Bien que les centrales possèdent leurs propres employés, environ 80% des travailleurs du nucléaire au Japon sont en fait des sous-traitants.
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80% des travailleurs du nucléaire au Japon sont en fait des sous-traitants, recrutés parmi les couches les plus paupérisées de la population japonaise. Enquête sur les « gitans du nucléaire ».
En plus d’une forte radioactivité qui les condamne à mort à brève échéance, les quelques 500 liquidateurs de Fukushima doivent travailler dans des conditions atroces et inhumaines. Ils recevraient seulement deux repas par jour, des biscuits le matin et du riz le soir, un maximum d’un litre et demi d’eau par personne, et dormiraient sur des nattes de plomb, à même le sol. Dans ces conditions, un patron confiait au journal Asahi qu’il ne pensait plus « pouvoir trouver d’autres salariés qui accepteraient d’y aller. » Dans le journal tokyoïte Tokyo Shimbun, un ancien travailleur sous-traitant de Fukushima Daiichi ne cache pas sa colère au sujet des trois ouvriers contaminés aux jambes. Sur les trois irradiés, deux n’étaient même pas chaussés de bottes. Qui sont ces travailleurs du nucléaire et comment sont-ils recrutés?
Bien que les centrales possèdent leurs propres employés, environ 80% des travailleurs du nucléaire au Japon sont en fait des sous-traitants, recrutés parmi les couches les plus paupérisées de la population japonaise. Ces travailleurs pauvres et non qualifiés effectuent pour quelques jours, parfois quelques semaines, les tâches les plus dangereuses au coeur des centrales nucléaires. Parce qu’ils se déplacent de centrale en centrale, on les appelle au Japon les « gitans du nucléaire » (genpatsu jipushi), du nom d’un livre de Kunio Horie publié en 1984.
Le rem
Acronyme de l’anglais « Röntgen Equivalent Man », le rem est une ancienne unité de mesure de dose de radiation absorbée par un organisme vivant. Il est remplacé de nos jours par le sievert (1rem équivaut à 0,01 sievert)En France, où la sous-traitance dans le nucléaire est en plein développement, l’expression utilisée dans le jargon des employés d’EDF pour les désigner est moins poétique mais plus explicite: la « viande à rems« . Sur le modèle de Toyota, les entreprises nippones ont recours depuis très longtemps à la sous-traitance, notamment dans la construction. Et les intermédiaires servant au recrutement des travailleurs journaliers sont bien souvent les yakuzas.
Sur le site de l’ANPE japonaise « Hello Work« , on trouve aisément diverses offres d’emploi de ce type, comme une offre par exemple pour travailler à la centrale de Fukushima Daiichi et Daini pour trois mois, du 3 février au 30 avril 2011. Le descriptif des travaux à effectuer est sommaire: tâches d’inspection, d’électricité et de soudure. « Aucun diplôme, aucune qualification ni aucune expérience n’est exigé », est-il précisé. L’embauche est faite au nom d’une petite entreprise de sous-traitance spécialisé dans la maintenance de centrale nucléaire. Le salaire: 10 000 yens par jour, soit 83 euros.
Un reportage d’El Mundo révélait en 2003 que la centrale de Fukushima Daiichi allait jusqu’à recruter des sans-abris dans les parcs de Tôkyô. Depuis la récession au début des années 1990, tous les parcs des grandes villes se sont transformés en véritable campement, avec de multiples abris de fortune faits de bâches bleues. C’est ici que les sociétés de sous-traitance souvent détenues par des yakuzas, envoient leurs recruteurs à la recherche de travailleurs journaliers. Dans le cas de la centrale de Fukushima Daiichi, on expliquait à ces travailleurs pauvres qu’il s’agissait d’un emploi de « nettoyeurs ». Puis envoyés à 200 km de Tokyo, ils réalisaient au dernier moment qu’il s’agissait de travailler au coeur d’un réacteur nucléaire.
En France (vidéo) : Les « bagnards du nucléaire »
Depuis, des panneaux d’avertissements ont été installés dans les parcs à Tokyo: « N’accepte pas ce travail, il te tuera! ». Mais en trente ans, ce sont des milliers de travailleurs pauvres, de travailleurs immigrés et de sans-abris qui se sont relayés dans ces centrales, au péril de leur vie. Certains tentent de faire reconnaître leurs maladies dues à l’exposition à la radioactivité. La famille Shimahashi fut la première à gagner un procès pour maladie professionnelle: leur fils, Nobuki, après 8 huit ans de travail dans la centrale nucléaire d’Hamaoka était mort à 29 ans d’une leucémie. Ce cas pourrait être l’arbre qui cache la forêt: d’après un rapport du docteur Fujita, professeur de physique de l’université de Keiô, il y aurait entre 700 et 1000 « gitans du nucléaire » qui seraient déjà morts et des milliers atteint de cancers. Dans ces conditions, les liquidateurs supposés « volontaires » de Fukushima, dont on souligne volontiers le courage, pourraient être des « héros » bien malgré eux du désastre nucléaire.
Japon: les clochards du nucléaire – L’EXPRESS.