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Négritude

Publié le 06 avril 2011 par Marjoriem

A tous ceux qui se demandent pourquoi aller en Afrique, je réponds par ce bel extrait d’un poème d’Aimé Césaire. Que découvre-t-on, sur cette terre rouge où vivent « ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole »? Une autre façon de vivre avec la nature « sans la dompter », et de la pitié pour nous autres occidentaux « omniscients et naïfs » dont les « raideurs d’acier transpercent la chaire mystique ».

« ô lumière amicale
ô fraîche source de la lumière

ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole
ceux qui n’ont jamais su dompter la vapeur ni l’électricité
ceux qui n’ont exploré ni les mers ni le ciel
mais ceux sans qui la terre ne serait pas la terre
gibbosité d’autant plus bienfaisante que la terre déserte
davantage la terre
silo où se préserve et mûrit ce que la terre a de plus terre
ma négritude n’est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour
ma négritude n’est pas une taie d’eau morte sur l’œil mort de la terre
ma négritude n’est ni une tour ni une cathédrale

elle plonge dans la chair rouge du sol
elle plonge dans la chair ardente du ciel
elle troue l’accablement opaque de sa droite patience.

Eia pour le Kaïlcédrat  royal !
Eia pour ceux qui n’ont jamais rien inventé
pour ceux qui n’ont jamais rien exploré
pour ceux qui n’ont jamais rien dompté

mais ils s’abandonnent, saisis, à l’essence de toute chose
ignorants des surfaces mais saisis par le mouvement de toute chose
insoucieux de dompter, mais jouant le jeu du monde
véritablement les fils aînés du monde
poreux à tous les souffles du monde
aire fraternelle de tous les souffles du monde
lit sans drain de toutes les eaux du monde
étincelle du feu sacré du monde
chair de la chair du monde palpitant du mouvement même du monde !
Tiède petit matin de vertus ancestrales

Sang ! Sang ! tout notre sang ému par le cœur mâle du soleil
ceux qui savent la féminité de la lune au corps d’huile
l’exaltation réconciliée de l’antilope et de l’étoile
ceux dont la survie chemine en la germination de l’herbe !

Eia parfait cercle du monde et close concordance !

Écoutez le monde blanc
horriblement las de son effort immense
ses articulations rebelles craquer sous les étoiles dures
ses raideurs d’acier bleu transperçant la chair mystique
écoute ses victoires proditoires trompeter ses défaites
écoute aux alibis grandioses son piètre trébuchement
Pitié pour nos vainqueurs omniscients et naïfs !

Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal (extrait), 1939



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