1643. A la mort de son père, la jeune Émilie Le Guilvinec quitte sa Bretagne natale pour devenir préceptrice dans le Marais, à Paris, chez la comtesse Arsinoé de La Tour. Sa culture, son esprit et sa fraîcheur lui ouvrent la porte des salons littéraires. Emilie rencontre les fameuses précieuses qui se piquent de lettres et d’érudition. L’ambitieuse suscite vite des jalousies. Dans les tourments du royaume déchiré par la Fronde qui traumatise Louis XIV enfant, l’attachante bretonne se débat au cœur des jeux de pouvoir et confie à son journal ses troubles, ses rêves, ses passions aussi. Saura-t-elle se jouer de l’arrogance et des volte face de cette noblesse dont elle ne partage pas le sang ? Maintiendra-t-elle son rang au milieu de ces brillantes amazones qui excellent dans l’art de la conversation et de la raillerie ? Pourra-t-elle aimer l’homme qu’elle a choisi plutôt que celui qu’on lui impose ? Son ascension la conduira-t-elle à sa perte?
Auteur d’une douzaine d’ouvrages, dont Les Grandes Bourgeoises chez JC Lattès, Emmanuelle de Boysson aime les destins de femmes. Présidente du Prix de la Closerie des Lilas, journaliste et critique littéraire, elle défend la nouvelle littérature féminine.
Le salon d’Émilie est un roman historique, c’est aussi l’histoire d’une provinciale, une petite bretonne lettrée qui rêve de conquérir Paris et de devenir une femme de lettres et d’esprit. Vous situez l’action pendant la Fronde et dans un Paris où les salons littéraires jouent un rôle considérable, pourquoi ce choix ?
Lorsque Guillaume Robert, éditeur chez Flammarion, m’a proposé d’écrire un roman pour une nouvelle collection « Le temps des femmes », trois livres sur trois générations d’artistes, il m’a suggéré le XVIe siècle. Ca tombait bien ! C’est la période que je préfère, son idée m’a emballée. J’ai eu envie de me plonger dans le monde des salons littéraires qui m’ont toujours fascinée. Les précieuses m’intriguaient. Etaient-elles si ridicules que le pensait Molière ? Je suis présidente du Prix de La Closerie des Lilas, une sorte de salon où des femmes du monde des arts et des lettres se retrouvent pour couronner un roman… de femme. Nous formons un groupe d’amies liées par des connivences et je me suis sentie proche de celles du XVIIe obligées de se défendre dans un monde de brutes. J’ai voulu en savoir plus. J’ai découvert que les salons, les ruelles (elles se réunissaient autour du lit de la maîtresse de maison) ont commencé pendant la Fronde – bien que le salon de la marquise de Rambouillet existât depuis 1618. La vogue des Précieuses correspond à un besoin de liberté lié à La Fronde. Je savais peu de choses de cette guerre fratricide. Démêler cet imbroglio fut un exercice passionnant : intrigues, volte-face, siège de Paris, morgue des princes, amazones extravagantes : tout est romanesque !
Le salon d’Émilie est le premier volet d’une trilogie où le destin des femmes sert de socle à la narration romanesque. Ce sujet qui vous tient très à cœur signifie-t-il que le rôle joué par les femmes est plus prépondérant que ce qu’on veut dire ?
Absolument ! Les frondeuses, comme la duchesse de Longueville (le sœur du Grand Condé) ou la Grande Mademoiselle ont joué un rôle clef pendant la Fronde, l’une a soulevé la Normandie, l’autre a libéré la ville d’Orléans. Les femmes de ce temps, surtout parmi les élites, ont eu une influence intellectuelle et artistique considérable dans une société tenue par les hommes. Elles ont animé des salons où elles découvraient des écrivains, les premiers académiciens, elles faisaient jouer les pièces de Racine et de Molière. Elles distillaient l’art de la conversation, les codes de la galanterie. Elles défendaient l’amitié homme/femme. Elles écrivaient des best-sellers, souvent sous pseudo, comme Clélie, de Melle de Scudéry dite Sapho. La littérature féminine s’est affirmée avec elles, en digne héritière de Christine de Pisan ou Hélisenne de Crenne. Les Précieuses ont réformé la langue, l’ont modernisé. Elles se passionnaient pour la philosophie, les sciences. Quand on pense que Melle de Scudéry prônait le mariage à l’essai, on se dit qu’elles étaient presque plus modernes que certaines d’entre nous ! Ce furent des pionnières, des féministes avant l’heure.
Émilie est une femme de caractère, elle sait ce qu’elle veut et pourtant, elle accepte d’épouser Georges de la Motte pour acquérir une situation sociale ; elle ne craint pas d’aimer le jeune Ronan qui appartient au même monde qu’elle mais elle ne peut vivre pleinement sa passion : elle est à la fois volontaire et ambiguë, est-ce un trait encore souvent présent chez les femmes d’aujourd’hui ou une contradiction qui tend à disparaître ?
Emilie n’a pas le choix, à l’époque, on ne divorçait pas. Si le mariage était blanc, il fallait le prouver devant tout le monde pour qu’il soit annulé ! Sans dote, préceptrice chez les La Tour, elle voit dans le mariage avec un magistrat veuf, deux fois plus âgé qu’elle et manchot, une occasion de sortir de sa condition. Cette union ressemble à celle de la future madame de Maintenon et de Scarron, elle est faite d’amitié, de respect. Les La Motte ont un fils, Guillaume. Emilie flirte un peu avec lui, jusqu’au jour où elle tombe amoureuse de Ronan : il est poète, libelliste. Divine surprise ! il est breton et a deux bras ! De cet amour clandestin, naît une fille, Blanche. Ronan voudrait qu’Emilie quittât tout pour lui. Aujourd’hui, une femme le ferait, mais Émilie est trop attachée à sa place dans le monde, à son rang, à ses biens. Elle est ambitieuse, libre, mutine, elle suit les conseils de Ninon de Lenclos : l’amour, pour durer, doit rester clandestin ! Elle croit en son étoile, se fie aux prédictions de la druidesse de Locronan. La Motte ferme les yeux, mais il ne veut pas que cette enfant bâtarde soit élevée au grand jour. Emilie décide alors de la confier à une nourrice – à l’époque, on n’accordait pas beaucoup d’importance aux enfants ! L’avenir lui donnera raison… Elle sera veuve et libre.
Vous avez procédé à beaucoup de recherches pour brosser le tableau d’une époque confrontée à des tensions politiques extrêmes et cependant votre roman n’est jamais encombré de détails pesants. Comment êtes-vous parvenue à restituer l’atmosphère de ce temps sans pour autant fatiguer le lecteur avec le moindre fatras historique ?
Comme Jacques Laurent, je privilégie le romanesque et l’écriture, l’humour, quand c’est possible. J’ai beaucoup d’admiration pour les historiens, les grands biographes comme Zweig qui sont capables d’interpréter l’histoire et d’en restituer l’esprit, mais je crois que pour écrire un roman historique, il ne faut pas être historien : on y perd en liberté, on se sent obligé d’étaler sa documentation, son savoir, on néglige des petits faits vrais de la vie. Le roman permet de ressusciter, autrement, parfois mieux - quand il s’agit de Dumas par exemple, d’Hugo, de Stendhal - une époque, un monde disparu. Transcender les événements, en jouer, mêler fiction et réalité, imaginer : une aventure exaltante, presque artisanale. Je fais plutôt confiance au mystère qui guide ma plume. Je rêve, je laisse venir des émotions, je suis souvent étonnée que les idées viennent en délirant. Parfois, je bloque bêtement. Mes personnages se vengent, séduirent, se battent… Ils font ce qu’ils veulent. Je recueille les morceaux, je sauve les blessés comme une brancardière. Quant au style, j’aimerais qu’on dise qu’il est naturel, même si je corrige sans relâche mon texte. Je cherche le mot juste, la simplicité, la clarté ; si je crée une petite musique, tant mieux ! Tout passe avec de l’humour. Je me moque de moi, comme je me moque de mes personnages. Je leur fais dire toutes sortes de vacheries, de bêtises et après, je sabre. J’adore décrire un milieu, des scènes entre femmes. Je m’inspire de leurs réalités. Un peu comme Proust pour la comtesse Greffule devenue la duchesse de Guermantes. J’ai la passion d’observer, de recueillir des confidences qui remontent parfois à la surface, sans tomber dans l’indiscrétion !
Vous êtes d’ascendance bretonne ou du moins en partie, le sang des Daniélou coule dans vos veines… Émilie habite d’ailleurs Locronan, le berceau de votre famille, elle en part pour y revenir, contre son gré. Quel rôle joue cette terre dans ce livre et vos héros sont-ils d’abord bretons ?
Mon roman commence à Locronan, cité médiévale où se suivent des générations de Daniélou. Enfant, je suis allée passer des vacances dans le manoir construit par mon arrière grand-père, Charles Daniélou, député de Châteaulin, maire de Locronan et écrivain. Grâce à lui, les maisons de la place ont été classées et préservées. Je garde un souvenir merveilleux du sculpteur Job, des processions des troménies… Emilie grandit à Locronan, élevée par un père lettré, un des rares habitants à parler le français. A la fin, elle s’installe dans le manoir Daniélou, un clin d’œil ! J’ai voulu qu’elle ait les qualités des Bretons : du caractère (elle est tête de mule), du courage, une foi paysanne, enracinée dans le druidisme et cette ouverture vers l’ailleurs, comme ce pays de la fin des terres tourné vers l’Océan, les Indes et le Nouveau Monde (le Canada).
Certes Émilie parvient, comme l’indique le titre de votre roman, à ouvrir un salon, à se faire un nom, à être admise dans le cénacle des Précieuses, mais elle ne parvient pas à s’émanciper totalement, est-elle en somme encore prisonnière de sa naissance ou victime de son ambition ?
Emilie, c’est moi. J’ai été cette jeune fille, timide, parfois gaffeuse, trop impatiente. Comme elle, j’écris depuis toujours, je tiens mon journal, je me suis mariée très jeune. J’ai désiré être reconnue dans le monde littéraire. Comme elle, j’ai voulu m’émanciper, mais se libère-t-on de son éducation ? On apprend à se connaître, à se protéger, à éviter de retomber dans les mêmes pièges (j’ai connu des humiliations qui m’ont inspirées la fin du roman, sans que je m’en aperçoive), à se faire confiance, à aimer. L’ambition est pour moi une force, encore faut-il avoir du talent ! Il y a tant de fausses valeurs parmi les écrivains d’aujourd’hui. Le succès n’est pas un gage de qualité stylistique : ça se saurait ! Prenez Jacques Laurent : il avait compris qu’il devait écrire Caroline Chérie pour devenir riche et créer des revues, comme La Parisienne.
Les dernières pages de votre roman laissent entendre que la fille d’Émilie, la petite Blanche, sera l’héroïne de la prochaine histoire, est-ce le cas ? Acceptez-vous de nous donnez quelques informations sur ce qui l’attend ?
Je suis en train d’écrire Le théâtre de Blanche. Nous sommes au début du règne de Louis XIV, à l’époque où le jeune souverain avait pour maîtresses Louise de La Vallière puis Athénaïs de Montespan qui mêlera Blanche à ses manigances pour conserver les faveurs du roi : messes noires, astrologie, poisons, poudres d’amour… Ca promet !
Emmanuelle de Boysson
Le Salon d’Émilie
Editions Flammarion