Au moment où la rébellion libyenne à Benghazi dénonce la lenteur des opérations de l’OTAN et le peu d’empressement de ses forces à lever le siège des troupes de Qaddafi sur la ville de Misrata et à les appuyer pour conquérir le verrou de Brega, il est opportun de s’interroger sur la nature du commandement militaire d’une rébellion, désorganisée, peu entraînée, mal équipée.
Présenté comme le chef militaire de la rébellion, le général Abdel Fattah Younis Al-Oubeïdi, jusqu’à récemment ministre de l’intérieur du régime Qaddafi, est l’auteur, le 5 avril, de cette imprécation violente contre l’OTAN. (Le Monde, Les rebelles libyens attirent l'attention sur Misrata)
La désorganisation des troupes rebelles sur le terrain et leur amateurisme (le 1er avril, leurs tirs en l’air ont provoqué la riposte de l’OTAN sur une colonne de leurs propres véhicules) s’accompagne de la plus grande confusion dans la structure de commandement des forces armées rebelles partagée, ou disputée, semble-t-il, en fonction des commentateurs, entre trois titulaires distincts (Rivages des Syrtes, le Conseil national transitoire).
Abelhafez Abdelqader Ghoga, vice-président et porte-parole du Conseil national transitoire libyen s’est ainsi vu contraint, le 2 avril, de préciser la réparation exacte des responsabilités au sein de l’appareil militaire de la rébellion :
- Abdel Fattah Younis est commandant en chef des troupes rebelles;
- Omar Al-Hariri, est conseiller du Conseil National Transitoire chargé des affaires militaire ;
- l'ultime triumvir, le colonel Khalifa Heftir, souvent présenté comme le chef militaire des rebelles, dernier des trois à être descendu dans l’arène, rentré de son exil américain au mois de mars 2011, ne dispose ainsi, selon Ghoga, d’aucune autorité hiérarchique sur l’armée rebelle. Mustfa Gheriani, autre-porte-parole de la rébellion, minimise également le rôle et l’influence d’Heftir.
A priori toutes les troupes ne l’entendent pas ainsi et tracent des asymptotes entre Younis, fidèle serviteur du régime Qaddafi jusqu’en février 2011, et Heftir, auréolé d’une gloire tirée de sa participation au coup d’Etat de 1969 et de son passé militaire pendant la guerre du Tchad ; qualifié de héros pour s’être montré rétif à une aventure immolée par une débâcle sanglante ; devenu un opposant à Qaddafi en 1988 avant de s’exiler en Virginie.
Heftir ne transige pas, non plus, sur son rôle au sein de la rébellion armée et déclare sur ABC qu’il ne rend de compte ni à Hariri, ni à Younis et que l’un de ses fils (a priori ses fils le secondent dans son commandement) est en contact avec James Clapper, Directeur national du renseignement américain (DNI) ; ce dernier infirme une telle proximité.
A la question : qui sont les rebelles libyens?; il convient d’ajouter : qui commande leurs troupes, peut revendiquer leur fidélité et leur obéissance, peut organiser un dispositif défaillant et se prévaloir d’un mandat garanti par les autorités de Benghazi ?
Dans une contribution récente à Foreign Policy (The Two Faces of Libya’s Rebels), Jason Pack rappelle une distinction utile à la compréhension de la rébellion libyenne : les combattants sur le terrain et les chefs politiques ; précision nécessaire dans le débat sur l’infiltration de la rébellion par des extrémistes : la présence de combattants anciennement jihadistes ne présuppose pas le noyautage de tout l’appareil politique.
Selon lui, les premiers combattants de l’insurrection sont des jeunes civils issus de la Cyrénaïque, peu ou pas aguerris, mais déterminés à renverser le régime de Qaddafi. Bien qu’ils soient les plus photogéniques des combattants, appâts naturels des caméras de télévision, la majorité d’entre eux n’a toujours pas gagné la ligne de front.
Ils ont été rejoints par des unités rebelles de l’armée libyenne stationnées en Cyrénaïque, notamment celles placées jusqu’en février sous le commandement de Younis, ministre de l’intérieur et chef des forces spéciales. Ces unités ne semblent que marginalement engagées dans les combats sur la côte.
Quelques combattants islamistes, sans véritable valeur ajoutée militaire, apportent leur soutien armé à la rébellion.
L’unité de la base de la rébellion s’apparente à un regroupement hétéroclite de proches ; membres de la même famille, habitants d’une même localité ; ou bien de sous-sections d’une même tribu ; tous animés de leur spontanéité, sans organisation centrale, ni de lien hiérarchique avec l’état-major à Benghazi.
L’absence de chaîne de commandement, le manque d’officiers, le peu d’équipements lourds rendent ainsi très hypothétique une victoire militaire des rebelles, malgré toute la bonne volonté du colonel Heftir.
Washington Post, Libyan rebels strike to explain rift, 02/04/11
ABC News, Libyan Rebel Commander is from Fairfax Virginia, 30/03/11