United-C, Who Too : l’épiphanie du nu

Publié le 07 avril 2011 par Jérôme Delatour

Devinées nues six danseuses croisent des chromosomes de néons suspendus. Bruits d’ambiance urbaine, pas dans des couloirs, sonneries de téléphone. Dans un corridor transludescent, des promesses de corps. Vont-ils crever l’écran ? Les formes se précisent se matérialisent. Le coup du silence... Puis chacune à son tour expose un solo, sobrement annoncé par un titrage vidéo. Ce sont des études autour d’états ou de mouvements de l’âme ou du corps : notes.
1. Finger Snap
De dos
délicatesses de pieds
étude
sans musique
celle qui est nue et celle qui ne l’est pas, comme un double
elle aboie
défi, pirouette
2. Empty Hands
désarticulée plutôt
comme si les mains ne tenaient pas le corps
vides du corps alors
tient à peine debout
forme de …lité
répétitif rythme de transe entêté
puis les 6 à l’unisson
la soliste comme meneuse
elle sourit par moments
3. Am I big ?
Respirations micro
creusement du ventre
prostrée poses
de la danse classique
“Breath with me”
“I like silence”
plus japonais, français
différent des deux premiers : petite histoire sur musique triste
“I am working for diamonds”
“Je suis a horse”
“Je suis rien”
4. Untitled (Spinning)
Flashes extrêmes
très grande, celle qui semble la plus athlétique
contre-jour danse énergique
tournant spirale
dans un sens puis l’autre sans répit
(toutes dévisageant le public,
faisant front)
puis repartant son souffle repris
suspension au propre et au figuré
dans la lumière intense jusqu’à l’épuisement
la vêtue : policée spectatrice
5. Photograph
2 assises dans un fauteuil
cuisses de côté,
ouverture latente
tension soutenue par la musique
la lumière monte
elles nous regardent, un face à face
long face à face
sur fond des bruits urbains du début
plus le temps passe plus on attend quelque chose de fort
bougent imperceptiblement
glissent
s’écoulent comme montres molles
la musique souligne : espace
jusqu’à la chute
la vêtue danse puis se dénude
6. At the End
acoustique percussions
frémissement du tango
tremblement de la main droite
musique de transe qu’elle semble vouloir contrarier
doigts en banderilles
martèlement sur la pointe des pieds
transe à l’unisson
Des solos à l’évidence très personnels, libres, même s’ils se ressemblent au fond, à l’exception du 3 et du 5, au contenu plus narratif, au déroulement linéaire, tandis que les autres sont circulaires ou spiralés. Le 3e tranche fort sur le reste par son histoire de ballerine anorexique qui parle - parenthèse dramatique qui maintient l’attention et le suspens.
Une seule danseuse reste vêtue jusqu’à devenir elle-même soliste “At the End”. Spectatrice, elle joue le rôle de coryphée. Elle unit la pièce et en suggère une lecture transversale, politique. Elle pourrait symboliser tantôt l’individu prisonnier du carcan social, contemplant son âme débordante et déchaînée, tantôt le public. Quand elle se dévêt à son tour, c’est comme un défi, une invitation à la liberté adressée au spectateur.
Epiphanie du nu, dis-je, ou hymne à la joie. Les interprètes sont nues simplement, sans honte ni provoc, sans autre justification que leur jouissance et la nôtre, que l’expérience de la joie et de la beauté charnelles, de la vie. Un exercice de jubilation partagée, entre les danseuses, entre danseuses et public. Et invitation à se joindre au mouvement, dans une société où le nu continue d’être pourchassé, dans l’espace public, comme une bête perverse et malfaisante. Interdit d’être nu en France, même à la plage, même à la piscine (au 19e siècle, supposément puritain, on se baignait encore nu dans la Seine. C’est à peine concevable) ! Toujours interdit le nu s’il n’est peint par Cranach, ou s’il ne sert à vendre des savonnettes ! Les danseuses de Who Too, elles, s’imposent en chair et en os ; leur détermination sereine nous interpelle. Des sortes de Carmen du quotidien.
La forme frappe par sa simplesse, à peine contrariée par quelques perturbations, des passages de l’individuel au collectif. Il s’agit de danse dansée, d’un retour aux fondamentaux. Un de plus qui semble confirmer que le bel épisode de la Tanztheater, aujourd’hui un peu usé, est en passe d’être clos. Jeune compagnie néerlandaise, United-C fait prendre un sérieux coup de vieux aux fleurons, eux aussi fatigués, de la danse flamande. Les uns restent surprogrammés au théâtre de la Ville et celle-ci, qui n’en est pourtant plus à son coup d’essai, est encore inconnue en France. Gageons qu’elle ne le restera pas longtemps, et qu’elle nous surprendra encore.
♥♥♥ Who Too, de la compagnie United-C, a été donné à la Panopée de Vanves le 17 mars 2011 dans le cadre du festival Artdanthé.