Quatre étudiants ont créé le compte Facebook d'une facho imaginaire pour une plongée dans l'extrême droite du Web 2.0.
Nancy a 24 ans. Nancy est accorte. Nancy est étudiante en droit. Et Nancy a du poil au menton.
Elle a même quatre mentons : Nancy, jeune femme imaginaire, est le cheval de Troie sur Facebook de quatre étudiants qui ont eu envie d'explorer « les obsessions des fachos ».
On ne révélera ni leur nom ni les régions dans lesquelles ils vivent : c'est la condition qu'ils ont posée pour raconter leur aventure. Celle de militants anarcho-potaches, visiblement marqués par le situationnisme, qui se définissent en ce moment comme maoïstes – mais ils auront peut-être changé de chapelle la saison prochaine.
Contre « les Quick halal » et les « profs gauchistes »
Il y a un an, ils ont piqué la photo d'une petite brune « sur un MySpace allemand ». Sur Facebook, ils lui ont créé un profil « ouvert à toutes les formes d'idéologies d'extrême droite ». Et Nancy est devenue « fan » de pages choisies :
- pour Jean-Marie Le Pen, « Marine », Bruno Gollnisch, le Bloc identitaire, Drieu La Rochelle, Astérix et Obélix…
- contre « les Quick halal », « les cons qui sifflent La Marseillaise et crachent sur la France », les « profs gauchistes », l'islam, la discrimination positive, « ceux qui foutent rien et qui profitent du système », la maltraitance des animaux…
Elle s'est invitée dans les discussions entamées sur ces pages, reprenant les refrains qui semblaient y faire consensus.
Ravis de voir une telle recrue s'engager dans le droit chemin, les habitués de ces pages l'ont « demandée en ami », espérant parfois doubler la connivence idéologique d'une complicité sexuelle (à cet instant, il est permis de repenser aux quatre mentons barbus).
Obsédés par Zemmour et la charcuterie
Un peu plus de 850 personnes se sont laissé prendre :
- des étudiants ;
- des policiers, des pompiers, des militaires (« Tout ce qui est uniforme, ça marche bien chez les fachos ») ;
- « des bourges de Paris et de Nice » et des « jeunes amateurs de tuning qui habitent dans des communes rurales du Nord et de l'Est » ;
- pas mal d'encartés au Front national, quelques candidats aux cantonales (Christophe Gillet, Alexandre Simonnot, Adrien Rondini, Christophe Menini, Christine Benaut, Loïc Métivier…) ;
- et des anonymes aux pseudos délicats (Charles Martel, François Saucisson).
Au rayon des obsessions, la charcuterie arrive en tête (« Pour beaucoup d'entre eux, le patriotisme se résume au fait de manger du porc ») devant le racisme anti-blanc, l'insécurité, Eric Zemmour, Dieudonné, Alain Soral, Pétain, la « cause serbe » et Robert Ménard.
Costumes de Vikings
Les amis de Nancy ressassent un fantasme de violence physique. Leur cible : « la racaille », « les bougnoules », « les crouilles », « les envahisseurs ».
Sur leurs photos, des drapeaux à foison. Quelques saluts nazis rigolards. Des costumes de Vikings.
Nos quatre étudiants observent des « références confuses, souvent contradictoires ». Dévôts devant la conception gaullienne de l'Etat autant que devant la violence d'Action directe. Haineux à l'égard des « Arabes » mais en vague empathie avec « le peuple opprimé » de Palestine :
« Rien ne montre qu'ils aient une formation politique. Ils rejettent tout
intellectualisme. Ils se créent une mythologie de bric et de broc. Avec
eux, ce n'est plus Maurras, c'est pop. »
Techno hardcore et rap breton
« Fight club », « This is England », « American History X » et « Avatar » constituent leur vidéothèque idéale, au sommet de laquelle trône bien souvent « La Liste de Schindler ». Allez comprendre.
Ils vouent un culte à Serge Ayoub, qui a marqué le mouvement skinhead dans les années 80. Ils écoutent Johnny, Sardou et de la techno hardcore. Ils abhorrent le rap – sauf la production de Goldofaf, le rappeur breton « patriote et nationaliste » – mais postent des clips tournés en banlieue « pour se lamenter de l'état de la France et appeler à la lutte armée pour la défendre ».
Sinon, les « amis » de Nancy sont « passionnés par l'humour visuel » :
« Il y a un type qui passe son temps à prendre en photo des saucissons traditionnels qu'il dispose dans le rayon halal d'un supermarché. »
D'autres se spécialisent dans les photomontages. Grand classique : une tête de femme voilée et un corps nu d'actrice X.
« Poster des commentaires, leur seule forme de militantisme »
Mikaël Berthaud, candidat malheureux du Front national à Lisieux pour les cantonales, consacrait de pseudo-études éthologiques au « Niktamère, animal en voie de disparition dans son pays d'origine, le Maghreb ». Il expliquait aussi qu'il était « d'avis de ressortir les instruments mesurant la circonférence du crâne, la palette de couleur pour les yeux, l'angle du nez ». Il a dépublié son profil juste avant le scrutin.
Régulièrement, ces sympathisants d'extrême droite se signalent des articles ayant trait à leurs obsessions. Une invitation implicite à se déchaîner dans les commentaires :
« Poster des commentaires est souvent leur seule forme de militantisme. Avec les stades de foot, Internet est le seul endroit où l'extrême droite se montre en groupe. Ils veulent montrer qu'ils sont nombreux, puissants, qu'ils en ont dans le slip. »
« Des nazis kikoolol »
Ce qui ne les empêche pas d'encadrer de petits cœurs leurs slogans racistes. « Ce sont des nazis kikoolol », résument nos quatre étudiants.
Ils sortent de leur plongée dans la frange facho française de Facebook avec trois convictions :
- « Il existe un FN virtuel très développé, sur-représenté sur Internet par rapport à son importance dans la vie réelle. » ;
- ils invitent à relativiser l'idée d'une extrême droite devenue respectable. « Même si des cadres du FN rappellent de temps en temps les militants à l'ordre, ils tiennent presque tous des discours ouvertement racistes en ligne. » ;
-
pour eux, « le danger est moins celui d'une hypothétique arrivée au
pouvoir de Marine Le Pen que de voir ses idées s'imposer un peu partout.
C'est cela qu'il faut combattre, pas les dernières bandes de skins qui
finissent tôt ou tard par avoir affaire à la justice. »
Ils disent :
« Pour l'instant, on fait ça sans se prendre au sérieux. Mais ça pourrait être utile. Par exemple pour empêcher des rassemblements fachos dont on apprend qu'ils sont en préparation. »
Ils réfléchissent aussi à la meilleure manière d'éconduire cet avocat à la retraite qui, depuis des mois, insiste pour « donner des cours particuliers » à l'irréelle Nancy.
Illustrations : capture d'écran du mur d'images d'un « ami » Facebook de Nancy.
Mathieu Deslandes Rue89 http://www.rue89.com/