Dircom (2.1.3.) Communication, management et gouvernance ("It's about getting the stuff done")

Publié le 06 avril 2011 par Olivier Beaunay

Il n'est pas inutile, à défaut d'être très confortable, d'avoir bataillé un certain temps au sein d'une organisation déboussolée représentant une industrie attaquée de toutes parts pour bien prendre la mesure de ce qu'il faut bien appeler l'impératif stratégique.

Lorsque pendant deux années particulièrement intenses, j'ai ainsi été en charge de la communication d'une organisation de ce type, il y eut de nombreux moments où, pris dans des urgences et des missions, je ne savais littéralement plus où j'habitais. Il y avait bien sûr les voyages incessants aux quatre coins de la planète minière. Il y avait encore un lieu de travail éloigné de mon lieu de résidence qui me laissait l'essentiel de la semaine et certains week-ends loin de mon domicile.

Mais je crois qu'il y eut plus encore cette sorte de folie des événements au milieu de laquelle il nous devenait quasiment impossible de réfléchir. D'une crise, on passait toutes les semaine à une autre - deux ou trois mini-crises hebdomadaires n'étaient pas rares - et, au plus fort de la crise économique, la stratégie était revue tous les mois et les budgets modifiés tous les quinze jours. Il fallait tout faire et rendre compte de tout simultanément (1) dans un contexte où des actionnaires aux quatre coins du monde n'étaient à peu près d'accord sur rien.

Quand l'organisation est le problème

Dans une telle configuration, il devient rapidement évident que le problème majeur, ce n'est plus l'accumulation des crises, c'est l'organisation elle-même. Deux ou trois points de base sont alors à clarifier aussi vite que possible pour le bon exercice de son métier par le dircom dans le cadre plus large de l'organisation dans laquelle il évolue.

Premièrement, développer une équipe pluridisciplinaire, multiculturelle et diverse, ce qui est une excellente chose, ne signifie pas autoriser tout le monde à s'occuper de tout, ce qui est un cauchemar. Il faut un cadre et une autorité pour éviter que la transversalité ne confine à l'anarchie.

Deuxièmement, ce n'est pas parce qu'un membre de l'organisation voit un encadré dans son journal le matin à Londres, Moscou ou Pékin, qu'il faut déclencher l'alerte générale et mobiliser soudain tout le monde sur une affaire qui n'en est pas une. Jean-Pierre Beaudoin, le patron de l'agence I&E, a de ce point de vue parfaitement raison de souligner que le premier travail en matière de communication de crise, ce n'est pas de descendre dans l'arène, c'est de s'assurer : 1°) qu'il y a en effet crise ; 2°) que l'organisation est bien directement concernée.

Troisièmement enfin, il n'y a rien de pire que de préserver les apparences du consensus lorsqu'en réalité, il n'existe pas. Une stratégie indolore est une stratégie vouée à l'inefficacité. Le résultat est qu'au lieu de prendre le pas sur les événements et de les anticiper sur la base d'un cap clair, on passe son temps à les subir et à godiller dans une approche erratique au prix d'un gaspillage de ressources considérables. Inversement, une stratégie consistante, au double sens français et américain de la substance et de la cohérence, ne va pas sans rugosité. C'est une tâche inconfortable mais nécessaire et qui suppose d'être capable d'accepter, au moins un temps, un certain degré de conflictualité.

Le problème du dircom dans ce genre de configuration, c'est d'assurer la mise en oeuvre du plan d'action, fût-il chaotique, tout en s'efforçant de remettre les choses sur les rails, et donc de faire porter ses efforts au moins autant sur la gouvernance que sur l'action. Pari risqué ? Pas nécessairement. D'abord, le risque est beaucoup plus grand à laisser pourrir la situation sans tâcher de la rectifier. Ensuite, il est dans une telle situation d'autant plus impératif de s'assurer que les principales réalisations attendues seront menées à bien. Enfin, on attend aussi d'un dircom qu'il soit capable d'apporter une vision neuve et solide de ce que sa fonction peut apporter à l'organisation.

Le conseiller et le dirigeant

Il y a de vraies crises dont il faut s'occuper sérieusement et de fausses crises qu'il faut annihiler sans état d'âme. L'ordre normal des choses, c'est la stratégie, l'équipe, puis les opérations et la tactique, donc la performance - non l'inverse. Ne pas le faire sous la pression (de l'organisation, du court-terme, des équilibres divers, etc) ou plutôt en acceptant que la pression puisse toujours prendre le pas sur la délibération, c'est ne pas bien faire son travail et, à la limite, c'est ne pas le faire du tout, donc aller à la catastrophe.

Cela fait une différence entre un dircom-conseiller qui s'occupe de son bac à sable et un dircom-dirigeant qui se sent solidairement dépositaire de l'intérêt à long terme de l'organisation qu'il sert. Cela peut conduire parfois à remplacer de lourdes et coûteuses productions de consultants par un recadrage de bon sens s'appuyant davantage sur les ressources internes. C'est par exemple le cas dans des organisations où le degré de confiance entre instances de gouvernance et de management n'est pas suffisamment établi.

Consultants et agences sont certes le plus souvent nécessaires, mais leurs interventions ne sont optimales que lorsque l'organisation dispose d'un minimum de diagnostic et d'expertise dans le domaine concerné. Cela ne va pas sans beaucoup de discussions et un peu de courage qui souligne d'autant plus l'intérêt de s'appuyer sur des fondamentaux solides, et qui justifie que ces fondamentaux soient de nature plus psychologique ou politique que technique. On y revient : il s'agit de comprendre et de convaincre avant de faire.

Le partage du diagnostic et l'échange d'informations sont parmi les raisons qui militent en faveur de l'intégration de la communication au sein des instances dirigeantes - une configuration d'ailleurs généralisée aujourd'hui avec, ici ou là, des adaptations ou des remises en cause. Là-dessus, le dircom désabusé d'un grand groupe français me confie un jour : "Changez de métier. L'intégration de la communication aux instances exécutives n'est pas solidement établie. La fonction est fragilisée".

Ethique et efficacité

Est-ce une nécessité absolue ? Pas obligatoirement, en particulier dans les groupes où les instances exécutives se consacrent essentiellement à l'étude des investissements. Ce qui est fondamental d'abord, c'est d'être rattaché au patron de l'organisation, faute de quoi la prise du dircom sur l'actualité, la vision et les problèmes à résoudre a toutes chances de se révéler tôt ou tard problématique. Sous une forme ou sous une autre, une liaison avec le DRH, sur les sujets internes, est par ailleurs souhaitable et peut se réveler très féconde si la complémentarité des rôles est bien comprise et utilisée.

Membre ou non du comité exécutif, du comité de direction ou du comité de management, le dircom doit ensuite de toutes façons tisser des relations de travail étroites avec les dirigeants de son organisation. Enfin, sur cette base, il n'est pas idiot, notamment en début de carrière, de construire d'abord sa légitimité sur le terrain, au service des différentes divisions et de leur problématiques de communication, avant de prétendre rejoindre les instances dirigeantes.

En réalité, au-delà des crises et de la question de l'accès à l'information, et dans la mesure où sa vocation première est d'aider à régler les problèmes, la participation du dircom est d'autant plus justifiée qu'une vocation fondamentale de la communication est non pas seulement d'accompagner un changement décidé par d'autres mais aussi de convaincre les autres que le changement est parfois nécessaire. Sortir de cette boucle, c'est priver la communication à la fois de son éthique (le sens de son action), de sa portée (sa capacité d'influence) et de son efficacité (son impact).

En somme, si une intégration correcte de la fonction aux instances de gouvernance et aux mécanismes de management s'impose donc, c'est parce que in fine, l'objet de la communication n'est pas le discours, mais l'action.

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(1) Dans une interview qu'il donna il y a quelque temps au FT, Tom Peters, l'auteur de In Search For Excellence, est très clair à ce sujet. Si vous avez le choix, dit-il en substance, entre écrire un beau rapport qui correspond à des réalisations médiocres ou bien faire un super job en faisant un rapport médiocre, laissez tomber le rapport : faites le job. A l'époque consultant chez McKinsey, il développa l'idée que le management est essentiellement un art de l'exécution. Une thèse accueillie froidement en plein essor du concept de stratégie, avant de se vendre à plus de 10 millions d'exemplaires. Devenu par la suite une sorte de gourou du management, il décrit son job de façon à la fois modeste et décisive : "Vous êtes face une assemblée de 500 personnes. Là dedans, il y en a quatre sur le point de faire quelque chose de vraiment intéressant. Il faut leur donner envie de le faire". "It's about getting the stuff done", Financial Times, 22-23 novembre 2008.