Un livre regroupant trois conférences prononcées par Alain Badiou entre 2005 et 2010. Voici la conclusion du premier texte qui donne son titre au livre, conférence donnée à Paris le 23 octobre 2010:
La clef du noeud obscur entre politique, démocratie et philosophie est donc que l'indépendance de la politique crée le lieu où se métamorphose la condition démocratique de la philosophie. En ce sens, toute politique d'émancipation contient pour la philosophie, visible ou invisible, le mot d'ordre qui en accomplit dans le réel l'universalité, et qui se dit: puisque tous ensemble, alors, tous communistes ! Et puisque tous communistes, tous philosophes !
Comme vous le savez, l'intuition fondamentale de Platon sur ce point n'est allée qu'à confier à une aristocratie de philosophes, vivant de façon égalitaire, sobre, vertueuse, communiste, la direction des affaires. C'est ce qu'on pourrait appeler, métaphore empruntée à Einstein, un communisme restreint. Il s'agit de passer en philosophie au communisme généralisé. Notre Cité, si ce nom convient encore au lieu politique constitué par la pensée-pratique d'une politique de notre temps, ignorera la différenciation sociale que Platon croyait précisément inévitable, tout comme nos démocrates, au nom du "réalisme", et terrorisés par l'idée de Terreur, considèrent comme inévitables la propriété, l'héritage, la concentration des richesses, la division du travail, le banditisme financier, les guerres néo-coloniales, la persécution des pauvres et la corruption. Et du coup, cette Cité ignorera aussi la distinction, quant à l'universalité de la philosophie, entre la source et l'adresse. Venue de tous aussi bien que destinée à tous, ainsi se définira l'existence de la philosophie, dés lors que, sous condition de la politique, elle sera démocratique, au sens communiste du terme, aussi bien en amont qu'en aval de son existence effective.
Alain Badiou, "La relation énigmatique entre philosophie et politique",Editions Germina, Collection "Cercle de Philosophie", 2011, pp 45-46