Vintage electro (la chanson de Roland)

Publié le 06 avril 2011 par Dalecooper


Dans ce brutal rétropédalage permanent que constitue la dance-music britannique , les derniers efforts signés Boddika/Instra:Mental , Addison Groove , Om Unit , Mensah (The Resistance ) voire A1 Bassline (Shock Headed, une tuerie) semblent dessiner les contours d'un revival electro vintage qui ne demande qu'à s'amplifier. Par electro, il faut entendre non pas le terme générique qui s'est progressivement subsisté à celui de techno pour qualifier l'ensemble des courants musicaux électroniques des années 2000 (glissement sémantique qui, par ailleurs, mériterait que l'on s'y arrête) mais un genre qui tire son identité des triturations sonores issues de la Roland TR 808. Le mouvement electro et ses prolongements éventuels (le latin freestyle par exemple) s'est épanoui tout au long des années 80 et a cimenté par là-même l'une des fondations les plus méconnues à la fois du hip-hop et de la house tels qu'on les connaît aujourd'hui.
Instra Mental - When I Dip (NonPlus / 2011)

Addison Groove - Work It (Swamp81 / 2011)

Om Unit - Prawn Cocktail (Civil Music / 2011)

Tout commence au sein de l'émergente scène hip hop new-yorkaise lorsque le pionnier Afrika Bambaataa enregistre en 1982 avec le producteur Arthur Baker l'incunable Planet Rock . En reproduisant les lignes mélodiques de deux morceaux des teutons Kraftwerk , le morceau scelle l'alliance musicale fructueuse entre tradition industrielle européenne et funk afro-américain promise à un brillant avenir dans les décennies suivantes. L'electro est né.

Africa Bambaataa & Soul Sonic Force - Planet Rock (Tommy Boy / 1982)


Le génial Baker assisté par son acolyte John Robie ainsi que des producteurs proches tels les Latin Rascals capitalisent sur ce syncrétisme musical, qui s'amalgame un temps à l'essor du hip-hop tout entier, en multipliant les sorties estampillées electro à l'instar du Play At Your Own Risk de Planet Patrol , One More Shot de C-Bank ou Hip Hop, Be Bop de Man Parrish.

Planet Patrol - Play At Your Own Risk (Tommy Boy / 1982)


C-Bank - One More Shot (Next Plateau / 1982)

Profitant de la brèche ouverte , une multitude de laborantins explorent le nouveau genre à coups de beats syncopés , de scratchs vengeurs et de vocaux robotiques , enfantant de fait une mixture sonore futuriste comblant d'aise l'internationale naissante du breakdancing. L'histoire retient souvent le Clear de Cybotron , originellement un duo de funk au sein duquel officie Juan 'Pas Encore Magic Mais Si Quand Même' Atkins, ainsi que Al-Naafiysh (The Soul) signé Hashim et sorti sur l'influent label Cutting Records en 1983. On se doit d'y ajouter les productions délirantes des pionniers Egyptian Lover et Newcleus qui reformulent l'electro en y injectant une bonne dose d'afro-futurisme déconnant à la Georges Clinton.
Cybotron - Clear (Fantasy / 1983)

Hashim - Al-Naafiysh (The Soul) (Cutting Records / 1983)

Newcleus - Jam On Revenge (Mayhew / 1983)

Egytian Lover - Egypt, Egypt (Freak Beats Records / 1984)

Alors que le genre cartonne dans les clubs new-yorkais , en premier lieu à la FunHouse où mixe le dj Jellybean (auquel succèdera Little Louis Vega), il s'autonomise progressivement du hip-hop à mesure que l'on se rapproche du mitan des années 80. En effet, malgré l'existence de groupes comme Mantronix, qui maintient l'unité electro/hip-hop, les rappeurs privilégient de plus en plus un accompagnement musical basé sur le sampling et les breaks issus du funk (avec Kurtis Blow ou Marley Marl par exemple) alors que les producteurs electro intensifient leur tropisme hispanique jusqu'à renommer le genre latin freestyle (ou freestyle), soit une cyber-salsa organisant la collision improbable entre Tito Puente et un Atari 2600. Le titre Let The Music Play de Shannon sorti en 1983 fournit la matrice d' une nouvelle avant-garde à laquelle participent activement les Latins Rascals (dont les edits et remix sont légendaires). Si le mouvement est souvent perçu comme une version latine du hip-hop, il est travaillé par des dynamiques contradictoires en oscillant entre crossover pop et expérimentations underground.
Shannon - Let The Music Play (Emergency / 1983)

Xena - On The Upside (Break / 1983)

The Latin Rascals - Lisa's Coming (Tommy Boy / 1985)


Malgré une progressive agglomération au mainstream dans la seconde moitié des années 80 , nombre de producteurs visant le succès commercial, quelques morceaux freestyle tardifs préfigurent l'explosion house à venir si bien que certains titres sont perçus comme y participant pleinement, notamment en Angleterre où des groupes comme Nitro Deluxe font un carton.

Nitro Deluxe - Let's Get Brutal (Cutting Records / 1986)

Pourtant, hormis le cas Juan Atkins, l'electro n'a joué qu'une faible influence dans la naissance de la house et de la techno américaines , dans un contexte où les scènes musicales, respectivement Chicago et Detroit, étaient ultra-régionalisées. L'une se voulait au départ une version décharnée de la disco quand l'autre proposait une interprétation abstraite de la synth-pop européenne (si, si, c'est Derrick May qui le dit). Seuls les acteurs de la house new-yorkaise , tels Armand Van Helden , Todd Terry ou les Masters At Work, revendiquent au final une inspiration latin freestyle. Paradoxalement c'est sur la dance-music anglaise que l'electro a impactée le plus fortement et ce pour plusieurs raisons. La première tient à ce que Arthur Baker a très tôt produit des groupes britanniques , principalement Freeez ( IOU , tube énorme ) et New Order ( Confusion , tube énorme dont la video a été tournée à la FunHouse) . Ce dernier combo étant par ailleurs propriétaire du club Hacienda , il a très vite plongé dans la dance-music underground et a transformé sa discothèque mancunienne en haut-lieu de la house à la fin des années 80.
Freeez - IOU (Streetwise / 1983)

New Order - Confusion (Factory /1983)

Plus globalement, les B-Boys britanniques ont découvert conjointement le hip-hop et l'electro par l'intermédiaire des mythiques compilations Street Sounds (label anglais) qui offraient le meilleur des deux genres à la Perfide Albion. En résulte une multiplication des vocations locales qui posent les bases d'un mouvement rave idiosyncrasique . Nombre de producteurs house /techno british des origines sont ainsi des fans d'electro à l'instar de Bomb The Bass , LFO , 808 State ou Prodigy. Leur sensibilité hip-hop est donc souvent plus développée que celle de leurs coreligionnaires d'outre-Atlantique. Rien d'étonnant dès lors à voir resurgir aujourd'hui cette influence majeure chez leurs plus dignes héritiers qui rendent une nouvelle fois un hommage appuyé aux pionniers de la musique proto-techno.
Bonus Track :
Hashim - Al-Naafiysh (The Soul) (Cutting Records / 1983)