Mardi dernier (ndlr : article du 14 février 2011), 13 jeunes néo-nazis ont été arrêtés à Nancy : tous se revendiquent du mouvement « nationaliste autonome ». Cinq ont été relâchés le jour-même, le même nombre placé en détention provisoire.En novembre dernier, la mouvance avait déjà eu quelques ennuis : le maire de Nancy avait demandé leur interdiction, et suite à ça, leurs sites avaient été fermés, pour rouvrir chez un autre hébergeur quelques jours plus tard. Ces arrestations surviennent suite à des agressions violentes commises contre des militants antifascistes, pour certains interrogés sur leurs supposées origines juives avant d’être tabassés. Les premières agressions de ce type datent de novembre 2009…
La répression en elle-même ne nous intéresse guère : partout dans le pays, les actes de violence fasciste se multiplient, le plus souvent dans l’indifférence totale. Ils sont encouragés par une forte propagande, qui met en avant sans arrêt, dans les grands médias, les grandes références de la culture raciste et antisémite française, notamment ses écrivains.
Cependant, certains militants fascistes dépassent les bornes de ce qui est implicitement « acceptable » pour le moment : excès de confiance prématuré qui conduit certains d’entre eux à se faire calmer.
Il suffit de comparer les ennuis répressifs et la violence que subissent les militants de classe au quotidien , même pour de simples manifestations « bon enfant »,comme à Anduze , par exemple, avec les rares descentes organisées contre l’extrême-droite pour voir de quel côté penche la balance répressive.
L’arrestation de quelques nationalistes autonomes est intéressante en soi à un seul titre . Elle est survenue après des mois d’agressions physiques diverses et variées, qui n’ont donné lieu à réaction policière que maintenant : après une énième agression, à 45 jours d’ITT. En dessous de ce ratio, donc, pas la peine d’espérer une quelconque réaction étatique.
Cette arrestation groupée a donné lieu à quelques articles de presse : tous comportent le mot « skinhead » ou « skin » dans leur titre.
Des camarades ont déjà réagi dans les commentaires des articles notamment celui de Libération, comme à chaque fois que le terme est utilisé sans plus de précision : cette réaction systématique montre d’ailleurs la persistance et le renouveau du mouvement skinhead antifasciste en France. Nous sommes la sous-culture antifasciste la plus trainée dans la boue, et pourtant même après des dizaines d’années de crachats journalistiques , de confusion entretenue en permanence, il se trouve des jeunes et des moins jeunes pour faire le choix courageux de se revendiquer skinhead et pas autre chose, de se prendre à la fois les violences des bonehead et le mépris des journalistes, mais aussi des antifascistes petit-bourgeois, pour qui nous sommes juste de gros bourins virilistes qui font honte au mouvement, alors que parmi les « gros bourrins » il y a aussi des femmes.
Mais les journalistes continuent à faire comme si les « skinheads » étaient tous des fascistes, et même à dire « skinhead », pas seulement quand il s’agit de boneheads, mais également quand il s’agit de militants fascistes autres.
C’est ce qui se passe avec les Nationalistes Autonomes, et c’est une bonne occasion de réfléchir sur l’utilité de cette confusion sciemment entretenue.
L’apparition des NA en France est assez intéressante. Officiellement, ils sont indépendants des grosses structures d’extrême droite. Jusqu’ici leurs manifestations autonomes n’ont jamais rassemblé grand monde, même s’ils ont participé à de nombreuses actions avec la mouvance nationaliste et identitaire.
Ils ont peu de moyens officiels, leurs vidéos , et quelques sites assez peu alimentés.
Pourtant dès qu’un groupe se crée, il a une tribune médiatique locale : nous avions déjà évoqué les nationalistes autonomes picards ; dans une région ou les fascistes sont malheureusement nombreux, eux, ont immédiatement droit à une pleine page dans l’Union.
En Lorraine, le mécanisme a été le même : là bas aussi, la présence fasciste est importante, en témoigne le fait que toutes les structures nationales des organisations d’extrême droite y ont une antenne (la « nouvelle droite populaire » par exemple). Mais le « scandale » se fait dès le mois de novembre 2010 autour des NA lorrains, et là aussi, une tribune est accordée à leur responsable dans un canard local.
Aucun autre groupe fasciste , proportionnellement à son importance numérique n’a le droit à autant d’égards médiatiques.
Comment un jeune choisit-il d’intégrer un groupe fasciste plutôt qu’un autre ?
Là-dessus, notre expérience de révolutionnaires n’est pas différente de la leur.
On y arrive soit par des connaissances, par nos activités culturelles, nos goûts musicaux ou sportifs, qui nous font rencontrer des gens dont le discours politique nous correspond.
Par exemple, de nombreux boneheads passent ici, attirés par un clip de oi, et en sont encore au tout début de leur apprentissage politique, la plupart savent que nous sommes des « rouges » , qu’ils doivent signer avec 88, et nous insultent à cause de la rubrique rap.
La plupart sont de jeunes prolétaires, qui partagent avec nous une culture commune, une certaine haine de la bourgeoisie même celle de leurs propres mouvements, une certaine conscience de la domination et du mépris de classe qu’ils subissent déjà de la part des jeunes étudiants.
Comme pour nous, le mouvement skinhead, et sa réputation sulfureuse dans les médias, leur a paru être une culture où ils auront la liberté de ne pas se conformer aux codes de la bourgeoisie et de la classe moyenne, où ils ne seront pas infériorisés parce qu’ils ne les maitrisent pas.
Mais contaminés par le racisme ambiant, ils trouveront à travers des clips de RAC postés par les groupes organisés de boneheads, le cadre politique qui leur convient.
Les nationalistes autonomes ne sont pas du tout sur le même créneau de recrutement : l’expression « classe ouvrière « est absente de leur propagande. De même, alors que les bonehead ciblent prioritairement la « racaille », les nationalistes autonomes se disent au premier chef « anticommunistes ».
Un membre de Méridien Zero, une émission radio fasciste, résumait fort bien leur stratégie dans un entretien donné à Rivarol:
Les ingrédients sont nombreux, certains sont liés à la réunification allemande et à l’apport des allemands de l’Est. Mais pour l’essentiel on peut retenir : autonomie d’action, positionnement « ni gauche ni droite », indépendance par rapport au jeu électoral, gros travail social de terrain et emprunts tous azimuts aux modes vestimentaires, musicales de la jeunesse occidentale (à des fins de détournement s’entend).
Le détournement, la confusion, la réappropriation, voilà l’essentiel de la propagande NA. Surfer sur des modes existantes , médiatisées, être dans la tendance.
Application concrète ?
L’insurrection qui vient a fait un tabac chez les étudiants, l’anarchisme version Black Block fait rêver ?
On adopte le sweat à capuches et on scénarise une simple diffusion de tracts anti-hallal en action clandestine de nuit. On apparaît dans les manifestations avec le drapeau noir, en singeant les scènes qui plaisent aux médias, on fait son propre Black Block purement symbolique, comme le 9 mai 2010, ou aucune vitrine n’a été cassée dans un rassemblement préalablement autorisé par les autorités.
La protection des animaux est à la mode, le végétarisme aussi , mais déconnecté de toute analyse matérialiste sur les causes de la souffrance animale et de ses liens avec l’exploitation capitaliste de l’homme et de la planète?
On crée un site dédié, on axe une campagne raciste anti-hallal sur ce biais, on publie quelques visuels de jeunes hommes avec sweat en capuche toujours et un renard dans les bras.
Le commerce équitable, et l’alimentation bio et locavore font rêver les petits-bourgeois qui s’achètent un militantisme raisonnable à l’épicerie ?
Le MAS, référence culturelle la plus aboutie des nationalistes autonomes français organise des distributions de pommes bio et de saucisson devant les vilains Mc Do.
Le conspirationnisme, le complotisme plus ou moins mystiques ont un énorme succès ?
On multiplie les références au Nouvel Ordre Mondial, on dénonce les « élites » , et on va manifester devant le diner du Siècle…pour mieux diffuser l’antisémitisme.
Il n’est pas difficile de voir , avec tous ces exemples trouvés sur leurs sites, que la cible des NA n’est pas prioritairement le jeune ouvrier ou le jeune chômeur français des villes ou des campagnes, mais bien le jeune petit-bourgeois, attiré par les idées racistes et antisémites, mais également désireux de s’intégrer socialement, comme c’est le cas de Charles-Hubert, dirigeant des NA Lorrains; R***Y, « Flamby » futur diplômé de crimino, et futur commissaire de police théoriquement vu sa formation.
Typiquement celui à qui l’idée d’être qualifié de « skinhead » ou de « nazi » fait horreur, et qui adore l’imagerie rebelle véhiculée par l’extrême gauche-petite bourgeoise.
En développant un anticapitalisme de façade, mais aussi une imagerie « rebelle » romantique, les nationalistes autonomes s’adressent à des petits-bourgeois qui souhaitent affirmer leur racisme et leur antisémitisme, mais sans être stigmatisés socialement. L’ambiguité et le discours codé des NA conviennent parfaitement à cette classe sociale.
Raison pour laquelle la direction des NA tente de se débarasser des boneheads ou de les contraindre à renoncer à l’affichage de leur culture ouvertement néo-nazie.
Les NA Picards par exemple, ont demandé à tous ceux qui participent à leurs actions anti-hallal de ne pas venir en Lonsdale ! (marque sportive anglaise de vêtements de boxe, détournée par les neo-nazis, alors que Lonsdale fut le premier club de boxe à accueillir des pugilistes noirs et que Mohammed Ali a longtemps porté cette marque!). Dans le même temps, ils se trahissent d’ailleurs sur ce qui se cache derrière leur prétendue défense des animaux , puisqu’ils proposent le blouson de cuir comme tenue vestimentaire adaptée, un comble pour distribuer un tract dénonçant l’exploitation animale…
Cette stratégie a été payante chez les médias qui leur ont donc accordé la libre expression de leurs idées dans les colonnes des journaux …ce qu’ils ne feraient évidemment pas avec des bonehead souhaitant expliquer pourquoi ils sont des adorateurs d’Adolf Hitler et pourquoi ils veulent en finir avec les bougnoules et les youpins.
Alors pourquoi brusquement les transformer en « skinhead » ? Tout simplement parce que la petite-bourgeoisie n’assume pas encore les conséquences pogromistes du fascisme. Les jeunes « patriotes » propres sur eux et bien éduqués, à qui l’on a offert une tribune s’avèrent être des fascistes « à l’ancienne », malgré leur nouveau look. Des brutes adeptes de la violence absolue, malgré leur culture et leur niveau social.
Il faut bien faire oublier cette petite « erreur », le fait d’avoir fait de la pub aux NA, parfois en donnant même un lien direct vers leur site et leur propagande.
Voilà l’utilité de l’emploi du mot « skinhead » à toutes les sauces. Les « skinhead » dans la langue médiatique sont des individus totalement désocialisés, totalement coupés de toute organisation politique « sérieuse », et « démocratique », et surtout des « délinquants » issus des rangs prolétaires.
Si les NA sont des « skinheads », alors les médias n’ont aucune responsabilité dans le développement du mouvement. Le message délivré aux lecteurs est le suivant : ne vous interrogez pas sur les raisons pour lesquelles des jeunes fascistes se sentent autorisés à donner libre cours à leur haine, ne vous interrogez pas sur leurs liens avec les partis fascistes « démocratiques » qui s’expriment librement dans les journaux et à la télé.
Raison pour laquelle aucun commentaire, aucune analyse n’est faite sur le fait que le dirigeant des Nationalistes Autonomes Lorrains, n’est pas ouvrier ou apprenti, pas un chômeur mais étudiant en droit (master 1, criminologie université Nancy 2).
Raison pour laquelle les journalistes d’ « investigation » du Monde, les grands spécialistes officiels de la « droite extrême » n’ont rien d’autre à raconter sur les nationalistes autonomes, que des banalités inexactes sur leurs gouts musicaux. Etrangement, leur article prétendument fouillé ne mentionne pas un évènement pourtant récent et important : le fait qu’un parti légal, qui a des élus , dont les représentants officiels se présentent comme « fonctionnaires de l’Education Nationale » se fasse le relais de la propagande des nationalistes autonomes. Il s’agit du Parti de la France scission ancienne du Front National : un parti qui a pignon sur rue, un parti de notables et dont les nationalistes autonomes assurent désormais publiquement le service d’ordre, comme évoqué dans cette discussion publique sur l’un des principaux forums fascistes ou s’exprimait notamment le jeune dirigeant lorrain, que la police a eu tant de mal à identifier, alors que tout le monde connaissait ses habitudes notamment la fréquentation d’un bar « celte » de la place de la gare de Nancy, où il s’adonnait à des concours de boisson.
Les « respectables » élus et fonctionnaires et les prétendus « skinhead » nationalistes autonomes ont participé le dimanche 7 février ensemble à une manifestation fasciste à Paris, manifestation autorisée et destinée à commémorer le 6 février 1934.
Circulez y’a rien à voir…Voilà ce que signifie l’emploi du mot skinhead, dès que la violence fasciste s’exprime un peu trop franchement.
Dissimuler l’origine petite-bourgeoise du fascisme, se taire sur les véritables leaders des milices néo-nazies, et rejeter la faute sur le prolétariat.
Reconnaître que les skinheads sont antifascistes, que le mouvement bonehead reste une perversion d’une culture populaire de combat , ce serait remettre en jeu toute la propagande actuelle.
Ce serait aussi reconnaître que la réaction antifasciste est avant tout prolétaire, ce serait reconnaître ce que signifie la persistance de notre mouvement, malgré la guerre qu’on lui mène depuis des dizaines d’années : rien d’autre que la puissance du métissage culturel, rien d’autre que la fraternité combative entre jeunes prolétaires de toutes origines qui survit à toutes les tentatives de division.
Les journalistes continueront donc à dire « skinhead » et pas bonehead.
Comme ils continueront à regarder avec bienveillance les jeunes fascistes petit-bourgeois, identitaires ou nationalistes autonomes, tant qu’ils ne dépassent pas certaines limites.
Les prolétaires antifascistes ne devront donc compter que sur leurs propres forces, et développer leurs propres médias, raison pour laquelle l’antifascisme culturel, la construction d’outils autonomes d’information est un des enjeux prioritaires du combat en cours, au moins autant que le rapport de forces militaire avec les milices néo-nazies.
Skinhead et nationalistes autonomes: comprendre la manipulation médiatique – REDSKINHEAD DE FRANCE.