"Marie d’Agoult" de Charles Dupêchez

Par Mango
Non moins de neuf  biographies écrites en français sont consacrées à  Marie  de Flavigny, comtesse d’Agoult, longtemps la compagne de Franz Liszt pour lequel elle a tout abandonné, même sa fille aînée. Il deviendra le père de ses trois autres enfants mais la délaissera à son tour. L’une de leurs filles, Cosima, épousera Richard Wagner. Quant à elle, devenue célèbre pendant près de quarante ans grâce à son salon parisien où défile le tout-Paris de la littérature,  des arts, de la musique et de la politique,  elle est la muse de très nombreux peintres et sculpteurs  attirés par sa beauté et c’est d’elle que s’inspire Balzac pour sa Beatrix.  Un moment amie de George Sand avec laquelle elle entretient toute sa vie une correspondance mi-figue, mi-raisin, elle décourage souvent les élans d’amitié ou de passion en raison d’une certaine froideur et d’une sensibilité maladive qui la pousse à de graves accès de dépression.
Elle avoue dans un portrait d'elle qu'elle  a tracé  à la troisième personne:" Le plus impérieux besoin de son cœur, c'est l'enthousiasme et l'admiration. Elle se crée des idéalités qui tombent en poussière au premier contact de l'intimité."

La plupart de ses  biographes mettent l’accent sur sa liaison célèbre avec Franz Liszt, cette passion dévorante, symbole même du romantisme de l’époque,  d’où ces titres : «une destinée romantique», «Le visage secret d'une comtesse romantique», «La passion de Marie d'Agoult», «une sublime amoureuse», Charles Dupêchez, lui, se contente d’un titre plus sobre et élargit son étude à l’évocation du milieu culturel et politique dans lequel elle a vécu. 
Ce ne fut pas qu’une grande amoureuse, elle fut aussi une fille souvent en désaccord avec sa mère, une mère elle-même assez peu proche de ses filles qu’elle tenait souvent éloignées d’elle. Ce fut aussi une fervente militante des idées républicaines qu’elle défend sous le nom de Daniel Stern dans de nombreuses publications, articles et ouvrages dont une «Histoire de la révolution de 1848» et des mémoires toujours très précieux pour les historiens d’aujourd’hui.

J’ai beaucoup appris sur cette femme d’exception aux idées féministes avant l’heure ainsi que sur son milieu artistique mais je n’ai pas réussi à m’y attacher, encore moins à l’aimer.  Telle qu’elle est présentée ici, c’était une femme avec de grandes qualités intellectuelles et de grandes aspirations aussi bien politiques qu’artistiques mais, grande amoureuse sûrement, elle ne me semble cependant pas avoir été  très chaleureuse.
 En comprenant qu’elle n’aurait aucun repos avant que d’être mariée, elle annonce à sa mère qu’elle acceptera docilement le parti que les siens lui proposeront. Cette faculté de démission, qui est une forme de suicide en des occasions aussi graves, est un trait fondamental de son caractère.
Alfred de Vigny vient lire, le 20 avril 1829 l’une de ses nouvelles œuvres,  La Frégate la Sérieuse. «Je l’en avais prié vivement, indiscrètement. J’en eus bien de la mortification. La lecture à laquelle j’avais convié toute  la fleur aristocratique… ne fut point du tout goûtée…»
                          Qu’elle était belle, ma frégate,
                           Lorsqu’elle voguait dans le vent.
Ces premiers vers en effet, laissent douloureusement présager de la suite. Un silence consterné accueille la fin du poème :
-Ma frégate a fait naufrage dans votre salon, dit, en se retirant, Alfred de Vigny.
-Ce monsieur est-il un amateur ? demande à ses hôtes l’Ambassadeur d’Autriche.  

 "Marie d’Agoult" de Charles Dupêchez (Perrin, 2010, 407 p)