« Aussi, quand l’UMP propose qu’un ministre du culte ne puisse pas avoir de lien de subordination avec un État étranger, je me demande si ce parti se souvient que le Vatican est un État. Va-t-on interdire aux évêques d’avoir un lien avec le Pape ?«
« N’oublions pas que nos concitoyens musulmans payent pour l’entretien des cathédrales. »
Eva Joly juge, candidate à la candidature présidentielle chez les écologistes, estime que la laïcité ne doit pas conduire à effacer les signes d’appartenance religieuse
Eva Joly, en décembre 2009, au Parlement européen (Photo : Pietro Naj-Oleari/European Parliament).
Si la laïcité revient au premier plan du débat politique, n’est-ce pas le signe qu’elle n’est plus une évidence ?
EVA JOLY : Je ne le pense pas. Nous avons plus de cent ans d’expérience de la laïcité et cette idée reste plus que jamais un pilier de notre République. Le problème n’est donc pas la laïcité mais la chasse ouverte par l’UMP sur les terres du FN.
Le pouvoir a sciemment décidé d’utiliser le mécanisme du bouc émissaire, laissant croire que nos problèmes ont une explication simple : l’étranger, l’autre. Il cherche ainsi à dévier la colère légitime des citoyens contre les promesses non tenues de 2007.
Cette stratégie de manipulation est dangereuse, elle est surtout absurde car chacun sait bien que notre détresse n’a pas pour origine l’étranger.
Dans une tribune récente, vous défendiez une « laïcité raisonnée » contre le laïcisme. Est-ce différent de la laïcité positive de Nicolas Sarkozy ?
À mes yeux, la laïcité ne doit pas conduire à bannir de l’espace public les femmes voilées, les hommes qui portent la kippa ou les prêtres qui portent la soutane. J’appelle au contraire à une tolérance pour toutes les expressions religieuses qui ne menacent nullement notre vivre ensemble.
Nicolas Sarkozy, lui, cache derrière le vocable de laïcité positive une campagne islamophobe. On voit où cela mène quand après Brice Hortefeux, c’est maintenant Claude Guéant qui dit que le nombre de musulmans pose problème. Ce type de propos est de la dynamite.
Y a-t-il selon vous un problème particulier de l’islam dans la République ?
Je ne le crois pas. Il y a en France une volonté d’intégration largement partagée. Bien sûr, le racisme rode partout, mais le rôle d’un gouvernement n’est pas de l’exacerber. Il n’y a donc aucune raison de traiter une religion différemment.
Aussi, quand l’UMP propose qu’un ministre du culte ne puisse pas avoir de lien de subordination avec un État étranger, je me demande si ce parti se souvient que le Vatican est un État. Va-t-on interdire aux évêques d’avoir un lien avec le Pape ?
Alors que la République ne fait aucune distinction entre les citoyens, faut-il ouvrir des droits différents en fonction de l’appartenance à une communauté ?
Évitons les positions radicales qui excluent les solutions pratiques. Il y a dans notre République beaucoup de lieux de culte catholiques qui appartiennent aux collectivités locales et sont entretenus sur fonds public. N’oublions pas que nos concitoyens musulmans payent pour l’entretien des cathédrales.
Il faut donc trouver des solutions pour contribuer à résoudre le problème des lieux de culte. Il ne s’agit pas de les financer mais de trouver de solutions originales comme le font déjà certaines communes. Je ne pense pas qu’il faille rouvrir la loi de 1905, mais on peut trouver sur bien des sujets des compromis pour avancer.
Faut-il imposer de nouvelles règles de neutralité aux agents de la fonction publique, mais aussi sur certains lieux travail comme les crèches ?
Je trouve que le fait d’interdire aux mères portant un foulard de monter dans un bus pour accompagner une sortie scolaire n’est pas justifié.
En quoi cela est-il gênant ? Plutôt que de stigmatiser, pourquoi ne pas plutôt mettre en avant tous ces directeurs d’école qui font des choses formidables pour impliquer ces mères dans la vie scolaire et les faire participer à la réussite de leurs enfants ? Pourquoi se priver d’outils d’intégration en raison d’un calcul politique grossier ?
Peut-on être écologiste et porter le voile ?
Lorsque je discute avec les femmes, à Montreuil ou ailleurs, très vite je ne vois plus le voile ou le chapeau que portent les Maliennes. La même question pourrait être posée pour la croix, la kippa, le turban !
Aucune personne qui souhaite s’engager dans le débat public ne doit être exclue en fonction de ses croyances. Cette personne pourrait même être un pont entre les communautés et se priver de cette richesse serait une erreur.
Vous mettez en avant la diversité comme une richesse. Comment en convaincre certains Français qui doutent ?
C’est effectivement une vraie difficulté, tant le désespoir et la défiance envers la classe politique sont authentiques et généralisés. Bien sûr, les idées simplistes passent mieux que les idées compliquées. Il faut donc dire aux gens que leur colère est compréhensible, mais que les remèdes qu’on tente de leur vendre ne sont pas les bons.
En ce qui concerne la présidentielle, Nicolas Hulot a très mal pris les règles du jeu de la primaire votées par le parti écologiste. Quel message auriez-vous envie de lui adresser ?
Je veux lui dire : Cher Nicolas, tu es attendu chez nous. Tu as toute ta place. » À un moment historique pour l’écologie politique, dans une période où l’opinion est frappée de désespoir, il ne faut pas nous diviser. Le fait de réserver le vote aux adhérents et aux ‘coopérateurs’ du parti n’est pas une fermeture du corps électoral en ta défaveur. Toi qui as tant de supporteurs, fais les venir dans notre mouvement et ils pourront ainsi voter pour toi… et éventuellement pour moi. »
Recueilli par Mathieu CASTAGNET
Eva Joly : « J’appelle à une tolérance pour les expressions religieuses » – France – la-Croix.com.