Par Candice Satara-Bartko, extrait de la lettre Terra Femina
Ingénieurs, nouvelles technologies... Où sont les femmes ?
Sabine Bohnké est ingénieure diplômée de l'école nationale supérieure d'Informatique et de Mathématiques appliquées de Grenoble (ENSIMAG ). Elle travaille depuis une vingtaine d'années dans les technologies de l'information et des communications. Son livre est né des échanges avec d'autres femmes travaillant dans les même domaine et de l'envie de partager leurs expériences.
Terrafemina : Pourquoi avez-vous décidé de donner la parole à ces femmes qui travaillent dans les nouvelles technologies ?
Sabine Bohnké : A la base je suis moi-même ingénieure. J'ai travaillé pour des sociétés de services à Paris. Puis je suis rentrée chez Atos Origin pour développer des affaires. A cette occasion, j'ai rencontré de nombreuses femmes qui évoluaient comme moi dans le secteur des TIC (technologies de l'information et de la communication) et j'ai sympathisé avec elles. Un jour au cours d'un repas, on s'est toutes fait la même réflexion qu'il y avait vraiment très peu de femmes dans ce milieu. On a commencé à partager nos expériences et de fil en aiguille, on a fondé un club de femmes qui travaillent dans l'IT (Information Technology), toutes venant d'horizons très différents. En les rencontrant et en discutant avec les unes et les autres, j'ai senti que ces femmes avaient envie de témoigner. Ce qui m'intéressait, c'était de connaître leurs parcours et voir si elles avaient des points communs.
TF : Qu'avaient-elles envie de dire ?
S.B : Toutes celles qui ont témoigné ont voulu prouver qu'elles sont capables de faire ce métier et qu'elles méritent leur parcours professionnel. Au-delà de 50 ans, elles éprouvent le besoin de transmettre leur expérience. Beaucoup sont aussi arrivées dans ce milieu en pensant que le combat pour la parité était derrière elles. Mais ce n'était pas le cas, elles ont du se battre contre les préjugés et souhaitent aujourd'hui s'exprimer là-dessus. Les femmes de 40 ans sont dans une posture différente. Elles sont arrivées à un certain niveau de leur carrière, ont envie de partager avec d'autres, parce qu'elles se sentent bloquées dans leur évolution professionnelle. Il y a aussi ce besoin de montrer aux plus jeunes qu'il est possible de faire carrière dans l'IT (Information Technology).
TF : Le nombre de femmes ingénieures est faible : comment expliquez-vous cette désaffection des femmes pour les carrières scientifiques ?
S.B. : Il y a une régression. Les écoles d'ingénieurs comptent moins de femmes qu'auparavant. J'ai été diplômée en 1992, lorsque j'étais étudiante en école d'ingénieur, on comptait 15 % de filles et déjà je trouvais ça assez peu. L'année dernière, le chiffre était de 13%. Pour la 1ère fois, on enregistrait un recul de la progression. Résultat, les femmes qui exercent l'activité d'ingénieur représentent seulement 17 % de l'ensemble de la profession. Pourquoi cette disparité ? Une femme qui a rejoint notre réseau récemment et qui, par ailleurs, est directrice d'une école d'ingénieurs, remarquait que les étudiantes lui disaient carrément : « nos conseillers d'orientation nous conseillent de ne pas aller dans ces carrières ». Ils véhiculent des clichés : la concurrence va être terrible, vous ne pourrez pas avoir une vie de famille, ce n'est pas fait pour vous. C'est complètement ridicule car en Terminale, le niveau scientifique des filles est égal à celui des garçons et elles sont aussi nombreuses qu'eux. L'autre problème est que les jeunes femmes n'ont pas beaucoup de modèles.
TF : Que voulez-vous montrer à travers ce livre ?
S.B : Avec ces témoignages, je veux montrer la diversité des parcours et des métiers dans les TIC. On est encore dans la caricature en France, l'informaticien c'est le geek boutonneux. Il y a des clichés qui persistent : une femme ne peut pas occuper un poste à la technique ou alors n'est pas fiable car elle a une vie de famille à gérer. Ces petits détails m'ont choquée parfois au début de ma carrière, se sont estompés après. Mais je ne veux surtout pas montrer que les difficultés. Ce milieu n'est pas plus misogyne qu'un autre. J'ai noté à de nombreuses reprises qu'être une femme, présentait aussi des avantages. On apporte un autre regard, les gens nous font confiance. Ils se disent, si c'est une femme qui est arrivée à ce poste, potentiellement c'est qu'elle doit être bonne. Si on prouve très vite son efficacité,