Dans son livre beau et déconcertant, La buche verte, l’écrivain samoan Albert Hanover élabore une liste des livres qu’il désire le plus posséder. Bien qu’il n’y ait pas de raisons de penser que l’ordre des titres soit significatif, la huitième position est occupée par Historia Calamitatum de Pierre Abélard (1079-1142) qui contient les notes marginales que Pétrarque a fait en latin sur le texte.
Bien qu’ Abélard se soit cru le philosophe le plus important de son temps, ce qui est sûr c’est qu’il est passé à l’histoire aussi marginalement que les notes du célèbre écrivain de la Canzoniere et non comme le brillant, logique et dialectique, capable de faire que son maitre Guillaume de Champeaux capitule sur la question des universelles. Mais plutôt comme le coauteur d’une correspondance épistolaire qui constitue un des documents autobiographiques les plus pénétrants et émouvants de toute l’histoire de la littérature occidentale.
Bien que l’histoire d’Héloïse et Abélard ait perdu sa popularité à pas de géant au long des siècles (peut-être pour ne pas chausser les idéaux de l’amour courtois qui commencent à s’imposer à la fin du 12ème siècle et constitue depuis les bases de l’idée de l’amour en Occident) son impact sur la vie et la poésie du Moyen Age est difficile d’exagérer. Il s’agit d’un cas singulier, dans le sens où l’histoire d’amour qui est rapidement devenu une légende, nous atteint à travers des mots des protagonistes.
Quand Abélard tombe amoureux de la nièce de son propriétaire, la jeune et brillante Héloïse, célèbre parmi toutes les femmes de France pour sa connaissance de l’hébreu, du grec et du latin, elle est au sommet de son énorme popularité. Il est non seulement le professeur le plus respecté et admiré de Paris et un poète à grand succès (ses chansons feront passer de bouche en bouche par toute la Bretagne le nom d’Héloïse), mais il est aussi le leader indiscutable du mouvement de contreculture avant la lettre des goliards.
Héloïse lui fait connaitre l’amour et change sa vie. Ils ont eu un fils qu’ils ont appelè Astrolabe et se sont marié en secret, mais Abélard s’est distancié pour que cette histoire ne fasse pas de tort à sa carrière. Fulbert, l’oncle d’Héloïse, a décidé de se venger de ce qu’il a interprété comme un abandon en engageant des hommes qui une nuit sont entrés dans sa chambre pour l’émasculer.
Abélard se retire alors dans une abbaye après avoir fait qu’Héloïse entre au couvent d’Argenteuil. Depuis l’abbaye il lui écrit des lettres courageuses et admirables où loin de se repentir de cet amour, il le défend avant tout avec une belle rébellion, au delà de la vocation religieuse et de tout les liens légaux, comme quelque chose de pur et de très beau, en marge même du simplement physique. Seulement après la mort d’Abélard elle accepte de prendre le Christ comme époux, arrivant finalement à être abbesse et exigeant de forme révolutionnaire une règle propre pour les femmes dans la vie monastique.
Paul Oilzum