The tragedy of the euro

Publié le 07 avril 2011 par Copeau @Contrepoints

(Illustration René Le Honzec)

Philipp Bagus, The Tragedy of the Euro, Ludwig Von Mises Institute, 2010, 149 pages.

Disponible gratuitement en pdf.

Bagus commence par exposer les circonstances dans lesquelles la zone euro a été créée. Il présente deux visions distinctes de l’Union européenne : la vision libérale classique et la vision socialiste.

Le Traité de Rome de 1957 fut un pas important vers la vision libérale, établissant quatre libertés de base : liberté de circulation des biens, liberté d’offre de services, liberté de mouvements de capitaux et liberté de migration. Ce traité mettait en quelque sorte fin à l’ère de national-socialisme qui avait prévalu dans la première moitié du siècle, avec les conséquences dévastatrices qu’on lui connaît. La vision libérale de l’Europe n’implique aucunement la création d’un « super-État » pan-européen. Cette vision souhaite plutôt la saine concurrence entre différents systèmes politiques. Dans une telle Europe, le capital bouge des pays où les salaires sont élevés (les faisant ainsi diminuer) vers les pays où les salaires sont bas (les faisant augmenter). À l’inverse, les travailleurs migrent des pays où les salaires sont bas vers ceux où les salaires sont plus élevés. Ces migrations du capital et des travailleurs sont orientées des pays où les impôts sont plus élevés vers ceux où les impôts sont moindres, assurant une certaine discipline fiscale de la part des gouvernements. Les monnaies sont aussi en concurrence dans ce système libéral ; les monnaies moins solides voyant leur pouvoir d’achat diminuer.

En revanche, la vision socialiste de l’Europe était, à une certaine époque, défendue par les Jacques Delors et François Mitterrand de ce monde. Ceux-ci voulaient voir une Europe protectionniste et interventionniste, gérée par un État central. Ils désiraient un État-providence européen assurant la redistribution de la richesse au sein de l’Union, la règlementation uniforme des pays membres et l’harmonisation de la législation dans toute l’Europe, incluant les niveaux de taxation. Plusieurs personnages ont véhiculé cette vision de l’Europe dans le passé, incluant Charlemagne, Napoléon, Staline et Hitler.

Selon Philipp Bagus, l’introduction de la devise unique, l’euro, était un premier pas vers la création d’un État européen central. Pour preuve, dans l’article 3 du Traité de Lisbonne, on peut lire que l’Union européenne s’engage à « combattre l’exclusion sociale et la discrimination », laissant la porte toute grande ouverte à l’interventionnisme étatique. D’ailleurs, aucune union monétaire n’est possible sans coordination des politiques fiscales. L’euro avait donc un effet centralisateur indéniable dès le départ. Ceci étant dit, il est possible d’assurer les quatre libertés énoncées ci-haut sans pour autant former une union monétaire. Pour preuve, le Royaume-Uni, la Suède, le Danemark et la République tchèque ne font pas partie de la zone euro, mais font partie du marché commun européen.

D’autre part, les mouvements de devises entre les pays européens pouvaient parfois être très embarrassants pour les politiciens dirigeant les pays les plus inflationnistes, qui voyaient leur devise constamment se déprécier face au mark allemand. Ceux-ci recherchaient une manière de coordonner l’inflation entre les différents pays d’Europe pour pouvoir s’endetter sans contrainte. À cet égard, le Système monétaire européen (SME), mis en place en 1979, devait être une solution à ce problème. Quand un taux de change menaçait de sortir de son corridor, les banques centrales intervenaient pour le ramener dans son corridor. Pour cela, celles-ci devaient créer de la monnaie ex nihilo pour acheter des devises étrangères pour faire baisser la valeur de leur devise lorsque celle-ci s’appréciait trop. Le problème est que lorsque la valeur d’une devise diminuait, le pays concerné ne pouvait forcer les autres pays à créer de la monnaie pour acheter sa devise. Ce pays devait utiliser ses propres réserves de devises étrangères pour acheter sa propre devise sur les marchés et l’amener à s’apprécier… jusqu’à ce que ces réserves soient épuisées.

La banque centrale allemande, la Bundesbank, était la plus récalcitrante face à ce système parce qu’elle ne créait pas suffisamment d’inflation comparativement aux autres pays. Il faut se rappeler qu’en Allemagne, une génération entière avaient vu ses épargnes s’évaporer deux fois suite aux deux guerres mondiales menant à des périodes d’hyperinflation et à des réformes monétaires (1923 et 1949). Contrairement à plusieurs autres pays, la Bundesbank était indépendante du gouvernement. Elle ne pouvait donc pas être utilisée à outrage pour financer les déficits du gouvernement. Ainsi, le SME ne pouvait fonctionner à long terme que si l’ensemble des pays membres ne créaient d’inflation à la même vitesse que la Bundesbank et son alliée des Pays-Bas, la Nederlandsche Bank. En fait, plusieurs réajustements des corridors dans lesquels devaient fluctuer les devises furent requis durant l’histoire du SME pour refléter les déséquilibres inflationnistes entre les pays membres (sept fois entre 1979 et 1983 seulement). La crise finale du SME est survenue en 1992, lorsque la peseta espagnole et la livre irlandaise furent réajustés à la baisse. Ceci étant dit, bien que le mark allemand semblait stable relativement aux autres devises européennes, il était tout de même très inflationniste, perdant près de 90% de son pouvoir d’achat entre 1949 et la fin du SME.

La devise européenne unique apparaissait donc comme la solution pour les États inflationnistes d’Europe car celle-ci pourrait leur permettre de se débarrasser de l’embarrassante Bundesbank et de sa solide monnaie, le mark. Ainsi, le Traité de Maastricht, signé en décembre 1992, établissait l’introduction d’une devise unique en Europe le 1er janvier 1999.

En signant ce traité, le gouvernement allemand a agi contre la volonté du peuple qu’il représente, celui-ci voulant conserver le mark. La constitution a d’ailleurs dû être modifiée pour que ce transfert de pouvoir à une autorité supra-nationale soit possible, et ce sans que le peuple ne soit consulté. Les politiciens ont défendu leur décision en amenant l’argument selon lequel l’euro était nécessaire au maintient de la paix en Europe. Pour certains, dont François Mittérrand, l’euro ne fut rien d’autres que le « prix de la réunification de l’Allemagne ».

Il est facile de comprendre pourquoi l’élite allemande, c’est-à-dire les politiciens, les banquiers et les exportateurs, ont favorisé l’introduction de l’euro. Pour les politiciens, une Banque centrale européenne plus inflationniste leur permettrait de dépenser davantage en s’endettant. Pour les banquiers, une augmentation du rythme de création de monnaie leur permettrait de faire plus de profit. D’autre part, les banques allemandes détenaient de grandes quantités d’obligations de pays européens en situation financière précaire. L’introduction de la zone euro a en quelque sorte agi comme un sauvetage de ces pays, au grand bénéfice de ces banques qui détenaient leurs titres de dette. Finalement, les exportateurs pourraient plus facilement préserver leur compétitivité étant donné qu’il serait impossible aux autres pays européens de dévaluer leur devise.

Bien que la BCE devait être élaborée similairement à la Bundesbank, il y avait des différences fondamentales entre les deux. En ce sens, la Bundesbank se concentrait uniquement sur la masse monétaire. La BCE quant à elle possède un second pilier, soit l’analyse d’indicateurs économiques, ce qui lui donne plus de marge de manoeuvre dans ses décisions, lui permettant de justifier une politique monétaire plus inflationniste. Il ne faut pas non plus oublier qu’aucun président de la BCE ne voudrait être étiqueté comme celui ayant déclenché une récession en haussant le taux d’intérêt directeur, même si cette politique monétaire est appropriée dans les circonstances.

L’indépendance de la BCE a toujours été douteuse puisqu’avant l’introduction de l’euro et sa nomination comme président de la BCE, Jean-Claude Trichet s’était ouvertement opposé à l’indépendance de la BCE. Il était donc évident que la BCE serait utilisée à des fins politiques. L’autre faille de la BCE est qu’elle est contrôlée par les pays inflationniste puisque chaque pays n’a qu’un vote, peu importe sa population. Les pays inflationnistes sont nettement plus nombreux que les pays austères et responsables.

Ainsi, lors de l’introduction de l’euro, les primes de risque et d’inflation des nations inflationnistes ont chuté, ce qui a fait baissé leurs taux d’intérêt nominaux. Cette situation a engendré une bulle, notamment au niveau de l’immobilier, surtout dans les pays inflationnistes. L’endettement ainsi facilité a aussi permis de financer des déficits gouvernementaux insoutenables. Bagus démontre que la masse monétaire a cru beaucoup plus vite dans les pays méditerranéens, notamment l’Espagne, le Portugal, l’Italie et la Grèce. Lorsque la bulle a éclaté et que la récession s’est pointée le bout du nez, la liquidation des mauvais investissements faits durant le boum a gravement affecté la solvabilité banques.

Comment ce différentiel d’inflation était-il possible sous l’euro ? Dans la zone euro, les banques commerciales créent de la monnaie grâce aux réserves fractionnaires, ce qui fait gonfler leurs réserves. Celles-ci sont utilisées pour acquérir des titres de dette des gouvernements, qui s’endettent pour financer leurs déficits. Ces titres sont déposés en garantie à la BCE pour l’obtention de financement octroyé grâce à de la monnaie créée ex nihilo. La BCE, contrairement à la Federal Reserve, acceptait un large éventail de titres, coté au minimum A-. Notez que ce minimum fut réduit à BBB- durant la crise et à néant concernant les obligations grecques.

Vu l’ampleur de son déficit prévu en 2010 (12,7%), la cote de crédit de la Grèce menaçait d’être abaissée sous le minimum. Le 8 décembre 2009, Fitch l’abaissait à BBB+. Les obligations grecques risquaient donc de ne plus être acceptées en garantie à la BCE, ce qui ferait en sorte que les banques ne voudraient plus les acheter. Dans cette situation, le gouvernement grec n’arriverait pas à émettre les titres de dettes nécessaires à financer son déficit fiscal et à renouveler ses dettes venant à échéance. Cela signifiait donc un défaut de paiement et la faillite…

En février 2010, nous apprenions que Goldman Sachs avait aidé la Grèce à camoufler son déficit et son niveau réel d’endettement. En fait, la Grèce ne se serait jamais qualifiée pour joindre la zone euro. En avril 2010, un premier sauvetage de $45 milliards fut annoncé, mais la cote de crédit de la Grèce fut quand même abaissée au niveau de pacotille. En mai, un nouveau sauvetage de l’ordre de $110 milliard fut annoncé. La BCE déclara qu’elle accepterait les obligations grecques en garantie peu importe leur cote de crédit. Pour l’ensemble des PIIGS, un « parachute d’urgence » de $750 milliard fut annoncé. De plus, la BCE allait franchir une ligne qu’elle ne devait jamais franchir : elle allait acheter des obligations gouvernementales directement sur les marchés pour soutenir leur valeur. L’indépendance de la BCE venait d’en prendre un coup ! Le vrai visage du projet euro fut alors dévoilé…

(Illustration René Le Honzec)

La “tragédie” de l’euro a résulté de l’incitatif qu’ont les gouvernements membres à générer des déficits, s’endetter pour les financer et faire subir les conséquences inflationnistes aux autres pays membres. Pourquoi les politiciens financeraient leurs dépenses exorbitantes de façon impopulaire en augmentant les impôts quand ils peuvent le faire de manière discrète par l’endettement ? En émettant de la nouvelle monnaie en échange des obligations des PIIGS, la BCE a monétisé les déficits fiscaux de ces pays et a redistribué la perte de pouvoir d’achat de l’euro à l’ensemble des pays de la zone. L’euro n’est pas un échec parce que les pays membres ont une différente structure, mais bien parce que le système permet la monétisation des déficits des pays les plus dépensiers, au détriment des pays plus responsables fiscalement.

En conclusion, ce livre est concis, lucide et basé sur les faits. Il présente efficacement le processus qui a mené à la création de l’euro et explique bien de quelle façon la crise s’est déroulée. Le point de vue économique autrichien est évidemment omniprésent. Je recommande fortement cette lecture à quiconque veut véritablement comprendre la nature de la crise financière qui frappe l’Europe présentement.