Jean Jaurès nous a enseigné que « Le courage c’est de rechercher la vérité et de la dire, c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques… ». Dans notre dernier édito, nous avions conclu sur la « Suite au prochain numéro ». Et bien, nous n’avons pas été déçus, les analyses du clergé médiatique et des publications des partis de gauche (y compris la gauche radicale) ont de notre point de vue un métro de retard sur l’analyse.Presque partout, on minimise que la majorité des 62,3 % (soit près des deux tiers !) qui s’est abstenue ou mis un bulletin nul ou blanc dans l’urne est parmi les couches populaires (ouvriers et employés qui représentent la majorité du peuple soit 53 %).
Presque partout, on met l’accent sur le fait que dans le second tour, « c’est essentiellement un électorat de droite qui glisse vers le FN » sans faire une analyse de classe de cet électorat. Comme si la gauche (y compris la gauche radicale) pouvait espérer aller vers une transformation sociale et politique sans un soutien massif des couches populaires !
Presque partout, on fait mine de croire que sans poser la question du libre-échange, de l’euro, de la rupture avec le turbocapitalisme et du modèle politique, on peut continuer à être crédible vis-à-vis du peuple. La gauche radicale a mené en 2004-2005 la campagne exemplaire du non de gauche au Traité constitutionnel européen (TCE). Les couches populaires et une portion significative des couches moyennes ont compris le message de cette campagne. Elles savent que le libre-échange est une des causes de la montée des inégalités sociales, de la misère et de la nouvelle pauvreté. Elles savent que l’euro réalisé entre des pays très divergents en termes de système de protection sociale et écologique est une impasse. Ils savent qu’il n’y a plus de sortie de crise dans le cadre du turbocapitalisme. Ils ont compris que la démocratie anglo-saxonne communautariste n’est pas le nirvana espéré. Une écoute et une lecture des propos du clergé médiatique et de la majorité des responsables des partis montrent bien que ces analyses font comme si le peuple n’avait pas compris cela. Le problème est qu’il l’a compris. Et des formules du type « Non à l’Europe actuelle et vive l’Europe sociale » est un voeu pieu tant que l’on ne précise pas le chemin à prendre pour arriver à cette Europe sociale.
Laisser au FN le monopole de l’utilisation des mots et locutions « protectionnisme »,« non à l’euro », « laïcité », et bien d’autres est criminel. D’autant plus que la grande majorité des couches populaires et une partie significative des couches moyennes ont bien compris que le repli nationaliste prôné par le FN et par la droite souverainiste n’est pas la solution. Alors, pourquoi ne pas mener une gigantesque campagne d’éducation populaire tournée vers l’action contre la droite et le FN tout en développant une ligne économique et politique crédible ?
Oui, nous devons appeler à combattre le libre-échange et le protectionnisme de droite et d’extrême droite et promouvoir le néo-protectionnisme écologique et social ! Oui, nous sommes d’accord pour une monnaie unique entre des pays à systèmes de protection sociale et écologique équivalents, mais pas entre des pays à système de protection sociale et écologique divergents.
Dans ce dernier cas, on ne peut que parler de monnaie commune et de solidarité internationaliste.
Oui, nous pensons que la phase actuelle du capitalisme que nous appelons turbocapitalisme ne permet plus la sortie de crise et qu’il faut donc dépasser ce stade économique et politique. Oui, nous pensons qu’il faut promouvoir un autre modèle politique et nous mettons en débat l’actualisation du modèle de la républiquesociale qui a porté les grandes heures de notre histoire ( Révolution française et naissance de la 1ére république le 22 septembre 1792, Révolution de 1848 qui a vu germé le concept de république sociale, les grande avancées de la 3e république avec le soutien massif de Jean Jaurès et de ses amis, le mouvement de 1936, le Conseil nationalde la résistance et son programme révolutionnaire).
Oui, nous pensons que le FN est raciste et xénophobe, mais pour le combattre, la diabolisation est d’un autre âge et qu’il faut le combattre sur les causes de sa poussée et comprendre qu’il change de ligne politique.
C’est pourquoi nous vous proposons la lecture dans ce numéro de deux textes qui vont dans le sens de la clarification. L’un de l’économiste Jacques Sapir, posant une fois de plus le problème de l’euro et que nous empruntons à nos amis de Mémoire des luttes. L’autre de l’économiste Isaac Joshua, qui après l’avoir présenté sur la liste du Conseil scientifique d’ATTAC, nous a autorisé à le publier. Dans ce dernier article, Isaac analyse le changement de ligne du Front national qui est sous-estimé par les « belles âmes » ici et là. En lisant cet article, vous comprendrez pourquoi nous avons mis en chapô de cette chronique la célèbre phrase de Jean Jaurès. Que vous ne soyez pas d’accord avec toutes les propositions de ces deux économistes n’est pas le plus important. Le plus important est qu’ils posent chacun à leur manière, comment appliquer la célèbre phrase de Jean Jaurès.