On va m’accuser, sur ce
billet là, d’être un tantinet long à la détente et on aura raison, car je vais
revenir sur un sujet qui a déjà fait la Une il y a 2 ans même si on peut quand
même le qualifier de récurent.
C’est la lecture des récents propos
d’Estrosi demandant ni plus ni moins que Total « contribue à la
baisse du prix à la pompe » sous prétexte qu’il ne paye pas d’impôt
sur le bénéfice en France, qui m’a remis en tête les réactions qui avaient fait
suite à l’annonce, par Total, d’un bénéfice pharamineux (14 milliards d’euros)
pour l'exercice 2008.
Même si, à l’évidence, il faut voir derrière la fausse indignation d’Estrosi
une bonne grosse dose de populisme, le sujet mérite une petite
réflexion.
A l’époque, en 2009, en pleine crise financière, l’annonce de tels bénéfices
en avaient fait sursauter plus d’un et c’était à qui ferait la meilleure
suggestion à Total pour utiliser ce pactole soudain tombé dans le domaine
public !
La réaction la plus stupide avait été celle de l’inénarrable Frédéric
Lefebvre qui avait jugé malin de sortir ce qui pour lui devait être une
évidence mais qui en fait n’était qu’une grosse connerie : « 13
milliards de bénéfices, ça veut dire 13 milliards d'impôts sur les sociétés
pour l'Etat ».
En réaction aux réactions,
Christine Lagarde et Laurence Parisot, dans un bel ensemble et sur 2 radios
concurrentes, avaient tenu le même discours dithyrambique : « Je
m'en réjouis, je me réjouis qu'il y ait des entreprises en France qui
réussissent, qui fassent des profits, qui génèrent des bénéfices »
(Lagarde sur RTL).
«C'est une formidable, bonne, nouvelle et nous avons besoin de bonnes
nouvelles. Total est la plus grande entreprise française, c'est un des plus
grands champions du monde parmi l'ensemble des entreprises globales,
mondiales»
«C'est une excellente nouvelle de voir nos entreprises gagner de
l'argent» (Parisot sur RMC).
A l’époque j’avais trouvé leur exubérance voire leur enthousiasme
« une formidable, bonne, nouvelle !!!! » pour le moins
exagérés.
Dans le principe, Mesdames Lagarde et Parisot ont raison, voir nos
entreprises gagner de l’argent est théoriquement une bonne nouvelle pour la
collectivité. Une entreprise qui gagne de l’argent, ce sont des impôts et des
taxes qu’elle paye à l’Etat et aux collectivités locales, des salariés qu’elle
embauche ou qu’elle ne licencie pas, des sous-traitants locaux qu’elle utilise
etc etc
Néanmoins, même s’il n’est pas question de faire la fine bouche, y a-t-il de
quoi laisser éclater sa joie devant des montants aussi astronomiques
?
Passons sur le fait que Total bénéficie, comme toutes ses consœurs, de la
hausse du prix du baril et plus généralement d’un effet de rente qui ne la rend
pas particulièrement méritante.
Dans le cas de Total, on sait enfin (impossible de trouver le chiffre à
l’époque) que contrairement à ce que racontait Lefebvre, 13 milliards de
bénéfices, ça ne veut pas dire 13 milliards d'impôts sur les sociétés pour
l'Etat, ça veut même précisément dire 0 euros d'impôts sur les sociétés pour
l'Etat français !
On peut regretter que Total ne paye pas plus d’impôts sur les sociétés mais
la raison en est simple, elle tient au fait que Total ne fait pas de bénéfices
en France, au contraire son activité de raffinage y est déficitaire.
Il ne s’agit évidemment pas de crier au scandale, Total paye des impôts mais
…pas en France !
D’une manière générale, Total a beau être une société française, l’étranger
profite beaucoup plus de sa bonne santé financière que la
France :
En 2010, seuls 38% des employés de Total travaillaient en France et
l’objectif de la Société est clairement de réduire la voilure sur l’activité de
raffinage qui est déficitaire. Entre 2006 et 2010 le nombre de salariés en
France est passé d’environ 38 000 à environ 35 000 et leur part par rapport aux
effectifs totaux de 40 à 38% !
Même les actionnaires qui recevront une part de ces bénéfices sont à grosse
majorité des étrangers (seulement 34% en France).
Les investissements (59% des bénéfices en 2009), sont essentiellement
réalisés à l’étranger et la tendance est plutôt à la réduction des capacités
françaises de raffinage (Raffinerie
de Dunkerque et des Flandres) et quand au montant des impôts, taxes et
charges salariales payés en France ils culminaient, en 2010 à
moins de 2 milliards** d’euros !
Tout ceci n'est évidemment pas négligeable mais n’est pas à la hauteur de ce
à quoi on pourrait s’attendre en écoutant les cris de joie qui accompagnent la
publication des résultats de Total.
Faut-il pour autant comme le fait Estrosi, et comme l’ont fait en leur temps
plusieurs représentants du PS, demander à Total d’utiliser ses bénéfices pour
contribuer à la baisse du prix à la pompe ?
La réponse est clairement non !
De quel droit l’Etat considèrerait les bénéfices d’une Société française
comme une cagnotte dont il pourrait disposer à sa guise ?
Vouloir ponctionner une partie des bénéfices (ça revient à ça) d’une Société
française sous prétexte qu’elle ne paie pas, en toute légalité, d’impôts sur
les Sociétés en France, est à la fois injuste et contreproductif puisque cela
pénaliserait l’entreprise par rapport à ses concurrents étrangers.
Et puis imaginons que Total ait payé de l’impôt sur les sociétés, celui-ci
aurait directement été dans les caisses de l’Etat qui, soyons en certains,
n’aurait évidemment pas utilisé cette manne pour contribuer "à la baisse du
prix à la pompe".
Le prétexte est donc mauvais.
Si on veut absolument faire payer une société française qui fait des
bénéfices, au moins faisons le officiellement et clairement, changeons les
règles de calcul de l'impôt sur les sociétés ou taxons toutes les sociétés
pétrolières qui opèreraient en France (les taxes on sait faire) mais ne faisons
pas, par démagogie, de Total un cas particulier.
Derrière ce cas particulier, il y a la question plus essentielle de savoir
si les sociétés françaises ont un devoir moral particulier vis à vis de la
France ?...comme par exemple subventionner le prix de l'essence, maintenir des
emplois déficitaires voire pourquoi pas, par pur altruisme, payer des impôts
que la Loi ne leur réclame pas !
**Soit: - 300 millions d'euros au titre de la CET, l'ancienne taxe
professionnelle, et des taxes foncières
- 500 millions d'euros pour la retenue à la source sur les dividendes versés
aux actionnaires étrangers
- 1,1 milliard d'euros de charges sociales