Vers une nouvelle jeunesse du best-seller d’Airbus.
Les idées les plus simples sont souvent les meilleures. Mais il peut ętre délicat d’en juger sur un ton définitif, tant l’observateur, fűt-il journaliste, peut éprouver des difficultés ŕ séparer le bon grain de l’ivraie ou, si l’on préfčre, ŕ différencier info et intox. En cette matičre, chacun ŕ sa façon, Airbus et Boeing sont orfčvres, sans méchanceté aucune, certes, mais toujours pręts ŕ glisser une petite beau de banane sous le pied de l’adversaire.
De telles remarques légčrement sournoises, reconnaissons-le, traversent furtivement l’esprit de tous ceux qui, ŕ un titre ou ŕ un autre, cherchent ŕ trouver leur chemin et la voie de la sagesse dans le nouvel épisode de l’affrontement qui oppose depuis peu A320 et 737. Airbus fonce aujourd’hui tęte baissée, brűle les étapes, cherche ŕ imposer trčs vite l’A320 NEO (New Engine Offer), accumule déjŕ les succčs, annonce des lendemains qui chantent. Dans le męme temps, les hauts dirigeants de Boeing nous disent qu’ils réfléchissent, qu’ils évaluent les différentes options qui sont sur la table… Ils annonceront la couleur plus tard.
John Leahy, tout puissant directeur commercial d’Airbus (notre illustration), passé maître dans l’art de vendre des avions, produit qu’il a largement contribué ŕ banaliser, capable, calculette ŕ la main, d’expliquer pourquoi son offre du moment est de toute évidence meilleure que celle de ses Ťamisť de Seattle (Ťour friends in Seattleť, formule récurrente qui ne peut qu’agacer sérieusement lesdits pseudo-amis). Le problčme : sous l’impulsion de l’inoxydable Leahy, Airbus vient peut-ętre de trouver l’œuf de Colomb sur le marché des court/moyen-courriers.
Qu’on en juge : Airbus a choisi d’investir un milliard et demi de dollars (une bagatelle par rapport au coűt de développement d’un avion ŕ 100% nouveau) pour développer l’A320 NEO et semble bien parti, une quinzaine de semaines seulement aprčs l’annonce de cette décision, pour toucher le jackpot. Déjŕ 332 commandes, d’autres en négociation, la prévision de franchir un premier cap de 500 exemplaires dčs le prochain salon du Bourget. Leahy, qui a le sens de la formule et manie les superlatifs mieux que quiconque, résume tout cela en quelques mots : Ťnous vendons une centaine de NEO par mois, nous en vendrons 6.000, la carričre industrielle de la famille A320 est appelée ŕ s’étendre sur 40 ansť. Seattle appréciera, sachant qu’il y a lŕ beaucoup plus d’info que d’intox.
Mieux, le NEO séduit parce qu’il affiche des coűts d’exploitation en recul de 15% environ alors que son prix de vente est augmenté d’ŕ peine 6 millions de dollars. Mieux, ce sont les moteurs qui assurent l’essentiel de cette amélioration, grâce ŕ des travaux importants qui sont financés, non par l’avionneur, mais bien par Pratt & Whitney, d’une part, le tandem Snecma/General Electric d’autre part. Dans ces conditions, il n’est sans doute pas exagéré de parler de jackpot. Pour qui pourrait en douter, il suffit de rappeler que la cadence de production de la gamme A320 va ętre accrue, toutes variantes confondues, NEO ou pas et passer ŕ 40 exemplaires par mois (au lieu de 36) dčs 2012. Puis, peut-ętre 42 ou 44, plus tard, du jamais vu dans l’histoire de la construction aéronautique civile, cela pour éviter des délais de livraison exagérément longs.
Ce tempo endiablé se traduit aussi par une accélération du développement du NEO qui sera livrable dčs octobre 2015, et non plus en 2016. Il faut battre le fer tant qu’il est chaud, męme s’il s’agit d’une affaire de longue haleine. Leahy évite soigneusement de sur-jouer, il tente de contenir son enthousiasme mais, ŕ mi-chemin d’une présentation menée au pas de course, il ne peut s’empęcher de lâcher un joyeux Ťabsolutely fantasticť. Tout va se passer ŕ un train d’enfer, sachant qu’il convient de néo-niser trois avions (A319, A320, A321), chacun proposé avec deux types de moteurs. D’oů un programme d’essais en vol qui fera appel ŕ non moins de huit prototypes.
Plus pondéré, comme l’exige sa fonction hautement technique, Tom Williams, directeur de l’ensemble des programmes d’Airbus, contribue ŕ sa maničre ŕ justifier le lyrisme de son acolyte. Il rappelle que le NEO est un Ťsimpleť dérivé d’un avion lancé en 1984, entré en service en 1988 et amélioré, retouché, peaufiné sans relâche au fil des années. Il repose de ce fait sur le principe des techniques évolutives (mais cette expression n’a curieusement pas cours ŕ Toulouse) en męme temps que sur des modifications limitées au strict minimum. Hors nouveaux moteurs, le NEO bénéficie tout au plus de quelques renforcements de structure tandis que de nouveaux mâts sont prévus pour installer des réacteurs plus lourds. Sans plus.
Tom Williams utilise un néologisme comme les apprécient les Anglo-Saxons. Il explique que sa tâche consiste aussi ŕ évacuer les risques que pourrait comporter la création du NEO, Ťde-risk the programmeť. Traduira qui pourra mais tout le monde comprend, en franglais dans le texte. Pour le reste, rien ne change, et surtout pas les fournisseurs qu’on imagine ravis.
Sans en revenir ŕ ses amis de Seattle, Leahy préfčre dire, une fois de plus, que le Bombardier C.Series n’a pas d’avenir, et le Chinois C919 encore moins. Pire, il n’accorde męme pas une petite mention au MS 21 russe. Notre homme est tout simplement aux anges, ce que chacun peut comprendre…
Pierre Sparaco - AeroMorning