INTERVIEW - Happy Few : Antony Cordier analyse le succès de son film

Publié le 07 avril 2011 par Celine_diane

Il est heureux le quatuor d’Happy Few, il est libre, fougueux, dévergondé. Libéré, libertaire, décomplexé.
Et prône un retour au naturel, à la chair, à l’amour- comme seules issues aux prisons modernes- du conditionnement social à la tiédeur d’un cinéma français. Avec des thématiques pas évidentes et une crudité affirmée, il a séduit le public.
Antony Cordier, après le trio adolescent de Douches Froides, réitère chez son quatuor (Elodie Bouchez, Marina Foïs, Roschdy Zem et Nicolas Duvauchelle) la conjugaison parfaite entre audace et conviction; un combat pacifique, tranquille, beau, contre le politiquement correct.
Pour nous, il revient sur le succès de son film.
Vous revenez du Festival d’Athènes où "Happy Few" a été sélectionné en compétition… Le film a été projeté à New York, Montréal, poursuit une belle carrière en DVD en France, sort sur les écrans aux Pays Bas, en Taïwan, en Suède, en République Tchèque, en Slovaquie, en Espagne, en Turquie …. Comment expliquez-vous un tel engouement des distributeurs et du public pour un film qui- au départ- aborde tout de même un sujet délicat ?
Happy Few correspond à l'idée qu'on se fait d'un film français ou d'un Français en général: préoccupé essentiellement par des questions sentimentales et libertin dans l'âme... C'est peut-être ce qui fait son succès à l'étranger. Ça intrigue. Je crois aussi que l'audace et le "naturel" des acteurs impressionnent. C'est ce qui revient le plus souvent dans les réactions à l'étranger. Et puis on apprécie le fait que le film ne vende pas un univers chic et dépravé, qu'il se concentre sur des sentiments humains assez simples: le désir, l'amitié, la rivalité, les choix que l'on fait dans la vie...
D’ailleurs, pour vous, quel est vraiment le sujet de votre film ? Dire qu’il parle d’échangisme, le réduire à son aspect charnel, serait- à mon sens- erroné …
Je suis d'accord. "Happy Few" traite simplement de l'autre et de soi. Plus précisément: de la peur abolie de l'autre et de soi. Je vais essayer de le dire mieux: sur un terrain délibérément restreint et sans doute détestable pour certains (une aventure sexuelle vécue par des gens de 30/40 ans),
Il traite de la lutte contre les déterminismes. Si vous êtes pessimiste, vous direz que les personnages, en essayant d'échapper à un schéma, retombent dans un autre schéma. Si vous êtes optimiste, vous direz qu'ils parviennent à instaurer un peu de débraillé dans une vie très ordonnée.
"Pour moi, c'est un film sur des gens qui n'ont pas peur. "
Etes-vous d’accord avec l’idée que vos personnages trouvent dans le plaisir amoureux et sexuel un ultime accès à la liberté ?
Je crois qu'ils essaient surtout de vivre une histoire d'amour adulte. Ils essaient de ne pas se mentir (ni aux autres, ni à eux-mêmes) et de ne pas s'accuser les uns les autres. Ils essaient d'assumer ce qu'ils sont. C'est déjà beaucoup. Presque trop.
Selon vous, qu’est-ce qui empêche, dans la société actuelle, les individus d’être libres ?
La culpabilité. Et, particulièrement en ce moment, tous les discours qui prétendent qu'il faut être fidèle à ses racines.
Le film s’approche au plus près de l’intimité des personnages, et demeure pourtant très pudique. Etait-ce une volonté de votre part ?
Je crois que ce sont les acteurs qui ont su apporter beaucoup de délicatesse dans les scènes qui flirtaient avec l'obscénité. L'intelligence d'Elodie Bouchez, par exemple, fait que dans les scènes scabreuses elle ne joue pas la décadence mais la plénitude.
Ceci dit, la pudeur ne fait pas vraiment partie de mes préoccupations. J'avais par contre la volonté de faire un film doux, un film où les personnages auraient suffisamment de noblesse pour s'interdire tout comportement violent. Evidemment, vous pouvez traiter du même sujet et faire un film où les gens se tapent la tête contre les murs mais là, on avait décidé de mettre en scène des personnages qui adoptent une sorte de "caractère japonais": ils acceptent ce qui leur arrive mais ils refusent ce qu'on voudrait leur imposer.
Effectivement, il y a un vrai refus de la «norme» sociale dans le film, des conventions, des comportements imposés (comme l’idée de la fidélité notamment). Pourtant, les personnages s’imposent des règles à suivre … Malgré son désir de s’affranchir des barrières et tabous, pensez-vous qu’il est impossible pour l’homme de vivre sans s’imposer de limites ?
Les personnages du film sont d'abord exaltés, ils se sentent invincibles, et puis petit à petit ils redeviennent ce qu'ils sont: des humains. Ils ne s'imposent pas de limites, mais ils découvrent leurs limites individuelles: "Je supporte que tu couches avec lui mais je ne supporte pas que tu portes son pull." Je pense comme eux: nos corps et nos esprits ont des limites, mais on ne les connait pas forcément très bien.
Dans Douches froides, vous présentiez un ménage à trois. Dans Happy Few, un ménage à quatre… Et votre prochain film ?
"J'essaierai de ne rien m'interdire."

Le film est disponible en DVD depuis janvier.
Lire la critique de Happy Few.
Visiter le site officiel.