Le premier communiqué du BEA était bref et laconique, en réalité imprégné de prudence. En un deuxičme temps, alors qu’on attendait Thierry Mariani, secrétaire d’Etat, c’est Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre des Transports, habituellement silencieuse ŕ propos de l’épineux dossier de l’AF 447, qui s’est exprimée la premičre. Ce qui nous a valu d’entrée, outre les propos de circonstance, une précision trčs importante, ŕ savoir que l’essentiel de l’épave de l’A330 a été localisé.
D’entrée, deux remarques viennent ŕ l’esprit. A savoir, tout d’abord, que l’hypothčse émise trčs tôt par le BEA, ŕ savoir que l’avion était entier au moment de l’impact avec l’océan, se trouve ainsi confirmée. Ensuite, qu’il devient trčs probable, sinon certain, que les deux enregistreurs puissent ętre repérés, remontés et décryptés. Déjŕ, l’impatience s’installe (ce qui est évidemment inutile) tant la communauté aéronautique tout entičre et les proches des 228 victimes du Rio-Paris voient s’écarter le spectre de l’accident inexpliqué. Mais l’aboutissement, opérationnel et technique, risque d’ętre trčs dur.
Les commentaires de la premičre heure expriment soulagement et satisfaction, tout en sachant qu’il reste beaucoup ŕ faire et, ŕ ce stade, que rien ne prouve que les enregistreurs livreront d’utiles Ťsecretsť. Ici et lŕ, on décčle de premičres fausses notes, par exemple l’évocation d’une relation de cause ŕ effet entre le moment de la localisation du biréacteur au fond de l’océan et la mise en examen récente d’Air France pour homicides involontaires.
Cette association d’idée est injustifiée et insultante. Et si elle mérite d’ętre épinglée –et non pas ignorée- c’est évidemment parce qu’elle rappelle, si besoin est, le grand pouvoir de nuisance de spécialistes autoproclamés. Y compris de courageux anonymes sortis de nulle part, qui ignorent tout des sujets qu’ils abordent, ŕ commencer par le fait que les accidents d’avions déclenchent, en France, deux enquętes parallčles et simultanées, l’une technique, l’autre judiciaire.
L’avancée que connaît l’enquęte va évidemment donner un regain d’actualité aux questions de sécurité telles qu’elles sont traitées par Air France. Pour l’instant, rien ne prouve que des failles aient été décelées mais, tôt ou tard, il faudra que la compagnie en dise davantage sur les travaux, les recommandations et les conséquences concrčtes de l’ISRT, Independent Safety Review Team. Ce groupe indépendant d’experts a terminé fin janvier un travail important qui, pour dire les choses simplement, a passée au peigne fin tous les rouages de la sécurité de la compagnie.
Huit experts internationaux reconnus, dont aucun n’appartient ŕ l’entreprise, ont réalisé une enquęte unique en son genre, sévčre, mais qui ne voulait en aucun cas prendre des allures d’audit. On en retiendra notamment la détection de points faibles, certains d’entre eux étant liés ŕ un organigramme exagérément compliqué. On ne peut s’empęcher de noter que ce constat s’applique sans doute ŕ l’ensemble d’Air France qui, de haut en bas, porte les stigmates d’une époque révolue, celle oů elle était une compagnie nationale, et fičre de l’ętre. La page est pourtant tournée depuis l’installation de la déréglementation et l’apparition, notamment, des concurrents dits low cost.
Détail révélateur et savoureux, si l’on ose dire, l’ISRT a mené ses travaux en anglais et le document qui en a résulté existe uniquement dans la langue de Shakespeare, mise ŕ part une phrase extraite d’un article du code de la propriété intellectuelle qui en interdit la reproduction. Les temps ont bien changé mais tout le monde n’a pas suivi le mouvement pour autant. Ainsi, ŕ propos des pilotes, l’ISRT suggčre de changer les critčres de sélection et de mettre fin ŕ leur comportement volontiers élitiste.
Rien ne le prouve, certes. Mais c’est peut-ętre la preuve d‘un besoin impérieux d’implacable culture de la sécurité ŕ remettre sur le chantier qui gît au fond de l’océan, dans les débris de l’AF447. L’affaire est délicate, vitale, ŕ traiter avec calme, avec les bons mots. D’oů la responsabilité particuličre des petits robots sous-marins de la Woods Hole Oceanographic Institution : ils viennent d’une certaine maničre de retrouver les vestiges d’une époque révolue.
Pierre Sparaco - AeroMorning