Devinées
nues six danseuses croisent des chromosomes de néons suspendus. Bruits d’ambiance urbaine, pas dans des couloirs, sonneries de téléphone. Dans un corridor transludescent, des promesses de corps.
Vont-ils crever l’écran ? Les formes se précisent se matérialisent. Le coup du silence... Puis chacune à son tour expose un solo, sobrement annoncé par un titrage vidéo. Ce sont des études autour
d’états ou de mouvements de l’âme ou du corps : notes.
1. Finger
Snap
De
dos
délicatesses de
pieds
étude
sans
musique
celle
qui est nue et celle qui ne l’est pas, comme un double
elle
aboie
défi,
pirouette
2. Empty
Hands
désarticulée
plutôt
comme si
les mains ne tenaient pas le corps
vides du
corps alors
tient à
peine debout
forme de
…lité
répétitif rythme de
transe entêté
puis les
6 à l’unisson
la
soliste comme meneuse
elle
sourit par moments
3. Am I
big ?
Respirations
micro
creusement du
ventre
prostrée
poses
de la
danse classique
“Breath
with me”
“I like
silence”
plus
japonais, français
différent des deux
premiers : petite histoire sur musique triste
“I am
working for diamonds”
“Je suis
a horse”
“Je suis
rien”
4.
Untitled (Spinning)
Flashes
extrêmes
très
grande, celle qui semble la plus athlétique
contre-jour danse
énergique
tournant
spirale
dans un
sens puis l’autre sans répit
(toutes
dévisageant le public,
faisant
front)
puis
repartant son souffle repris
suspension au propre
et au figuré
dans la
lumière intense jusqu’à l’épuisement
la vêtue
: policée spectatrice
5.
Photograph
2
assises dans un fauteuil
cuisses
de côté,
ouverture
latente
tension
soutenue par la musique
la
lumière monte
elles
nous regardent, un face à face
long
face à
face
sur fond
des bruits urbains du début
plus le
temps passe plus on attend quelque chose de fort
bougent
imperceptiblement
glissent
s’écoulent comme
montres molles
la
musique souligne : espace
jusqu’à
la chute
la vêtue
danse puis se dénude
6. At the
End
acoustique
percussions
frémissement du
tango
tremblement de la
main droite
musique
de transe qu’elle semble vouloir contrarier
doigts
en banderilles
martèlement sur la
pointe des pieds
transe à
l’unisson
Des
solos à l’évidence très personnels, libres, même s’ils se ressemblent au fond, à l’exception du 3 et du 5, au contenu plus narratif, au déroulement linéaire, tandis que les autres sont
circulaires ou spiralés. Le 3e tranche fort sur le reste par son histoire de ballerine anorexique qui parle - parenthèse dramatique qui maintient l’attention et le suspens.
Une
seule danseuse reste vêtue jusqu’à devenir elle-même soliste “At the End”. Spectatrice, elle joue le rôle de coryphée. Elle unit la pièce et en suggère une lecture transversale, politique. Elle
pourrait symboliser tantôt l’individu prisonnier du carcan social, contemplant son âme débordante et déchaînée, tantôt le public. Quand elle se dévêt à son tour, c’est comme un défi, une
invitation à la liberté adressée au spectateur.
Epiphanie du nu,
dis-je, ou hymne à la joie. Les interprètes sont nues simplement, sans honte ni provoc, sans autre justification que leur jouissance et la nôtre, que l’expérience de la joie et de la beauté
charnelles, de la vie. Un exercice de jubilation partagée, entre les danseuses, entre danseuses et public. Et invitation à se joindre au mouvement, dans une société où le nu continue d’être
pourchassé, dans l’espace public, comme une bête perverse et malfaisante. Interdit d’être nu en France, même à la plage, même à la piscine (au 19e siècle, supposément puritain, on se baignait
encore nu dans la
Seine. C’est à peine concevable) ! Toujours interdit le nu s’il n’est peint par Cranach, ou s’il ne sert à vendre des savonnettes ! Les danseuses de Who Too, elles, s’imposent en
chair et en os ; leur détermination sereine nous interpelle. Des sortes de Carmen du quotidien.
La forme
frappe par sa simplesse, à peine contrariée par quelques perturbations, des passages de l’individuel au collectif. Il s’agit de danse dansée, d’un retour aux fondamentaux. Un de plus qui semble
confirmer que le bel épisode de la Tanztheater, aujourd’hui un peu usé, est en passe d’être clos. Jeune compagnie néerlandaise, United-C fait prendre un
sérieux coup de vieux aux fleurons, eux aussi fatigués, de la danse flamande. Les uns restent surprogrammés au théâtre de la Ville et celle-ci,
qui n’en est pourtant plus à son coup d’essai, est encore inconnue en France. Gageons qu’elle ne le restera pas longtemps, et qu’elle nous surprendra
encore.
♥♥♥♥♥♥
Who Too,
de la compagnie United-C, a été donné à la Panopée de Vanves le 17 mars 2011 dans le cadre du festival Artdanthé.