Je venais juste de m’installer en Iran et recherchais un jeudi après-midi un coiffeur dans le haut de Valendjak, au nord de Téhéran. Je demandais à une charmante miss toute vêtue de noire que je venais de croiser à l’entrée d’un centre commercial de m’indiquer ou se trouvait le coiffeur le plus proche. Après quelques instants de surprise de croiser un étranger, de surcroit à la recherche d’un coiffeur, elle rassembla son meilleur anglais pour me dire : « cut your head ? You want to cut your head? Go upstairs, 2nd floor. ». Nous étions en 2005, à l’époque ou à quelques kilomètres de là, en Irak, des sauvages décervelés découpaient de la tête d’occidental en guise d’action politique. Je pris sa formulation pour une petite erreur de vocabulaire : hair, head - je ne sus que bien plus tard qu’elle ne faisait que traduire littéralement en anglais son farsi. Je trouvais assez facilement le coiffeur « coupeur de tête » en question. Il ne s’appelait pas « Al Qaida barber », les clients semblaient paisibles, je ne vis aucune tête sur le sol, bref je rentrais en confiance et m’installais sur un siège vacant pour attendre mon tour. Cela ressemblait en tout point à un salon de coiffure parisien avec des posters de belles gueules souriantes bien coiffées, une multitude d’échantillons de shampoing et autres produits de soin, des magazines et des journaux à la disposition de la clientèle. La seule différence majeure que je notais était l’absence totale de femme (les salons de coiffure iraniens ne sont pas mixtes). Quatre hommes attendaient patiemment leur tour en regardant une série qui passait sur une télé accrochée dans un coin de la pièce. Même le coiffeur s’arrêtait parfois de travailler pour jeter un coup d’œil sur l’écran. Je tentais de me fondre dans l’ambiance du salon en regardant moi même la série à laquelle je ne comprenais rien. Lorsque le coiffeur m’adressa la parole et compris que je ne parlais pas farsi mais seulement anglais, le centre d’intérêt se translata brutalement de l’écran vers ma petite personne. Il me proposa de venir m’installer à la place du client dont il venait de finir la coupe. Je refusais à deux reprises avec mon meilleur farsi : « na, na » en invitant les autres clients qui attendaient leur tour à respecter l’ordre d’arrivée. Ceux ci refusèrent deux fois en de grands mouvements de mains. J’acceptais donc de prendre leur tour (je ne sus que bien plus tard que leurs refus n’étaient qu’une forme de politesse en Iran à laquelle il aurait fallu que je refuse 3 fois …). Le coiffeur éteignit la TV et mit une cassette de Bob Dylan, pour mettre en confiance et accueillir comme il se doit l’étranger que j’étais.