Il m’aura fallu la grosse bourde de Frédéric Lefebvre confondant allégrement le conte philosophique de Voltaire «Zadig ou la destinée» et la marque de fringue «Zadig et Voltaire» dont j’ignorais jusqu’à l’existence de même que le ministre du Commerce ne devait avoir qu’un vague souvenir du titre de l’ouvrage dont il disait pourtant faire quasi son livre de chevet ! Sur la table de chevet de Frédéric Lefebvre ? «Zadig et Voltaire» ! (Libération, 4 avr. 2011)… «C’est une leçon de vie, je m’y replonge assez souvent»… Tu parles ! Quand il a piscine ? ou de préférence dans un “fauteuil Voltaire”…
Pour ma part, je n’ai pas de «livre de chevet» car si je lis surtout au lit, je change fréquemment de lectures et une fois parvenue au mot “fin”, les ouvrages rejoignent une de mes bibliothèques. Parfois, trois ou quatre livres sur ma tablette ou à côté, que je lis selon mon humeur ou mon état de fraîcheur, y compris intellectuelle. Je profite aussi de la position allongée pour parcourir Marianne ou le Canard Enchaîné.
Certains parlent de «lapsus» «Zadig et Voltaire» : Frédéric Lefebvre star du Net après son lapsus (20 minutes 4 avr. 2011) mais cela n’a rien à voir. Un lapsus consiste à prendre involontairement un mot pour un autre. Dans le cas de la sortie de Frédéric Lefebvre, c’est bien carrément une «bourde» qui fait rire la toile (Le Figaro du 4 avr. 2011) - «culturelle» pour L’Express (4 avr. 2011) qui n’anonce pas moins dans l’article qu’il aurait commis un «petit lapsus» - ou d’une «Gaffe». Frédéric Lefebvre fan de “Zadig et Voltaire”… (Le Télégramme, 4 avr. 2011).
Les internautes se sont bien entendu déchaînés en proposant notamment sur Twiter toute une série de titres aussi fendards les une que les autres pour refaire la bibliothèque de Frédéric Lefebvre avec “Zadig et Voltaire” (Le Point du 4 avr. 2011) Emmanuel Berretta en donnant le plus vaste aperçu. Cela va de «Ainsi parlait Zara (Sousthra)» de Nietzsche à «Alpha Roméo et Juliette» de William Shakespeare en passant par «Du côté de chez Swatch» de Marcel Proust, «1664» de George Orwell – à la bonne vôtre ! – «Le Capital» de Marx & Spencer» en ayant garde d’oublier «Naf-Naf» de Zola…
La liste, déjà impressionnante, ne cessant paraît-il de s’allonger au gré de l’humour des internautes…Bien évidemment, la moquerie et la parodie sont le premier réflexe. Salutaire. Mais le rédacteur en chef du NouvelObs Serge Raffy prend “Un coup de sang” : “Zadig ta mère !” (NouvelObs 4 avr. 2011) que je trouve tout à fait justifié : «Le lapsus de Frédéric Lefebvre témoigne d’une époque où certaines élites (?) financières qui ne voient plus dans la littérature qu’un médiocre passe-temps pour losers de banlieue»… Je suis forcément une loser de banlieue puisque quoique pauvre – j’ai forcément raté ma vie car à presque 64 ans je n’ai pas de Rolex bien bling-bling !
ou autres montres de grand luxe à arborer comme signe distinctif de m’atuvisme – je n’en défends pas moins le goût de la (vraie) littérature de toutes les époques. Voltaire faisant en outre partie de mes auteurs préférés.Je pense que le titre qui conviendrait le mieux à Frédéric Lefebvre et ses semblables – margoulins - serait «Le Bonheur d’Etam» selon Emile Zola.
«C’est l’époque dans laquelle on vit. Il faut s’y faire. Un ministre de l’Education, ancien DRH de L’Oréal, Luc Chatel, prétend tranquillement qu’il n’est pas nécessaire de maîtriser la langue française pour apprendre l’anglais. Un autre, Frédéric Lefebvre, secrétaire d’Etat au commerce, commet un colossal lapsus en plein salon du Livre parisien, citant comme livre de chevet le fameux “Zadig et Voltaire”, marque célèbre du vêtement déstructuré et férocement bling-bling».
Eh ! Oui : «A quoi bon maîtriser la langue de Victor Hugo quand la plupart de nos gouvernants ont pour l’enseignement de notre idiome - et les enseignants chargés de le transmettre qu’ils traiteraient de «Bande d’idiomes» ! - un profond mépris (…) A quoi bon s’échiner à apprendre une langue presque morte alors que l’anglais est le sésame obligatoire pour entrer dans le cénacle des traders et autres porteurs de Rolex et quand Nicolas Sarkozy qui n’est pas un linguiste émérite aurait plutôt tendance à massacrer les concordances des temps et les liaisons avec une frénésie sans retenue, et même une certaine jouissance ? (…)
«L’alphabet du marketing reflète une incroyable défaite des mots face au marché : il suffit de lire la novlangue du web pour saisir qu’une guerre secrète a été perdue, que l’alphabet du marketing a progressivement remplacé celui de la littérature». En suggérant de lancer une marque de jeans intitulée «Salambô et Flaubert» Serge Raffy exprime parfaitement le malaise que j’éprouve depuis hier matin.
Comment des margoulins ont-ils pu s’approprier le nom de «Zadig et Voltaire» ? J’ai pensé instantanément à ce qu’écrivirent en 1991 Gilles Deleuze et Félix Guattari dans «Qu’est-ce que la philosophie» - rapporté par Charlie-Hebdo dans le Hors-Série «A bas la pub» au sujet de l’appropriation par le marketing et la publicité du terme hautement philosophique de «concept»… Ils commettent exactement le même hold-up culturel en s’appropriant le nom d’un auteur classique associé au titre d’une de ses œuvres. Dévalorisation de la culture témoignant à l’envi du relativisme ambiant : tout se vaut !
Comment le public à qui ils s’adressent et qui fort malheureusement n’a plus qu’une très vague idée des grands auteurs et de leurs œuvres ne serait-il pas dupe ? Soyons toute fois optimistes : Nicolas Sarkozy en traitant «La princesse de Clèves» de Madame de La Fayette comme de la merde qu’il n’était plus nécessaire d’enseigner a suscité l’intérêt du public. Nul doute qu’il en soit de même pour «Zadig ou la destinée» : j’ai d’ailleurs vu sur le Nouvel Obs Le Voltaire favori de Frédéric Lefebvre (Nouvel Obs, 4 avr. 2011) qu’il était proposé par Librio à 1,90 euro… Vive la littérature !
Un peu “statue du commandeur”, non ?