Het Boek Van Wonderen*
deInColdBlog
« Les ânes ne s’approchent pas immédiatement de la barrière, mais viennent, flanc contre flanc, bien tranquillement, dans ma direction. Ces bêtes sont à moi, vraiment à moi, je les ai achetées. Tout le reste, ici, n’est pas véritablement à moi ; les vaches, les brebis et même les poules Lakenvelder font partie de la succession. Quant à la vieille Opel Kadett, au tas de fumier, et aux saules têtards, je roule avec la première, j’évacue mon fumier sur le deuxième, j’étête les troisièmes, mais ils ne sont pas à moi. Je suis un métayer, et ce que je fais, quelqu’un d’autre aurait dû le faire. »
Depuis trente-cinq ans, Helmer Van Wonderen tient la ferme familiale.
Là-haut, dans les tourbières du plat pays du Waterland, au nord des Pays-Bas, tout est calme. La vie s’écoule, immuable, au rythme des travaux de la ferme et des saisons.
« Durant toute une moitié de mon existence, je n’ai pensé à rien. J’ai remis tous les jours ma tête sous les vaches. En un sens, je les maudis, ces vaches, mais elles sont par ailleurs pleines de chaleur et de sérénité, quand, front appuyé contre leur flanc, on leur met la trayeuse. Rien n’est aussi rassurant, rien n’est aussi protecteur qu’une étable remplie de vaches respirant paisiblement, par un soir d’hiver. Jour après jour, été, automne, hiver, printemps. »
Fermier malgré lui, Helmer s’est vu contraint d’abandonner ses études de littérature à Amsterdam à la mort de son frère jumeau, Henk. Le préféré de son père, celui qui était appelé à reprendre l’exploitation familiale.
« Quand Henk est mort, papa a été obligé de faire avec moi, mais je suis toujours resté à ses yeux le second choix. »
La disparition de son jumeau a laissé Helmer sans repère, privé de son mètre étalon.
« Nous appartenions l’un à l’autre, nous étions deux garçons et un seul corps. »
Trente-cinq ans plus tard, il n’arrive toujours pas à décider de sa place dans le monde.
La ferme Van Wonderen semble d’une autre époque, comme si le temps s’était figé en 1967, à la mort de Henk : les trayeuses mises à part, aucun matériel moderne ; les tâches sont réalisées manuellement. L’agencement intérieur de la maison n’a pas bougé depuis des décennies : les mêmes vieux meubles, le même papier-peint défraîchi, pas de télé ni d’ordinateur…
« La pendule ronronne, tout est calme là-haut, il reste quelques gorgées de café froid dans ma tasse. Il n’y a pas que là-haut que c’est calme, c’est calme partout, la pluie bat doucement sur le rebord de la fenêtre, la route est mouillée et déserte. Je suis seul, je n’ai personne contre qui me blottir. »
Seuls les rires de Ronald et Teun, les jeunes enfants de la maison voisine, qui passent de temps à autre voir les ânes, troublent le silence ouaté de la ferme et lui donnent un semblant de vie.
Cette routine quotidienne, à peine perturbée par les visites du collecteur de lait ou du vendeur de bestiaux, anesthésie l’insatisfaction d’Helmer qui aspirait à une autre vie. Comme de visiter le Danemark voisin, là-haut où tout est calme. Un eldorado dont il rêve depuis longtemps.
Un matin, Helmer transfert son père grabataire, dans une chambre à l’étage. Depuis des années qu’il meurt de faire table rase du passé, il décide de passer à l’acte. Il entreprend de donner un coup de neuf au rez-de-chaussée qu’il compte occuper seul ensuite : il remise les vieux meubles et les tableaux dans une pièce, récure les parquets, repeint les murs, achète du mobilier neuf…
« Suffit-il que tout soit nickel question peinture, et qu’il n’y ait pas une tuile de travers ? Que les saules soient impeccablement étêtés, et que les ânes soient au chaud et bien nourris dans leur écurie ? »
Pendant ce temps, en haut, tout est calme. Plus les jours passent, plus la santé du père impotent décline. Désormais, il n’espère rien d’autre que d’être en mesure d’assister une dernière fois à l’arrivée du printemps, avant de gagner le paradis… où tout est calme pour l’éternité. Mais alors qu’on serait tenté de le prendre en pitié, le vieillard n’est qu’un homme autoritaire, qui toute sa vie a imposé sa domination à ses enfants et à sa défunte épouse.
Helmer n’en peut plus de la charge, chaque jour plus lourde, que représente son père : il le lave, le porte jusqu’aux toilettes, lui cuisine ses repas… sans recevoir en échange une quelconque reconnaissance, le moindre témoignage d’affection ou de complicité. En retour, ravalant sa rancœur et sa colère, il ne lui témoigne que froideur et détachement, et reste sourd à ses exigences et à ses caprices.
Un jour, le passé dont le fermier cherche à s’affranchir va se rappeler à lui, sous la forme d’une lettre. Elle est signée de Riet, la fiancée à l’origine de l’accident qui a coûté la vie à Henk.
Expérience singulière que celle que je viens de vivre avecLà-haut, tout est calme.
Au début, j’étais plutôt décontenancé : le récit n’avait rien à voir avec l’idée que je m’en étais faite. J’avais bien lu plusieurs billets sur ce roman, mais la seule chose que j’en avais retenu est qu’il s’agissait de l’histoire de deux frères. Et je me retrouvais avec un fermier quinquagénaire, solitaire et taciturne ! Qui plus est, la vie à la ferme Van Wonderen était aussi mouvementée que les Ramblas de Barcelone à l’heure de la sieste ! Les faits les plus triviaux se succédaient dans toute leur monotonie.
Bref, il ne se passait rien, ou si peu. Et pourtant, je n’arrivais pas à me défaire de ce livre. Pour la bonne raison que le plus important - et le plus prenant - n’est pas ce qui est dit mais tout ce qui couve, qui bouillonne en profondeur et qui n’est pas exprimé.
Malgré son apparente noirceur,Là-haut, tout est calmeest un roman troublant, d’une beauté lumineuse. De son style au premier abord banal et sans relief particulier (à l’image des champs, des canaux et de la vie à la ferme), Gerbrand Bakker fait jaillir la poésie.
Avec pudeur et sobriété, il dit la complexité des relations humaines, les non-dits, la difficulté à communiquer avec ceux que l’on aime : père, fils, frère, ami… Surtout, il montre qu’il n’est jamais trop tard pour prétendre au bonheur. Toute son existence, Helmer a fait ce que les autres attendaient de lui. A cinquante-cinq ans, il décide de reprendre sa vie en main, de faire enfin ce dont il a envie et réaliser son vieux rêve : visiter le Danemark et revoir Jaap, le garçon de ferme qui lui a appris à patiner quand il était enfant.
Là-haut, tout est calmeest de ces romans qui touchent leur lecteur sans en avoir l’air, profondément et durablement.
C’est à Cathulu que je dois d’avoir repéré ce roman qui m’avait échappé jusque-là, malgré les billets enthousiastes déjà publiés par ailleurs et c’estBlog-O-Bookqui, à l’occasion d’un partenariat avecFolio, m’a offert ce beau moment de lecture.
Un grand merci à eux tous.
(*) Le livre des Van Wonderen (qui se traduit également par : Le livre des miracles)
Ils l’ont lu bien avant moi et voici ce qu’ils en ont pensé :
Aifelle :« Ne croyez pas que ce roman soit sombre et triste, ce n’est absolument pas le cas, il y a un charme indéfinissable et une beauté qui plane en permanence et en fait une lecture prenante. »
Antigone :« Une lecture au charme étonnant et à la force discrète. Un roman que j’ai véritablement aimé lire. »
Source : http://www.incoldblog.fr/?post/2011/03/31/Het-Boek-Van-Wonderen%2A