Mes brèves mais intenses expériences du monde du travail, fût-ce dans une multinationale de l’agro-alimentaire, un hebdomadaire économique très sérieux ou une entreprise de cours de cuisine, m’ont appris une règle immuable : toujours avoir l’air occupé. Froncer les sourcils ne gâche rien, même et surtout si vous êtes en réalité en train de vous escrimer les yeux pour décider si ce sac à -90% sur eBay est une contrefaçon ou pas.
Bref, comme toujours, la forme compte au moins autant que le fond. Ca s’appelle être politique. Chez SuperConseil, ça saute aux yeux : les grands pontes et leurs adjoints (pour un rappel de la structure hiérarchique en vigueur chez SuperConseil, voir ici) maîtrisent cet art à la perfection. Toujours un sourire triomphant aux lèvres (« Je n’aime pas me vanter, alors je ne dirai rien, mais n’ai-je pas l’air d’avoir encore conclu une énorme vente ? »), ils parlent fort à leurs infortunés voisins d’open-space (c’est pas parce qu’on est ponte qu’on a son propre espace vital) pour bien montrer qu’eux ne croulent pas sous les basses tâches. Non, eux, ils ont la situation bien en main ; c’est primordial, dans un pays où rester après 18h30 n’est pas considéré comme un signe de dévouement, mais de désorganisation. Certains poussent même le bouchon jusqu’à traverser l’open space en long, en large et en travers plusieurs fois par jour en claironnant leur dernière pseudo-réussite à date (« Je n’aime pas me vanter, alors je ne dirai rien, mais honnêtement, heureusement que j’étais là pour convaincre le client que c’était la bonne solution…. »)
Vous l’aurez compris, chez SuperConseil, je suis à bonne école.
Puisque je n’ai pas encore de téléphone professionnel et que je me refuse obstinément à communiquer mon numéro de portable personnel aux clients (s’ils se posent des questions en dehors des heures de boulot, le répondeur, c’est fait pour ça), il me faut adopter une stratégie différente pour me faire mousser. Je décide de commencer par dresser une liste de choses à faire aussi longue que le bras. Et, pour faire bonne figure, je déclare à qui veut bien l’entendre (oui, moi aussi je sais faire monter le volume sonore de l’open space) que je pars m’isoler en salle de réunion, car « j’ai besoin de me concentrer pour ce que j’ai à faire (sous-entendu : moi) ».
Une fois tranquillement installée, et après une bonne vingtaine de minutes passée à répondre à quelques mails personnels, je me mets à répertorier TOUTES les tâches à exécuter, du contrat à signer et classer au fameux démarchage téléphonique en passant par cette formation client que je repousse depuis plusieurs jours déjà. Mon but : démontrer par A+B qu’il m’est tout bonnement et scientifiquement impossible de faire du business development en cette période particulièrement chargée. Démontrer à qui ? Mais à SuperChef, bien sûr, qui impressionné par l’effervescence qui se dégagera de ma personne (rappel : prendre l’air pressé, voire débordé par moments bien choisis), s’inquiètera de savoir si « je gère ». Là, altière, je le rassurerai : évidemment que je gère, et d’ailleurs voici la liste de tous mes pseudo-succès dont il n’a pas besoin de savoir qu’ils datent un peu / sont allègrement enjolivés / n’auront absolument aucune retombée commerciale. « En revanche, im-pos-sible- de me poser tranquillement pour planifier le business development cette semaine, mais bon, comme tu le vois, commercialement, ça va très très bien quand même ». SuperChef repartira enchanté, et moi, dédouanée.
Plan machiavélique : top départ. A moi les courriers insipides, les fichiers Excel à remettre à jour et les coups de fil de politesse aux clients, bref, tout ce qui ne présente ni intérêt intellectuel, ni risque d’échec. Aux autres, la réflexion et l’action.
Euh… vous croyez que quelque chose ne tourne pas rond chez moi ?