A peine le tsunami des cantonales est-il passé que le cœur de l’UMP menace d’entrer en fusion.
Les deux sont évidemment liés. Plus encore qu’une défaite pour la droite, les élections cantonales constituent un désaveu direct du Président de la République, posant la question du leadership au sein de la majorité.
Le verdict des chiffres est sans appel : la gauche contrôle 60 départements, soit deux sur trois. Elle a progressé par rapport à un niveau que l’on pensait en 2004 indépassable. Le parti socialiste compte désormais deux fois plus d’élus départementaux que l’UMP. Avec 2,8 millions de suffrages exprimés en sa faveur, il recueille au second tour presque deux fois plus de voix que l’UMP (réduite à 1,5 million) : jamais les socialistes n’avaient creusé pareil écart avec le premier parti de la droite – même à l’époque où celle-ci était divisée entre RPR et UDF. Un tel rejet du parti présidentiel serait difficile pour n’importe quel pouvoir en place ; dans un système aussi personnalisé que celui de Nicolas Sarkozy, il met directement en cause le sommet de l’Etat. Si Nicolas Sarkozy s’appliquait à lui-même les principes de responsabilité et de résultat qu’il exige des chefs d’entreprise ou de ses ministres, il se serait déjà renvoyé…
La défaite est encore plus cinglante du point de vue symbolique : les électeurs ont sanctionné les personnalités qu’ils jugeaient les plus proches du Président de la République. Isabelle Balkany, marraine de Jean Sarkozy, est battue par un candidat alternatif de droite, dans un canton qu’on jugeait « à toute épreuve » et qu’elle avait d’ailleurs elle-même sélectionné pour cette raison. Un peu partout en France, de nombreux élus ont choisi d’effacer de leur candidature le logo « UMP », jugé d’un sarkozysme trop compromettant auprès des électeurs.
Mais c’est surtout l’analyse qualitative des résultats qui est la plus sévère pour le chef de l’Etat. Au fond, la propagande officielle qui s’emploie à minimiser le résultat de cette consultation a raison sur un point : le rapport de force général entre droite et gauche est équilibré dans le pays, et l’on peut même sentir sur certains sujets un déplacement du barycentre électoral vers la droite. Mais cet électorat de droite reste orphelin. Le discrédit qui frappe Nicolas Sarkozy l’empêchant de se rassembler en une force unique, il se disperse dans de multiples dérivatifs : l’abstention, particulièrement marquée à droite ; la poussée du Front national ; une abondance de candidatures « divers droite » ; l’ascension dans les sondages de Dominique Strauss-Kahn, le candidat socialiste qui plaît le plus aux centristes et aux conservateurs ; ou encore la multiplication inédite de bulletins blancs dans les urnes au soir du second tour (7%, plus de quatre fois le niveau habituel). Tous ces symptômes ont en commun de dessiner les contours d’une droite en panne de leadership, bien présente, mais exaspérée.
En somme, la droite existe, mais à l’état gazeux : elle « enveloppe » littéralement le débat public, au point de définir l’atmosphère sur l’immigration, la sécurité, l’éducation, la compétitivité, mais elle s’évapore dans les urnes, faute de condensateur présidentiel.
L’Après-Sarkozy a donc commencé : ce n’est pas un hasard si le Secrétaire général de l’UMP Jean-François Copé s'en est pris publiquement au Premier ministre François Fillon. La succession est ouverte.
Comment, dans ces conditions, préparer la présidentielle ? Deux stratégies sont possibles : organiser l’émergence d’une candidature alternative, capable d’empêcher le délitement de la droite ; ou faire bloc autour du chef de l’Etat, au motif qu’il n’est pas possible de changer de cheval au milieu du gué.
A une majorité des deux tiers environ, les élus de l’UMP semblent pour l’instant avoir choisi de serrer les rangs autour de Nicolas Sarkozy. Leur argument principal est qu’il faut éviter toute dispersion des votes devant le danger – désormais reconnu – d’une élimination du Président de la République au premier tour.
Si elle devait se prolonger, cette stratégie serait suicidaire. En premier lieu, elle méconnaît clairement la volonté des électeurs, exprimée dans une gradation que l’on pourrait résumer ainsi : avertir la droite, sanctionner l’UMP, « sortir » les « Sarkozystes ». Etre sourd aux revendications de l’électorat est un jeu dangereux, à plus forte raison quand le message vient de son propre camp.
Surtout, la question n’est plus d’éviter une candidature alternative à celle de Nicolas Sarkozy. Cette candidature se déclarera, quoi qu’il arrive, et elle décollera. Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy est « testé » contre Marine Le Pen au premier tour et il est donné perdant. A l’automne, il sera « testé » contre un candidat alternatif de la droite républicaine et il sera donné perdant également.
Quoi qu’il arrive, Marine Le Pen sera présente au rendez-vous des présidentielles. Quoi qu’il arrive aussi, Nicolas Sarkozy, s’il se maintient, ne sera pas le seul à incarner la droite parlementaire – ne serait-ce que parce que celui qui le défiera à droite est assuré de se faire un nom en captant une partie du mécontentement actuel.
Les mois qui restent jusqu'à l’échéance de 2012 ne permettent pas d’envisager un redressement de la situation. La croissance molle – voire hésitante – ne laisse espérer aucune amélioration sur le front de l’emploi, beaucoup d’entreprises s’ajustent à une conjoncture qu’elles perçoivent comme incertaine, la situation macro-économique reste suspendue à des équilibres monétaires fragiles.
Politiquement, le Gouvernement continuera à montrer l’exemple d’une division inquiétante, à mesure que chacun essaiera de se positionner pour le coup d’après. Nicolas Sarkozy ne pourra pas imposer son image d’homme efficace alors que les deux chantiers qu’il a ouverts, celui de la dépendance et de la fiscalité, donneront quotidiennement l’image d’une majorité qui avance entre amateurisme, annonces prématurées et profondes dissensions. La dynamique de la campagne risque donc d’être heurtée, avant même de prendre en compte les péripéties classiques d’une année préélectorale : affaires judiciaires, atteintes à la vie privée du couple présidentiel, règlements de compte, etc.
Nicolas Sarkozy ne peut donc pas se « refaire ». La meilleure façon de reprendre la main serait de suivre le conseil de son épouse et de ne pas solliciter un second mandat. Il n’a jamais été de Gaulle, il peut encore être Edward VIII. Ce n’est pas si mal pour un homme qui ne dédaigne pas la une de Paris-Match.
L’attentisme dont font preuve les principaux responsables de la droite ne constitue pas un soutien pour Nicolas Sarkozy. Anticipant un rendez-vous électoral difficile en 2012, ils cherchent surtout à se placer au mieux pour l’après-Sarkozy. D’ici là, ils jugent qu’il est trop tôt pour lancer l’échappée, même si leur maillot jaune n’a plus aucune chance de remporter l’étape. De fait, aucun d’entre eux pris individuellement ne se sent une équipe suffisamment forte pour le protéger des contre-attaques jusqu’à la ligne d’arrivée.
L’issue de ce genre d’étapes est connue. Elles se jouent sur un coup de dés. Le Front national est déjà en embuscade.
Il faut donc espérer que ce round d’observation ne durera pas trop longtemps et que les candidats possibles à la relève feront rapidement connaître leurs intentions.
Une candidature à la présidence de la République relève d’une démarche éminemment personnelle. Il faut pourtant aussi souhaiter que ceux qui se présenteront se déclarent ouverts à une procédure de primaires. Le mot fait frémir à l’UMP, mais il devrait s’imposer, si l’on suivait les nouveaux statuts du parti voulus par Nicolas Sarkozy : l’article 14 indique en effet que le Congrès des adhérents "choisit le candidat soutenu... à la présidence de la République" et l’article 49 que "le Président de la République, à nouveau candidat, et qui souhaite le soutien de l'UMP, se soumet au vote du Congrès".
Ce n’est pas seulement une question de tactique politique. Au-delà de l’échéance de 2012, l’échange démocratique au sein de la droite, le rôle qu’il joue dans la maturation d’un programme, seraient une occasion de se retrouver. On a abusé du mot « débat » ces derniers temps : après le trouble suscité par le refus de choisir entre le Front national et le Front républicain, le débat le plus utile aujourd’hui pour la droite devrait porter sur ses valeurs et sur le programme qu’elle propose. Les Français n’ont pas spécialement envie de s’en remettre aux socialistes et à leurs alliés de l'extrême-gauche pour piloter le pays dans les écueils de la mondialisation. Encore faut-il que la droite soit organisée pour répondre à leurs attentes : si l’attentisme actuel perdure, elle risque fort, non seulement de perdre les élections, mais d’éclater entre des tendances difficilement réconciliables.
Il n’est pas trop tard pour repartir de l’avant. En 1990, Margaret Thatcher avait dû sous la pression de son camp laisser la place à John Major – lequel avait amené à la victoire une droite que l’on croyait pourtant usée. La droite française est moins organisée, moins collégiale dans son fonctionnement, et doit donc se reposer sur des initiatives individuelles. Elle n’en est pas moins, aujourd’hui, à la croisée des chemins.
Vincent NAON