L'horripilante mèche rebelle de BHL

Par Benard

31.03.2011 | Ben Macintyre | The Times

Bernard-Henri Lévy m’a volé mon taxi. Nous faisions le pied de grue depuis environ une heure à une station de taxis de la rive gauche à Paris ; la longue file d’attente progressait doucement sous la pluie, lorsque le philosophe français a surgi d’un restaurant voisin, bras dessus bras dessous avec Umberto Eco.

A cet instant, un taxi s’est rangé le long du trottoir : Bernard-Henri Lévy et son compagnon ont remonté tranquillement la queue et sont montés à l’intérieur. En tant que sujet britannique bien élevé, j’étais outré. Personne n’a émis la moindre objection à ce flagrant resquillage. C’était là une parfaite illustration du statut unique dont jouissent les intellectuels en France. Loin d’être confiné dans sa tour d’ivoire, l’intello*français peut aller où il veut, dire ce qu’il veut, s’immiscer où il veut, créer la controverse, offenser qui il veut sans se soucier du qu’en-dira-t-on.

L’affaire du taxi m’est revenue en mémoire la semaine dernière, lorsque BHL a de nouveau joué des épaules, cette fois sur la scène mondiale, avec ce mélange de désinvolture et de confiance en soi que seul pourrait se permettre un intellectuel français. Peu après le début du soulèvement libyen, il s’est rendu à Benghazi pour y rencontrer les dirigeants du Conseil national de transition (CNT). Puis il a joué les intermédiaires entre le président Sarkozy et les insurgés, et c’est ainsi que la France est devenue le premier pays à les reconnaître officiellement.

Du point de vue britannique, presque tout chez BHL est profondément agaçant : sa vanité, son cirque, sa chemise Charvet déboutonnée qui laisse entrevoir le hâle de son poitrail, son épouse vedette de cinéma, son langage soutenu et sa crinière outrageusement gominée. Les intellectuels britanniques ne s’engagent tout bonnement pas dans les affaires internationales. Nous attendons de nos penseurs qu’ils soient des érudits, qu’ils délivrent des explications sereines et laborieuses sur le pourquoi du comment, et non qu’ils dissertent sur des affaires de conscience ou d’Etat. Le philosophe le plus controversé de France peut revendiquer le fait d’avoir été l’un des artisans de la révolution libyenne. Il a poussé la France et la communauté internationale à prendre une position juste par la seule force de son argumentaire. BHL a compris que la Libye soulevait un problème éthique autant que politique. Avec un peu de temps et de réflexion, il aurait aussi pu comprendre l’importance morale de rester à sa place dans la file d’attente des taxis.

Note :* En français dans le texte.

Source : http://www.courrierinternational.com/article/2011/03/31/l-horripilante-meche-rebelle-de-bhl