Deux mots sur deux concepts linguistique que la sémiologie de la publicité peut utiliser : ceux de compétence et de performance.
Dans l’étude citée plus haut, réalisée en 1980 pour la Woolmark, sur un corpus publicitaire pris sur Paris Match de 1950 à 1980 (il s’agissait de publicité autres que celles faites pour des marques de vêtements), on observait la disparition progressive des situations dans lesquelles les personnages masculins portaient un costume cravate. On identifiait là une tendance très lourde. Ce qui avait pour effet d'affecter la vente de la laine et inquiétait la Woolmark.
Ainsi une publicité des années soixante montre une famille faisant du dériveur, l’homme à la barre porte un costume cravate ; en 1960 on portait encore un costume trois pièces cravate le dimanche pour barrer un petit dériveur de week-end. La disparition progressive du costume s’est généralisée avec la disparition en parallèle des « espaces publics » ou de mise en scène traditionnelle de la vie quotidienne. Pour prendre un exemple on prenait le train « habillé » et on allait au wagon restaurant en cravate, alors qu’on prend l’avion en jean et tennis. On a assisté à la généralisation d’un type d’espace, espèce d’espace qu’on peut appeler « domestique » Avec notamment les interviews de Giscard en pull.
Mais l'usure de la "performance", qui affecte l’habillé : on porte de moins en moins de costume cravate, n'affecte pas la "compétence" : le système des signifiés.
La combinatoire "pull-jean" ne prend pas le sens "habillé ».
Le droit d'être négligé augmente, mais il ne change pas le sens de la langue pour autant. Car le sens de la norme se tire du système des oppositions et non de l'usage.
En matière de vêtement, il existe une loi appelée "loi de Laver" du nom d’un historien d’art anglais James Laver [1] qui dit que les unités et les combinatoires entrent par le bas : les vêtements de prolétaires, travailleurs, techniciens, etc. et sortent par le haut.
Le pantalon a été introduit par les sans-culottes. Le costume également étant celui en velours noir de l'artisan dont on parlait tout à l’heure.
Et sortent par le haut ; mais à une condition que ce soit un décret souverain du prince ; c’est ainsi que c’est Valéry Giscard d'Estaing qui fait disparaître l'habit de cérémonie en autorisant son remplacement et celui de la jaquette par le costume cravate "ordinaire".
Autrement dit en matière de vêtement seul souverain est en mesure de modifier la "compétence" du système vestimentaire, la langue du vêtement Et non le seul usage. Comme le serait une modification de la grammaire ou de l’orthographe du fait de l’Académie française. Plus exactement le prince entérine tôt ou tard l’usage mais ce faisant il modifie la grammaire du système, ce que l’usage ne pouvait pas faire
Compétence
Performance
Modification discontinue
Evolution continue
Décret de souveraineté sanctionnant =>
=> l'usage
La fonction "augustus" du prince
qui "augure" l'achèvement"
=> de la racine "augeo" j'augmente.
(Emile Benveniste)
Le prince décrète la date des vendanges. quand les raisins sont mûrs : ont fini d'augmenter
Le prince "augure" = prévoit la date et
"in–augure" l'événement.
Le principe s'étend en fait à la plupart des autres systèmes de signes. D'une façon générale, le prince décide de la langue, de l'art, du vêtement. Ce qui permet de comprendre que le champ de l’expression est du côté du pouvoir[2]. Comme on le voit dans les styles historiques. On peut rappeler que c’est Louis XIV, excellent danseur, qui a inventé et imposé les pas du ballet classique[3], les mouvements codés de l'escrime française et le "Classicisme" en général.
Que Pierre le Grand de son côté a imposé à la langue russe d'imiter la grammaire française.
De leur côté les Marques Industrielles, "consacrées", héritent du prince le droit souverain de créer des compétences dans différents domaines.
Une compétence de consommation alimentaire : MacDo
Une compétence linguistique, comme créer des mots, qui peuvent se lexicaliser, la marque étant à cet égard une instance de sémantisation : Danette, kleenex, frigidaire, rustine, fibrociment, Bic, etc.
Une compétence stylistique ou morphologique telle que créer des formes types auxquelles la langue ordinaire peut se référer (la bouteille de Perrier, Orangina, etc.)
Une compétence culturelle. C'est Coca-Cola qui a inventé le Père Noël (dans les années trente) ou plus exactement qui a habillé Santa Claus de ses couleurs, maintenant traditionnelles.
Pour en revenir aux trois fonctions, elles sont un modèle que l’on peut toujours utiliser pour interroger un univers quelconque, qu’il s’agisse de logos, de communications ou de design, modèle heuristique si l’on veut.
On a vu plus haut comment pouvait fonctionner sous cet angle l’univers de la voiture et qu’on pouvait ranger les voitures, selon les trois fonctions. Le marché fait « imiter » aux voitures dans un espace d’ordre deux des fonctions qui existent dans un espace d’ordre Un.
On ne roule pas dans un char d’assaut mais on imite ledit char dans le Hummer ou le 4X4.
La Jeep a été ainsi un véhicule transfuge passant du champ de bataille à la route nationale, engendrant beaucoup de sous-modèles.
De même on ne circule pas dans une formule Un, qui roule dans le site propre des circuits, mais on l’imite avec les voitures dites « sport ». Et de leur côté les breaks et pickup imitent la fonctionnalité de production de véhicules utilitaires.
Ce mécanisme d’imitation se retrouve dans le vêtement où la mode peut s’inspirer de tissu militaire (sac Prada en toile de parachute) ou de formes issus du sport et notamment des sports extrêmes.
Le marché libéral est le lieu de transposition des servitudes et des contraintes qui, dans leur champ propre sont inélastiques, pour s’en servir comme valeur de signe et par là d’objet de consommation. On peut faire la sémiologie d’un Hummer ou d’un 4X4 par les signes d’imitation divers alors qu’il est plus difficile de faire la sémiologie d’un char d’assaut du fait de la quasi inélasticité entre les fonctionnalités et leur figuration.
(En annexe quelques exemples de voitures figuratives).
[1] James Laver (1899–1975), écrivain, historien d’art, conservateur des estampes, dessins et peinture au musée Victoria Albert Museum, pionnier de l’histoire de la mode et décrit comme "the man in England who made the study of costume respectable". Histoire de la Mode et du Costume. Paperback.
[2] L'asservissement politique de l'art.
[3] Avec Lulli
[4] Ceux pour lesquels il faut un permis autre que touriste.