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Les artistes français et l'art contemporain dans le monde

Publié le 04 avril 2011 par Artgalerie

MARCHÉ DE L’ART CONTEMPORAIN

Parce qu’elle est moins compétitive que les États-Unis ou la Chine, les optimistes diront de la place de marché française qu’elle est plus saine, mieux préservée face aux élans spéculatifs et aux effets de mode. Ils n’auront d’ailleurs pas tort car ses pertes en salles des ventes suite à la crise économique auront été minimes (précisons tout de même qu’elle a peu profité de l’envolée des prix dont bénéficiaient une majorité d’artistes anglais, américains, chinois et indiens). Entre la crête des prix de 2008 et leur réajustement fin 2010, les recettes des ventes d’art contemporain en France accusaient une baisse de -9% contre des chiffres révisés au tiers pour le Royaume-Uni par exemple, qui passait de plus de 366 millions d’euros en 2008 à 120 millions en 2010. Face à l’accélération des échanges et aux mutations géopolitiques du marché de l’art, la place de marché française affi che une position de choix sur le marché de l’art primitif ou des arts décoratifs mais bataille pour rajeunir son image. En quête d’identité, Paris a pris position sur de nouvelles niches porteuses telles que la photographie, la bande dessinée et le Street art1. Des mutations bien plus profondes sont nécessaires, notamment pour que les artistes français s’imposent sur le marché global.

LA FRANCE DANS LE MONDE

En matière d’art, la France n’est pas modeste par choix. Tardant à se moderniser et peinant à valoriser ses artistes à l’échelle mondiale, la capitale culturelle s’est complètement laissé distancer, notamment sur le marché de l’art contemporain. Tout d’abord par les Etats-Unis dans les années 50, puis par la Chine, qui devenait en 2007 la 3ème place de marché mondiale remplaçant la France sur le podium. Aujourd’hui, la Chine est la puissance n°1 pour le marché de l’art contemporain. Sa capacité de rebond impressionnante a fait la diff érence face aux Etats-Unis. A l’issue d’une année 2010 d’enchères, l’art contemporain a rapporté 237 m€ en Chine, 216 m€ aux Etats-Unis, 120 m€ au Royaume-Uni et… 18 m€ en France, lointaine 4ème place de marché talonnée par Taïwan et Singapour.

BOOM DE L'ART CONTEMPORAIN

La France a-t-elle oui ou non profi té du boom de l’art contemporain ? La réponse est positive si l’on en croit la progression du produit des ventes aux enchères d’art contemporain sur la décennie : les résultats hors frais ont progressé de +294% ! Les maisons de ventes ont donc su adapter leur off re à une demande d’oeuvres fraîches. Cependant, après une décennie de hausse, le résultat français penest extrêmement modeste si on le compare aux places de marché leaders. Ses 18 m€ de produit de ventes en 2010 (prix marteau, hors frais vendeur et acheteur) équivalent au résultat du Royaume-Uni en 2003… avant la phase spéculative.

PARIS / LONDRES

Certes, les grandes maisons de ventes en France ont rajeuni leurs catalogues. Entre 2005 et 2010, les enchères générées par des artistes de moins de 45 ans ont quasiment été multipliées par 400% sur l’Hexagone ! Ce coup de jeune du marché français constitue un pas de géant là où les Anglais ont chaussé des bottes de sept lieues. Londres s’est en effet imposée comme la capitale de l’art ultra contemporain. Si bien que lorsque la France dégage 2,4 m€ de recettes2, le Royaume-Uni génère 36,6 m€, c’est-à-dire le meilleur résultat au monde pour la vente de jeunes artistes. En matière d’art contemporain, les recettes anglaises ont d’ailleurs progressé de 415% en cinq ans et les oeuvres réalisées par des artistes de moins de 45 ans représentent 30% des recettes de l’art contemporain, un chiffre qui oscille entre 12 et 16% dans les autres pays leaders du marché de l’art.

HAUT DE GAMME / MOYEN DE GAMME

Le lustre des ventes parisiennes n’a pas résisté à la puissance de feu de concurrents qui se réservent la part du lion, celle des oeuvres d’art les plus belles, les plus chères et les plus en vogue. Malgré quelques coups d’éclat, la France est considérée comme un grenier d’oeuvres d’art abordables, une réputation méritée puisque 83% des lots n’excèdent pas 5 000 € en salles de ventes (toutes périodes de création confondues). Chez nos voisins, cette part d’oeuvres abordables tombe à 69% aux États-Unis, 71% au Royaume-Uni et 25% en Chine. Les places de marché les plus compétitives, celles où la demande très haut de gamme est la plus avide, sont New York, Londres et Hong Kong, ce qui n’empêche pas Paris de  proposer sporadiquement des pièces exceptionnelles. Les quelques chefs-d’oeuvre sont plus souvent modernes que contemporains (on se souvient de la fameuse Tête d’Amedeo Modigliani vendue 38,5 m€ chez Christie’s Paris le 14 juin 2010, un record pour une sculpture de l’artiste). Outre le fait que les antennes parisiennes de Christie’s et Sotheby’s réservent généralement les pièces les plus prestigieuses et les plus chères pour Londres et New York, la cote des artistes contemporains français est trop maigre au regard des grandes stars du marché de l’art contemporain global. Quand le record de Robert Combas culmine à 85 000 € (Les Amoureux des bancs publics vendue par Pierre Bergé & Associés à Bruxelles le 27 avril 2010), celui de Jean-Michel Basquiat, artiste de la même génération, ami de Warhol défendu par le grand marchand Léo Castelli, équivaut à 9,6 m€. Avec la différence des deux, soit 9,515 m€, il était possible d’acquérir trois ou quatre toiles de Picasso penest dant les ventes londoniennes de février 2011… Léo Castelli s’est pourtant intéressé de près aux oeuvres de Robert Combas mais pour devenir une star du marché, il eut fallu que l’artiste français troque Paris contre New York. Le fossé entre la cote de Basquiat et de Combas n’a de comparable que l’étendue de la notoriété des deux artistes. Seuls les artistes français étudiant, vivant ou exposant régulièrement à Londres ou aux États-Unis parviennent à s’imposer. Le succès de la Francoaméricaine Louise Bourgeois est exemplaire à ce titre. Elle a mené sa carrière artistique de New York où elle vivait. Cinq années d’enchères millionnaires à Manhattan furent nécessaires avant que l’artiste ne décroche son premier coup de marteau millionnaire à Paris (Spider, le 27 mai 2008).

L'ARTISTE FRANÇAIS

La nationalité d’un artiste a indéniablement une importance considérable dans l’évolution de ses prix. Malgré l’importance de la création contemporaine en dehors du champ culturel (marketing, mode, communication, luxe) et malgré l’idéologie de la mondialisation, les oeuvres ne circulent pas toutes à la même vitesse selon leur pays d’origine. Les cotes flambent plus facilement chez les artistes anglo-saxons, asiatiques et russes, moins sur les italiens, espagnols et français. La vitalité d’une place de marché reflétant celle de ses artistes, la cote des Européens est à la traîne par rapport aux Américains et aux artistes issus des BRIC (Brésil-Russie-Inde-Chine). D’ailleurs, en établissant un classement mondial des dix artistes contemporains les plus performants aux enchères, pas un Français ne paraît. Il faut attendre la 105ème place du classement pour trouver le premier artiste français, Jules de Balincourt en l’occurrence. Par contre, les Américains écrasent les Européens, en nombre comme en force de frappe: Jean-Michel Basquiat et Jeff Koons s’arrogent les deux premières places du Top 10 avec des recettes oscillant entre 27 et 48 m€, pour une année de ventes aux enchères3. La suprématie américaine est cependant sur le point de vaciller avec la montée en puissance des artistes chinois dont Zeng Fanzhi (3ème) et Chen Yifei (4ème). Les artistes européens ne sont pas totalement exclus de ce combat de titans, l’Italien Maurizio Cattelan et le Britannique Damien Hirst se retrouvent au coude à coude sur les 11ème et 12ème places.

MARTIAL RAYSSE, LE PLUS CHER

L’artiste français vivant le plus cher est, depuis peu, Martial Raysse, né en 1936. On attendait un record avec L’année dernière à Capri (titre exotique), toile estimée 1-1,5 m£, le 16 février 2011 pour la vente d’art contemporain du soir de Christie’s Londres. Ce portrait de femme aux couleurs vives, achevé en 1962, s’avérait être d’une qualité exceptionnelle. L’oeuvre est partie au triple des attentes pour 3,6 m£ soit 4,2 m€ (vendue au profit d’une fondation de charité, la générosité du vendeur aura stimulé celle des enchérisseurs). Martial Raysse, égérie du Pop art à la française, enterrait de 3 millions d’euros son précédent record et rattrapait ainsi la cote de ses homologues américains. Le record de Martial Raysse bat la seconde enchère de l’artiste pop américain Tom Wesselman, Smoker #9, cédée 6 m$ (environ 3,8 m€) le 13 mai 2008 chez Christie’s. Ironie du sort, la meilleure enchère de Raysse en France récompense à 800 000 € une oeuvre intitulée Tableau New-yorkais (Christie’s, 27 mai 2008). Le record de Martial Raysse n’est pas isolé, dix des vingt artistes contemporains français les plus cotés signaient un nouveau sommet d’enchères4 en 2010. Chez les plus jeunes (moins de 45 ans), les élus se nomment Jules de Balincourt, Philippe Pasqua, Mr Brainwash, JR, Stéphane Graff et Pierre Malphettes.

EXISTER À L'ÉTRANGER

Les générations d’artistes français après Martial Raysse doivent s’exporter pour exister, c’est l’une des grandes différences avec le marché de l’art contemporain chinois par exemple, où les artistes sont ardemment défendus par leurs compatriotes. Les meilleurs contemporains français frappent leurs plus belles enchères à l’étranger. Dans le Top 10 de la génération 1945-1965, incluant Xavier Veilhan, Robert Combas, Jean-Michel Othoniel, Jean-Marc Bustamante, Bernard Frize, François Vandenberghe, Stéphane Couturier, Bettina Rheims, Gérard Garouste et Philippe Pasqua, un seul record d’enchère fut enregistré en France, celui de Gérard Garouste (Cornette de Saint Cyr, L’homme à la veste verte, adjugée 59 000 € le 11 octobre 2010). Les autres sont signés aux États-Unis (quatre records), à Londres (trois records) et Bruxelles (deux records). La jeune génération, celle des artistes nés après 1965, reproduit le même schéma, avec un seul record frappé à Paris, contre cinq aux États-Unis et quatre à Londres.

LE PLUS COTÉ DES FRANÇAIS "JULES DE BALINCOURT", PAS UNE VENTE EN FRANCE

Jules de Balincourt, l’artiste contemporain français le plus performant aux enchères, n’a jamais vendu une seule oeuvre en France. Ce Parisien de naissance a fait le voyage jusqu’à San Francisco pour ses études (California College of Arts and Crafts) puis au Hunter College de New York et vit désormais à Brooklyn. Après de multiples expositions, il est introduit en vente en 2007, année de son exposition au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. L’oeuvre présentée, Great Outdoors, est de petites dimensions (46,4x30,5 cm). Elle s’envole au double de l’estimation à 28 000 $ chez Christie’s New York, soit 20 600 € (17 mai). Six mois plus tard, la toile Media Information Transmission Center est vendue 220 000 $ sous le marteau de Phillips de Pury & Company, doublant là encore les prévisions (env. 150 000 €). L’oeuvre de Jules de Balincourt a bénéficié non seulement du triple adoubement Londres-Paris-New York mais encore de l’appui de Charles Saatchi et d’un contexte hyper spéculatif sur l’art contemporain lors de son introduction aux enchères, autant d’éléments particulièrement stimulants pour la cote !

LA JEUNE GÉNÉRATION: LE CAS MR BRAINWASH !

Les artistes français cotés aujourd’hui sont bien souvent de nouvelles figures du Street art, bénéficiant de l’effet Banksy, artiste anonyme a priori anglais dont les meilleures enchères affichent six chiffres. Parmi les dix artistes français les plus cotés aujourd’hui, quatre sont issus du Street art : Mr Brainwash, JR, Stephane Graff et Invader. Parmi ces quatre élus, Mr Brainwash (pseudonyme pour Thierry Guetta) est celui qui a bénéficié le plus directement de l’effet Banksy avec le documentaire Faites le Mur ! (Exit Through The Gift Shop). Le secret de Mr Brainwash : copier sans complexe l’art et la manière de Bansky.

Certains voient même en lui le visage de la légende anonyme. Ce documentaire prouve que la construction d’un mythe et l’hyper médiatisation sont toujours des recettes qui marchent pour faire grimper les cotes. En effet, le film sort le 14 avril 2010 au Festival de Berlin et le 16 avril 2010 dans les salles. Un mois plus tard, Mr Brainwash enregistre son premier résultat dans une vente publique. L’oeuvre présentée chez Phillips de Pury & Company le 14 mai, un grand format intitulé Charlie Chaplin Pink, condense un maximum de mythes américains contemporains. On y croise Charlie Chaplin dans le rôle principal mais encore Madonna version Marilyn pop, les Campbell’s Soups de Warhol, le bébé rayonnant de Keith Haring, des motifs empruntés à Jean-Michel Basquiat.La pièce double d’emblée une estimation basse déjà conséquente de 50 000 $. Français de Los Angeles, l’artiste n’est pas encore présenté dans des ventes publiques en France. Seules Londres, New York et Lambertville sont des places de marché vivantes pour lui.

A contrario, le photographe français de 28 ans JR, artiviste urbain, a été timidement présenté en France, sans rencontrer son public, avant d’émerger à l’étranger. Le travail de JR a rapidement fait le tour du monde. Il est le plus jeune artiste du Top 10 français5 (nés après 1965) avec trois oeuvres ayant généré 51 500 € entre 2009 et 2010. En avance sur la demande, Massol peinait à vendre ses photographies en 2006 (trois lots, deux invendus). Trois ans plus tard à Londres, JR double ses estimations. Entre les échecs de vente à Paris et son succès Outre- Manche, JR est notamment passé par la Biennale de Venise et a collé ses affiches géantes sur la façade de la Tate Modern à Londres. Son exposition éphémère sur les quais de Seine de Paris a par contre laissé plus de traces dans les mémoires qu’en salles de ventes.

L’EFFET CHÂTEAU DE VERSAILLES

Le prestige d’un lieu d’exposition ou le label d’une galerie participent à la fabrication d’une cote internationale. Le château de Versailles a bénéficié d’un incroyable rajeunissement avec l’exposition Jeff Koons en 2008. L’artiste n’avait pas besoin d’en passer par Versailles pour dynamiser sa cote, il était alors l’artiste contemporain le plus cher du marché, fort d’une enchère équivalant à 14,5 m€ (sa sculpture Balloon Flower (Magenta) était frappée 11,5 m£ le 30 juin 2008 chez Christie’s). Par contre, l’artiste français Xavier Veilhan, exposé après Koons, signait son record d’enchère six mois après avoir investi le château. Paradoxalement, ce record ne fut pas signé en France mais à Chicago lorsque Wright dispersait une collection privée Parisienne d’art et de design (Renaud, 95 000 $ soit 77 415 € le 24 juin 2010).

Le prochain artiste à bénéficier de l’effet Versailles est Bernar Venet exposé en juin 2011. Son langage abstrait est très éloigné de la gaieté kitsch d’un Jeff Koons ou d’un Murakami (sept.-déc. 2010), de même que ses meilleures enchères. Venet affiche un record d’enchère de 600 000 $ pour un colosse d’acier vendu à Doha le 18 mars 2009 (Four indeterminate lines, Sotheby’s), un beau résultat certes mais loin derrière l’ex courtier américain et l’élu japonais du style Manga, de vingt ans ses cadets. La superpuissance culturelle qu’était la France doit se lancer d’urgence dans des opérations de modernisation. Son blason fut encore terni en 2010 par le scandale des Cols rouges, immense trafic d’oeuvres d’art en bande organisé à Drouot et par le retard pris dans la transposition de la directive services. Or l’Internet est au coeur de la mutation nécessaire. Tandis que Christie’s doublait en 2010 les achats effectués via Internet (28% des ventes selon Christie’s) naissait la première grande foire d’art virtuelle. Et puisque l’art doit d’abord être vu et vécu pour être apprécié, les grandes galeries multiplient leurs chances en ouvrant d’autres espaces dans des villes stratégiques. Le coeur du marché se déplaçant en Asie, après New York, Londres et Miami, les villes les plus convoitées sont désormais Shanghai, Singapour, Pékin et Hong Kong.

Sources : ARTPRICE

fiac - bruno michaud - L'amant

fiac - bruno michaud - Patibulum


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