Le débat sur la laïcité et l’islam, voulu par l’Union pour un Mouvement (de moins en moins) Populaire, pose la question ; et plus encore le débat autour du débat, et de son bien-fondé.
Il est courant d’associer en France la république avec la laïcité, comme si la seconde, inscrite dans une série de principes démocratiques, était le corollaire de la première. Tel évènement, relevant parfois du fait divers, suffit effectivement à dénoncer quelque chose de contraire aux « valeurs républicaines », ou à lancer une initiative en vue de leur promotion. Suggérer que l’islam représenterait une menace pour elles, ou pour l’« identité nationale », déboucherait en revanche sur la négation même de telles valeurs, en leur substituant certaines crispations. D’où le caractère paradoxal d’un débat qui pourrait aboutir au détournement de termes demandant à être éclaircis.
Dans un pays qui, dès 1792, a fait le choix de la république, on tend à confondre cette dernière avec la démocratie, et à rejeter tout ce qui n’est pas elle comme « contraire aux valeurs républicaines » ou comme « anti-démocratique », de manière indifférenciée. Mais la démocratie ne nécessite pas la république. Il convient de dissocier les deux régimes, de la même façon que nous ne saurions entretenir l’amalgame entre la monarchie et l’absolutisme. La souveraineté du peuple, la séparation des pouvoirs, ainsi que les droits de l’homme et du citoyen, sont déjà affirmés avec la monarchie constitutionnelle, après la prise de la Bastille. Ce n’est donc nullement la proclamation de la Première République qui les apporte en France et, au début du XXIe siècle, de nombreux Etats démocratiques ne sont point républicains. Aussi faut-il préalablement dissocier les termes de « république » et de « démocratie ».
La république signifie seulement qu’un être collectif se gouverne lui-même, et le fait qu’il ne soit pas monarchique ne préjuge en rien de son caractère démocratique, et encore moins de son caractère laïc. La plupart des Etats souverains issus de la décolonisation sont ainsi des républiques, sans pour autant être démocratiques ; quant à l’Iran, c’est une république islamique. Une contradiction dans les termes ? D’aucune façon : il s’agit d’un pays indépendant, qui avec la révolution de 1979 s’est affranchi d’influences étrangères prégnantes à l’époque du shah, et qui entretient à la fois du lien social et un bien commun, même si leur socle est l’islam.
La laïcité, en réalité, n’est pas spécifiquement républicaine, et doit davantage à une tradition démocratique renvoyant à l’humanisme, aux Lumières et au libéralisme émancipateur. En effet, elle ne consiste pas seulement dans la séparation de l’Eglise et de l’Etat, mais entend plus largement émanciper l’individu en le mettant à l’abri des groupes de pressions. Elle suppose à cet égard, conformément à l’étymologie, un espace neutre, qui n’exclut personne. Il s’agit d’assurer la dignité et la liberté de chacun, ou pour le dire autrement la possibilité de s’accomplir sans entraves.
Une fois dissociées la république et la laïcité, on comprend mieux comment certaines républiques, au cours de l’Histoire, ont pu contredire un tel idéal de progrès. Alors que l’apartheid, qui consacre une négation des droits individuels fondamentaux d’une partie de la population, est inauguré dès 1911, et institué depuis 1948, l’Afrique du Sud se constitue par exemple en république en 1961… précisément pour sortir du Commonwealth qui stigmatise le recours à une telle politique. En d’autres termes, l’instauration de la république consiste alors non seulement dans une émancipation nationale, mais encore dans la volonté, une fois émancipé, de pouvoir poursuivre librement une politique discriminatoire, raciste et antidémocratique (abolie en 1991).
De ce point de vue, il est quelque peu réducteur de prétendre combattre le Front National en lui opposant un « front républicain », ou d’assimiler la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002 à la présence d’un candidat dit « antirépublicain ». Il serait plus exact de l’opposer à une tradition républicaine spécifiquement libérale, individualiste et démocratique. Mais, au sens traditionnel du terme, l’ex-leader de l’extrême-droite pouvait lui aussi se réclamer de la république, sa conception nationaliste visant notamment à s’affranchir de l’Europe en tant qu’instance supranationale. Le 21 avril ne consistait peut-être au bout du compte pas tant dans un simple antagonisme entre « républicains » et « antirépublicains », que dans un clivage entre « république individualiste » et « république nationaliste » (avec la mise en avant d’une nation ethniquement fermée). D’où d’éventuelles passerelles, d’ailleurs, entre les « souverainistes » et l’extrême-droite, qui peuvent tous se rejoindre sur le refus du transfert de la souveraineté nationale vers les institutions européennes.
Aujourd’hui, le Front National reste en revanche un mouvement qui, par sa politique du bouc émissaire, contredit cet idéal démocratique et laïc d’une Nation qui n’exclut personne. Et la prétendue défense de la laïcité par Marine Le Pen, dans une telle optique, relève d’une imposture visant à dissimuler l’adhésion à une sorte de thèse du « choc des civilisations », qui amalgame d’une part laïcité, occident et racines chrétiennes, et d’autre part islam, cultures non occidentales et atteintes à la laïcité. Le débat initié par l’UMP, lui, procède d’un glissement sémantique similaire, et relève d’une même imposture. C’est pourquoi, derrière son organisation, perce surtout une droite de plus en plus à droite, dont l’objectif est de courir après les électeurs du FN. Bref, l’idée d’une certaine république, qui relève de moins en moins du triptyque humaniste « liberté, égalité, fraternité ».
Par Daniel Arnaud pour « Génération 69 »
Philosophe et écrivain. Auteur de : « La Corse et l’idée républicaine », L’Harmattan, 2006.
« Dernières nouvelles du front », L’Harmattan, 2008.
Merci à : Section du Parti socialiste de l'île de ré
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