Censée limiter les conflits d’intérêts au Parlement européen, la « déclaration d’intérêts financiers » est loin de tenir ses promesses, faute de contrôle.
Eva Joly, ici après le résulat des élections européennes, le 7 juin 2009. La députée d’Europe Écologie est l’une des rares élues de l’Hexagone à respecter scrupuleusement les règles du jeu. Philippe Wojazer / ReutersDerrière chaque fauteuil du Parlement européen, le conflit d’intérêts guette. Bruxelles grouille de plus de 15 000 lobbyistes, qui côtoient des bataillons de députés européens eux-mêmes souvent avocats, agriculteurs, fonctionnaires ou actionnaires de géants de l’industrie ou de fonds de pension.
Alors, pour limiter les abus flagrants, des règles du jeu ont été édictées : interdiction pour les eurodéputés de « recevoir tout don ou libéralité dans l’exercice de leur mandat » et obligation, une fois par an, de consigner par écrit « ses activités professionnelles ainsi que toute autre fonction ou activité rémunérée » et « les soutiens financiers, en personnel ou en matériel », en remplissant une DIF, une déclaration d’intérêts financiers. Bref, si l’on peut être élu européen et président du conseil d’administration de Dexia comme le social-chrétien belge Jean-Luc Dehaene ou administrateur d’Eurotunnel et de Cetelem comme le Modem français Robert Rochefort, il faut le dire.
48%C’EST LE POURCENTAGE DES EURODÉPUTÉS FRANÇAIS qui collectionnent les mandats électoraux, ce qui fait d’eux les champions du cumul au Parlement européen.Mais cet effort de transparence louable sur le papier relève beaucoup de la poudre aux yeux. Car si ceux qui ne fournissent pas ce document risquent jusqu’à la suspension, aucune sanction n’est prévue pour les oublis, les omissions ou les fausses affirmations. « Les déclarations sont établies sous la seule responsabilité politique des députés, le Parlement européen n’a aucun moyen de contrôle », avoue Joao Correa, chef de l’unité des activités des députés. Du coup, la lecture des DIF des eurodéputés est devenue un révélateur des pratiques nationales en matière de transparence.
Avantages matériels ou financiers minorés
Les Français y apparaissent d’abord comme des champions du cumul des mandats électifs : 48 % des députés tricolores portent plusieurs casquettes. A l’image du chrétien-démocrate Philippe Boulland, à la fois conseiller général de l’Oise, adjoint au maire de Betz et… député européen. Un contraste saisissant avec les parlementaires britanniques, espagnols et polonais, qui ont abandonné leurs autres mandats pour Strasbourg.
Si nos compatriotes n’ont aucun problème à afficher leur goût pour le cumul des mandats dans la catégorie « fonctions rémunérées », rares sont ceux qui confessent les avantages matériels ou financiers accordés dans ce cadre.
C’est aux extrêmes de l’échiquier politique que l’on relève les comportements les plus vertueux. Les députés les plus transparents sont ainsi les élus du Front national. Les Le Pen, père et fille, tout comme Bruno Gollnisch, ont rempli consciencieusement leurs déclarations avec force détails. L’élu de la région Rhône-Alpes va jusqu’à déclarer comme avantage l’utilisation du fax et du téléphone de sa permanence !
Mais, sans surprise, la plus précise de tous est Eva Joly (Europe Ecologie), ancienne magistrate tête de proue de la lutte contre la corruption : elle détaille par le menu ses fonctions de conseillère spéciale auprès des gouvernements islandais et norvégien, ainsi que son poste de professeur à l’université de Tromsö. « Personne n’a jamais vérifié ma déclaration, reconnaît Eva Joly. Une des revendications des Verts est justement la création d’un poste de compliance officer qui vérifierait l’exactitude de ces déclarations, puis rendrait compte au Parlement et au président de la Commission. »
Hormis ces exceptions, les eurodéputés français ne brillent pas par leur sérieux. Aussi, les « rien à déclarer » sont légion (28 sur les 72 députés de la délégation française). Pis, près de 20 % des élus tricolores n’ont pas actualisé leur déclaration depuis 2009, parmi lesquels Jean-Luc Mélenchon. Alors que l’annexe I du règlement précise que « les déclarations doivent être mises à jour chaque année ». La socialiste Pervenche Berès est la seule à mentionner une invitation (par BNP Paribas, au tournoi de tennis de Paris-Bercy). Aucun eurodéputé français ne détaille ses voyages extracommunautaires ou ses « missions d’études », même justifiées. Au mieux, ils admettent leurs droits d’auteur sans en préciser les montants, à la différence des Italiens.
Les usages britanniques sont encore plus stricts
Rassurons-nous, les Français ne sont pas les seuls à négliger cette formalité réglementaire. Les Slovènes ont tous rendu copie blanche, tandis qu’une seule députée chypriote a pris le soin de remplir avec quelques détails ce document. Les pays du Nord ne font guère mieux, puisque cinq Finlandais sur treize n’ont pas remis leur déclaration à jour depuis 2009. En réalité, les seuls à jouer le jeu sont les Britanniques, qui semblent avoir la plus grande culture de la transparence. Même avant les scandales autour des notes de frais à Westminster, les députés anglais étaient déjà les plus sérieux.
Circulez, les eurodéputés n’ont rien à déclarer – LExpansion.com.