Lundi soir, je n’avais pas prévu d’aller au cinéma. Après avoir déjà enchaîné dans la journée le surprenant Ma part du gâteau de Cédric Klapisch et le rocambolesque - et non moins burlesque - Si tu meurs, je te tue d’Hiner Saleem, j’avais l’intention de laisser mes yeux au repos jusqu’au lendemain. Mais l’appel du mystère est souvent le plus fort, et lorsque mon ami de Yuzu Melodies m’a appelé pour me proposer de l’accompagner à une projection test au Publicis à 20h30, la curiosité l’a emporté, une fois de plus.
C’est tout le charme des projections tests, de ne pas savoir le film que l’on va découvrir. En 2010 j’avais assisté à deux d’entre elles, et l’occasion se présentait pour ma première de 2011. Après la comédie avec Audrey Tautou et le documentaire écolo de Disney, qu’allait donc me réserver cette projection surprise ? Pas une horreur du standing d’AO le dernier néenderthal, c’est tout ce que je craignais. C’est la première fois que j’assistais à une telle projection au Publicis. Habituellement, le test se joue plutôt à l’Élysée Biarritz, avec une salle pleine à craquer. La grande salle du Publicis, c’est tout de même 400 places. L’amateur de la salle des Champs-Élysées que je suis est donc resté bluffé, lundi soir, par la vision de la salle 1 du Publicis qui affichait complet. Je ne l’avais jamais vue ainsi, débordante de spectateurs, emplissant chaque recoin de fauteuil dont la salle dispose. Ailleurs, ça ne m’impressionnerait pas. Au Publicis, la vision était presque surréaliste.
Comme pour les deux dernières projections tests, je n’ai pas eu à signer de clause de confidentialité, me voici donc libre de parler du film découvert ce soir-là. Comme d’habitude, le suspense sur l’identité du long-métrage a été entretenue jusqu’à la dernière seconde, lorsque le titre du film est apparu sur l’écran. Auparavant tout de même, un sérieux indice apparaissait dans le questionnaire précédant la projection, sous la forme de cette question : « Que pensez-vous des acteurs suivant ? Isabelle Huppert, Benoît Poelvoorde, André Dussollier, Virginie Efira ». Quiconque n’avait pas compris que nous nous apprêtions à voir un film au générique duquel allaient figurer ces quatre acteurs est lent à l’allumage.
Le film que nous avons découvert, c’est donc Mon pire cauchemar, la nouvelle comédie écrite et réalisée par la cinéaste Anne Fontaine. Devant la caméra, les quatre comédiens précités. Je dois bien avouer que le titre ne m’a rien évoqué, et que je ne savais pas du tout à quoi m’attendre. La surprise fut très agréable. La réalisatrice d’Augustin roi du kung fu, de La fille de Monaco et de Coco avant Chanel nous plonge dans une comédie hilarante menée tambour battant par Huppert et Poelvoorde dans un duo d’antagonistes irrésistible. Elle navigue dans l’art et l’opulence, est froide, mariée et coincée. Il vit de petits boulots, n’a pas vraiment d’appartement, est beauf, plus ou moins célibataire et bien lourd. Pourtant leurs enfants sont camarades de classe et amis, et bientôt Poelvoorde va envahir la vie d’Huppert, et le couple qu’elle forme avec Dussollier.
Les rires ont fusé d’entrée de jeu, allègrement et intensément (les miens en tout cas) face à la joute entre Huppert qui joue la cold bitch qu’elle maîtrise si bien et Poelvoorde qui joue le balourd vulgaire avec son talent naturel. Pendant la première demi-heure, le film navigue dans la pure comédie avec une aisance et une écriture qui ravissent les zygomatiques. J’aurais pu m’en saouler avec plaisir pendant 1h30, mais au fur et à mesure du long-métrage, Anne Fontaine met peu à peu le frein sur l’humour pur, teintant plutôt son film de légèreté que d’énormité, notamment en mettant un peu plus en avant le personnage d’André Dussollier, éditeur sexagénaire qui trouve une nouvelle jeunesse dans sa drôle d’amitié avec Poelvoorde, puis dans les joies de l’adultère avec Virginie Efira.
Très franchement le film aurait fait un sans faute si le dernier acte n’avait pas pointé le bout de son nez. Je ne sais pas dans quelle mesure le film va encore être modifié d’ici à sa sortie, annoncée pour novembre 2011. Le film nous a été présenté comme étant une copie de travail en cours de finition, mais très honnêtement, le film semblait quasiment prêt, contrairement à certaines autres projections tests auxquelles j’ai pu assister et où ni le mixage ni l’étalonnage n’étaient terminé, sans parler de la musique qui était inexistante. Non, ici, mixage et étalonnage semblaient faits, ou quasiment, et la musique (de Bruno Coulais) était bien là.
Le montage du dernier acte, en revanche, semblait brinquebalant. L’archétype même du film ne sachant trouver son dénouement, rebondissant trop, ouvrant de nouvelles portes à l’heure où elles devraient toutes se clore. Tout à coup, la légèreté laisse place, sinon au drame du moins au sérieux, la rupture de ton s’installe tardivement et précipitamment, en conséquence de quoi elle ne convainc pas. L’alcoolisme du personnage principal ne semblait pas franchement soucier le scénario jusque là, mais dans le dernier quart d’heure, le film se relance dessus après une séquence qui semblait clore le film. On ne sait trop pourquoi, ce tiroir s’ouvre donc brusquement, un brin moralisateur, avec une telle rapidité qu’on n’a pas franchement le temps de s’en émouvoir. Heureusement Poelvoorde est un excellent acteur, et il fait passer la pilule par son talent, mais il est facile de regretter qu’Anne Fontaine n’ait pas choisi une des deux solutions plus satisfaisantes qui s’offrait à elle avec Mon pire cauchemar : traiter du sujet de l’alcoolisme plus tôt dans le film, et l’inscrire franchement en son cœur, ou carrément retirer quinze minutes à son film.La sortie est encore loin, mais j’imagine mal la réalisatrice changer si radicalement le dernier acte de son film… à moins qu’elle n’y ait songé d’elle-même. Et même si tel quel, Mon pire cauchemar est déjà un bon film.