Un écrivain (poète) à secrets.
Elle nous cache (nous cèle) beaucoup de choses) Son oeuvre s’ouvre par de multiples serrures à secret. Ses livres sont des masques plus vrais que son visage. Plus ressemblants. Ressemblants à quoi ? A ce qu’elle cherche, en écrivant, en répétant, en recommençant (Pénélope, Schéhérazade) comme elle le dit (« Recommencer c’est rebondir »), ce qu’elle cherche à découvrir, à comprendre d’elle-même « On écrit pour comprendre, dit-elle, comprendre soi et ce qu’on a vécu avec les autres. Dure exigence » En interrogeant cette redoutable Sybille qu’est l’écriture (de poésie ou de prose) le mythe ou la fiction. Le récit ou l’épiphanie, l’errance nocturne « les yeux fermés » (c’est aussi le titre de son autre livre de 2011).ou l’éblouissement de l’aigrette.
Le livre des recels pourrait passer pour autobiographique, si l’on s’en tenait aux « scènes de la vie en prose », du moins celles qui figurent dans les premières parties du livre, étapes d’un parcours vers un centre mythique (le centre de Paris, ou « le centre du récit » ?) : « les colonies, Paris Banlieue, La Sologne, d’Orléans à Paris, la colline de Chaillot. »
À moins que ce ne soit une « autobiographie de la forme » (ici la forme poésie comme forme de découverte de soi) Voyez par exemple ces textes que nous avions lus autrefois et que nous redécouvrons dans la perspective changée de ce livre-somme. Textes des années 70-80 : La longe, Péage (qui recèle en lui l’Inconnue de la Loire). Et ces Lettres d’Idumée : « En dehors de la scène la douleur est obscène... » Sur la scène la douleur est admise ». Et surtout cette Adoration perpétuelle qui jette le masque trompeur d’un titre (Le sang du guetteur) pour se révéler à nous sans voiles, peut-être comme le point nodal de cette oeuvre mystérieuse que Marie Etienne édifie depuis toutes ces années.
Parenthèse : Ici il faudrait rappeler que Marie Etienne a véritablement porté à un point d’incandescence (d’énigme incandescente) rarement atteint, ce « genre » (le poème en prose ou la prose de poésie), qui fit autrefois débat parmi les tenants du vers. Justement parce qu’elle a su explorer d’autres territoires que ceux du rythme prosodique habituel au langage français.
Chaque texte de Marie Etienne en cache un autre : L’adoration perpétuelle, Katana, recèlent en eux Anatolie, Roi des cents cavaliers, Dormans. De là la cohérence, l’extrême compacité, le côté impénétrable de cette oeuvre qui, à travers ce livre, se montre à nous dans sa redoutable ambiguïté d’oeuvre-sphynx.
« Tout est présent en même temps
Le passé, le présent, l’avenir
Les livres écrits et à écrire.
La prose la poésie.
Le rangement, la création. »
Oeuvre circulaire, récurrente : « écrire est cette quête qui ne cessera que quand nous arriverons d’où nous étions partis ». En ma fin est mon commencement.
Oeuvre qui est une mise à mort. Mise à mort des images de l’enfance exilée, coloniale, mise à mort des mythes : ceux des femmes Abandonnées (Bérénice) des femmes Amoureuses, et fusion de l’origine dans cette flamme blanche de L’aigrette qui illumine à la fin le Livre des recels. Flamme ou lanterne blanche mais qui brûle la forme : « L’oiseau incomparable. Ni homme ni femme. L’oiseau. L’oiseau. C’est à dire le dessin. » Car ce poème est exactement l’équivalent graphique d’un dessin à la plume sur une page blanche. Marie Etienne affectionne, on le sait, l’art japonais (le théâtre No) parce qu’il est répétition, réitération, variations infimes du rien, mais capable soudain d’ouvrir l’éventail, d’être « Quelque Chose / Qui Commence ». Et j’aime aussi ce qu’elle dit de l’inachèvement : « Ce que nous écrivons est à l’image de nos rencontres, de nos amours, nos amitiés : intenses et parcellaires. C’est l’inachèvement qui les rend si précieuses, qui donne envie d’y revenir, d’y ajouter un épisode, un mot, une couleur, afin de les parfaire. »
Mais pour entrer dans cette oeuvre :
« fermons les yeux
il faut fermer les yeux
pour guérir »
Claude Adelen
Marie Etienne
Le Livre des Recels
Flammarion, 2011