Lundi soir, j'avais mon contrôle, désormais annuel, de mes deux seins. J'ai droit à la totale, mammographie, échographie et IRM. Cette décision de faire les trois avait été prise voici deux ans à la suite de micro-calcifications suspectes vues dans mes seins. On ne me suivait alors que par IRM. Les radiologues avaient trouvé que c'était une erreur et avaient établi que je devais avoir le trio gagnant. Je suis un cas à part, même pour le cancer, je n'ai pas un suivi classique. Je sais très bien pourquoi. D'avoir eu des métastases d'emblée les affolent. Ils sont tellement persuadés que ma récidive n'est qu'une question de temps qu'ils ont peur de passer à côté et que le moindre petit changement les fait réagir de façon radicale. Mais c'est pour mon bien, pour rester vivante, pour taper sur le cancer le plus rapidement possible s'il se décidait à reprendre un peu de vigueur.
Je vous résume rapidement l'histoire de mes seins depuis le cancer :
- voici 5 ans, en avril 2006, biopsie du sein gauche, celui que je nomme le malmené, siège du cancer. Elle avait été réalisée, sous anesthésie locale, avec une sorte de pistolet à air comprimé, un coup sec, des petits tubes s'enfoncent dans ma chair et ressortent remplis de tissus à analyser pour confirmer que c'était bien cancéreux...
- voici 4 ans et demi, septembre 2006, tumorectomie du sein malmené, anesthésie générale, on lui a enlevé un quart pour analyse après les cures de chimios pour vérifier que j'étais bien en rémission.
- Tranquille jusqu'à fin mars 2009 à part des IRM à répétition qui me donnaient envie de vomir dans le tube dès qu'on m'injectait le produit de contraste, tellement j'avais peur de ce que pouvait voir le radiologue à ce moment sur les images, tellement je craignais que le cancer revienne.
- Fin mars 2009, voici 2 ans, panique générale "Des spots ont cassé ma sérénité". La radiologue voit des micro-calcifications dans mon sein normal. Ça change de sein pour une fois. Le lendemain, programmation en urgence de mammographie et échographie des deux seins. Le sein malmené ressort avec une très mauvaise note, recalé à l'examen : ACR4. Pour ceux qui n'ont pas suivis, on mesure le risque de cancer des cellules du seins par une échelle ACR qui varie entre 1 et 5. 1, c'est normal, 5 c'est cancéreux.
On programme un mammotome mais quand je veux, il n'y a pas d'urgence. Entre temps je vois mon oncologue qui me rassure pas mal : "Suite et fin de ma semaine Contrôles". Je reviens trois semaines après subir cette torture sans nom. On m'a bien fait une cinquantaine de perforation dans le sein. Le lendemain soir, coup de fil du radiologue que j'ai élu depuis comme étant celui qui doit me suivre. Il m'annonce que les prélèvements sont sains. Je repasse ACR3. Trois mois après, on me refait des clichés, je repasse à ACR2.
- L'an dernier, février 2010, rien à voir, tout est normal. Heureusement car ce contrôle des seins servait aussi au chirurgien chargé de m'arranger les seins. C'est le chef du service de la reconstruction du centre anti-cancer de Lyon, c'est un familier du cancer. Il avait ordonné que je passe un bilan par ce radiologue justement, ça tombait bien, c'était aussi celui que je voulais, ou quelqu'un de son équipe. Il fallait que le bilan soit ok pour qu'il me fasse deux lipomodelages, un début mars 2010 sur les deux seins, l'autre, fin septembre 2010, uniquement sur le sein malmené.
Un lipomodelage permet de combler le sein en prélevant de la graisse dans une autre partie du corps et de la réinjecter dans le sein. Autrement dit, le sein normal a reçu de la graisse voici un an et a eu le temps de l'assimiler. Le sein malmené a reçu de la graisse à deux reprises et la dernière fois remonte à 6 mois. Cette injection de graisse entraîne un remaniement des tissus du sein. Sa structure est forcément changée.
Et pour cette année, 5 ans après le début du cancer :
Lundi soir, mars 2011, à la sortie de la mammographie et de l'échographie, mes seins ont droit à ACR2. Le radiologue sait que j'ai eu ces deux lipomodelages et est familiarisé avec cette méthode. Je lui ai même amené les deux compte-rendus opératoires.
A la sortie de l'IRM, deuxième fois seulement que je n'ai pas envie de vomir pendant l'examen, il vient me voir et m'annonce que les deux seins se réhaussent quand on a injecté le produit. On envoie du glucose, les cellules cancéreuses en raffolent, se goinfrent de ce liquide et elles sont révélées par des tâches blanches sur les clichés obtenus. Là, pas de chance, il a vu un peu de cellules réagir. Elles sont toutes autour de la cicatrice. Dans le droit, ça ne l'inquiète pas du tout, ça avait fait pareil l'an dernier, presque rien. Dans le malmené, il ne peut pas laissé passer sans analyse ces réactions des cellules, mon sein gauche est classé ACR4.
Comme voici 2 ans, il me dit que c'est sûrement inflammatoire et lié aux lipomodelages mais qu'il faut faire un prélèvement. J'étais tétanisée à l'idée de refaire un mammotome : "Mammotome ou comment ils m'ont torturée". J'ai fini par lui demander comment il allait faire cette biopsie. Ouf, pas de mammotome, une biopsie comme j'ai eu au tout début, voici 5 ans. Il faut bien varier les tortures...
Il ajoute qu'il n'y a pas d'urgence. J'ai l'impression de revivre la même situation qu'il y a deux ans, inflammatoire, pas d'urgence. Oui mais là, à la différence de 2009, où j'ai pu choisir de ne revenir faire le prélèvement que 3 semaines après. Il demande à la secrétaire de regarder s'il y a de la place pour jeudi. Je le regarde incrédule, "pas d'urgence" = dans 3 jours ?!!! Je n'ai vraiment pas la même définition de l'urgence que lui. Plus de place pour jeudi, il demande à regarder pour le mercredi, ben voyons, 2 jours maintenant, vraiment pas d'urgence! Je ne veux pas venir le matin, c'est le jour avec mes filles et je les accompagne à leurs cours d'équitation. Il demande alors à regarder pour le vendredi et on tombe d'accord pour la pause déjeuner, 12H45. Ben bien sûr, il a dû me caser en plus des autres rendez-vous sur sa pause déjeuner mais je n'ai aucun soucis à me faire entre "venir faire le prélèvement sans attendre" et "ACR4".
Je sais que c'est son boulot de ne rien laisser passer, d'autant plus qu'il ne fait que du cancer du matin au soir et uniquement les seins. Je sais que cette sollicitude dont on m'entoure pour surveiller le cancer part d'un bon sentiment, détecter le plus tôt possible toute reprise du cancer. Mais comme j'aimerais parfois ne plus connaître ces vents de panique, ces mauvaises nouvelles, ces annonces qui vous enlèvent tout sourire.
Je n'ai pas pleuré, j'étais "juste" très contrariée, vraiment contrariée. J'ai encore dû partager cette super nouvelle avec mon mari. Je n'ai pas envoyé de sms pour une fois à qui que ce soit pour les informer que tout était normal. Comme personne ne savait que je passais un contrôle ce soir-là, en sortant du boulot, personne n'attendait de résultat. Je vais attendre les résultats d'analyse du prélèvement pour en parler.
J'ai aussi réalisé que j'avais bien intégré ma philosophie qui me permet de vivre le plus sereinement possible. Je n'attends plus aucun résultat positif pour me rassurer, chaque résultat encourageant permet de me dire que je vais être tranquille jusqu'au prochain, dans un an pour les seins, dans 6 mois pour le foie.
Hé bien, c'était pareil, pour une fois, je n'étais absolument pas pressée de faire le prélèvement. Il m'a dit que je devais vouloir le faire le plus rapidement possible pour être plus tranquille. Pas du tout. J'ai juste intégré que le cancer ne me laissera jamais tranquille, absolument jamais. Ce n'est pas la première fois que le cancer revient en première plan et ça ne sera certainement pas la dernière. Pendant que j'attends les résultats des prélèvements, je suis relativement tranquille. Il faut peut-être mieux attendre de connaître les résultats que de savoir que ce n'est pas bon avec tout ce que ça implique pour mes semaines à venir.
Si je suis la positive attitude de mon radiologue, vendredi je me lève comme si de rien n'était. J'accompagne mes filles à l'école, je vais travailler. A midi, je file vers mon cher hôpital que je connais trop bien. Il me fait la biopsie sous anesthésie locale avec son pistolet. En un quart d'heure, c'est terminé selon lui. Et je repars bosser comme si de rien n'était.
J'ai quand même un doute, il me semble qu'on m'avait transformé en momie au niveau des seins après la biopsie. Je me vois mal me rhabiller et arriver à mon boulot de la sorte. Je suis censée travailler donc je dois me dépêcher pour retourner travailler, autrement dit, me déplacer en voiture. J'ai le souvenir d'avoir été un peu à l'ouest à la sortie de ma première biopsie. Est-ce que je serais en état de conduire ? j'en doute vraiment. Je pense que je vais passer un coup de fil demain à la secrétaire pour m'assurer que je peux conduire. Sinon, on verra pour un bon de transport, mais si je ne suis pas en état de conduire, je ne serais pas en état de me concentrer sur mon travail vendredi après-midi.
Restera encore à attendre le verdict. Une fois qu'on a eu droit au couperet : "cancer du sein" et histoire d'en remettre une couche "métastases", on ne peut plus croire que ça n'arrive qu'aux autres. Je sais par expérience qu'il n'y a pas de quota de mauvaises nouvelles, le cancer est injuste. Seules ces analyses me révéleront mon avenir, retour à la vie quasi normale que j'ai mis en place ou retour à la case départ, chirurgie, chimios...
Comme m'a dit mon oncologue, voici 2 ans : "tant que c'est dans le sein, on n'en meurt pas".
En attendant, j'ai quelques jours de relative tranquillité. Demain, pour la première fois, ma grande fille va au cinéma toute seule avec des amis, à côté de chez nous. Ça c'est une nouvelle qui me rend heureuse. Sa joie est communicative. Mon bonheur de la voir grandir, devenir toujours plus autonome, organisée, me fait extrêmement plaisir. Je préfère me consacrer autant que possible à ma vie, il ne manquerait plus que je perde du temps à me lamenter sur mon sort. J'ai mieux à faire.