions liées à la presse : l'industriel fondateur, correcteur, rédactrice en chef, directeur de la publication, journaliste responsable de rubrique, pigistes, correspondants, DRH...et une lectrice.
Chacun des chapitres s'intéresse à l'un de ses électrons libres qui, s'il est présenté par sa profession, est raconté par sa vie privée. Les époques se mêlent, un personnage principal devient personnage secondaire au chapitre suivant. C'est une tragi-comédie humaine dans laquelle se dévoile les personnalités, l'intimité autant que l'investissement professionnel. Pages après pages, les portraits et le jeu des relations, des interactions entre les sphères, s'affinent.
Le ton est enlevé, la prose férocement juste et cyniquement drôle, des formules percutantes, des dialogues savoureux, tout un panel de situations comiques et pathétiques, une palette d'émotions, une lecture à la fois amère et réjouissante, la vie quoi. Certaines chroniques, selon expériences et sensibilité personnelles même si l'on ne pratique pas le milieu de la presse, comme de véritables pépites que l'on aurait envie de relire à voix haute à une copine pour partager le sourire complice.
Florilège sans l'insoutenable légèreté :
_ " ...rien, dans toute l'histoire de la civilisation, n'a été aussi fertile que l'ambition la plus basse. Peu importe les vices, rien n'a jamais créé autant qu'elle. Cathédrales, sonates et encyclopédies - ce n'est pas la passion divine qui leur a fait voir le jour, ni la passion de la vie, mais la passion de l'homme cherchant à se faire vénérer par l'homme. "
_ " Vous connaissez ce dicton idiot : On naît seul et on meurt seul - rien de plus faux. Nous sommes cernés de monde au moment de naître et cernés de monde au moment de mourir. C'est entre les deux que nous sommes seuls. "
_ " Mais je peux vous assurer d'une chose en tout cas, c'est que, oui, la presse survivra et que les articles de qualité primeront toujours. Appelez ça comme vous voulez - info, texte, contenu - , le fait est qu'il faut quelqu'un pour le dévoiler, quelqu'un pour l'écrire, et quelqu'un pour le publier. "
_ " ... le but de toute relation est d'obtenir quelque chose de l'autre.
- Je refuse de voir les choses ainsi.
- Alors pourquoi embrasses-tu quelqu'un ? demande-t-elle. Pour donner du plaisir ou pour en prendre ? "
Ricanements et rictus en direct de la rédaction :
[ Jeune envoyé spécial en Egypte ] - " Allongé sous le ventilateur, il se demande par où commencer. Chaque jour au Caire, des événements se produisent. Mais où ? A quelle heure ? Il allume son ordinateur, va sur Internet, jette un oeil aux titres de la presse locale, mais il n'est pas plus avancé. Ces conférences de presse - comment y accède-t-on ? Et où faut-il aller pour recueillir des déclarations officielles ? Il part faire un tour dans un quartier, avec le vague espoir qu'une bombe explose - pas trop près, bien-sûr, mais suffisamment pour lui permettre de prendre des notes. Il ferait la une, à coup sûr, il aurait son premier papier. "
[ Secrétaire de rédaction ] - " Les blaireaux lui ont piqué son fauteuil. Une fois de plus. Le fauteuil qu'elle a mis six mois à obtenir. Incroyable. Ces gens sont tout bonnement incroyables. Elle fouille partout dans la salle de rédaction; les imprécations se bousculent dans sa tête et se fraient parfois un chemin jusqu'à ses lèvres. Connards, murmure-t-elle. Elle devrait claquer la porte. Présenter sa démission. Ne plus jamais mettre les pieds dans cet endroit. Laisser ces crétins dans leur mouise. [...] Non mais regardez-moi cet aréopage de débiles en train de baver devant des radasses sur YouTube - et dire que ces types la prennent, elle, pour une espèce de gnome ménopausée. Elle est pourtant comme eux : âge mûr, esprit tordu, dévorée d'ennui. "
- Le billet d'Amanda grâce à qui je me suis jetée au bon moment sur et dans ce roman - ). Et puis, j'adore le titre. A en faire une profession de foi.
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