Par Bernard Vassor
"On voit plus avec des yeux japonais,
on ressent la couleur autrement"
Vincent van Gogh.
Ukiyo-é, Hiroshige : cortège se rendant dans "le quartier réservé" de Yoshiwara, le premier jour de la floraison des cerisiers (vers 1850)
Documentaire de la télévision NHK, dans lequel est parfaitement expliqué la technique de l'estampe japonaise à travers l'exemple de la toile de Gaugauguin "D'ou venons-nous, qui sommes-nous, où allons-nous ?" Le père Tanguy y est particulièrement à l'honneur.
La xylographie polychrome japonaise a précédé de plus d'un demi-siècle les premières techniques occidentales de reproductions d'estampes en couleurs.
La technique était la suivante : en partant d'un papier fait d'écorces de murier très fin, qui était huilé pour lui doner de la transparence, le dessin d'un artiste était placé au recto, sur une planche de merisier. Un graveur spécialisé (horishi), à l'aide d'une gouge, en creuse les contours, puis un autre en élimine le bois inutile pour faire apparaître les filets en relief. L'artiste à l'aide de ces épreuves en fait un modèle pour chacune des planches qui vont servir successivement pour la réalisation de l'estampe. Chaque planche est marquée d'un repère, pour que à chaque "passage" des imprimeurs, troisième ou quatrième intervenant (surishi) les contours coïncident parfaitement.
A la fin du XVIIIe siècle, les estampes devaient avoir reçu le cachet de la censure impériale.
Certains Ukiyo-é de luxe avaient parfois plus de sept bois d'impression !
BLOC NOTE :
Dans le désordre : les premiers amateurs en France
Charles Baudelaire, Philippe Burty (qui a inventé le mot japonisme) Les Goncourt, qui prétendent avoir été les premiers collectionneurs.
Le magasin Bing rue Martel puis 19 rue Chauchat, Hayashi Tadamassa rue de la Victoire, la famille Sichel rue Pigalle. Madame Langweil 28 place Saint Georges. Champfleury, de toutes les coteries.
http://autourduperetanguy.blogspirit.com/archive/2008/04/...
Hayashi Tadamasa, l'importateur de la rue de la Victoire, conseiller d'Edmond de Goncourt.
magasin : des boutiques de produits extrême-orientaux existaient à Paris en 1855, particulièrement La Porte Chinoise, fondée sous la Restauration ; mais on n'y voit apparaître des produits japonais qu'à partir de 1860. Ce n'est pas la Porte Chinoise, mais la boutique de curiosités de M. et Mme Desoye que Champfleury évoque ici, boutique qui fut bien le lieu de réunion de la coterie dont il faisait partie. Les plus fanatiques connaissaient d'autres adresses, particulièrement celle de la Porte Chinoise, située 33 rue Vivienne (ou 53, une estampe de la collection van Gogh porte un cachet avec cette adresse). Le 8 juin 1861, le Journal des Goncourt contient cette indication : "J'ai acheté l'autre jour à la Porte Chinoise des dessins japonais, imprimés sur du papier qui ressemble à une étoffe, qui a le moelleux et l'élastique d'une laine. Je n'ai rien vu de si prestigieux, de si fantastique, de si admirable et poétique comme art..."
http://autourduperetanguy.blogspirit.com/archive/2009/06/...
LA MODE DES JAPONIAISERIES
C.-Y La Vie Parisienne, 21 novembre 1868
La dernière [originalité] qui doit être signalée est l'ouverture de l'atelier japonais d'un jeune peintre assez richement doté par la fortune pour s'offrir un petit hôtel dans les Champs-Elysées. Il faut dire un mot d'abord de l'intervention japonaise en art et comment ces produits d'une civilisation singulière pénétrèrent dans Paris.
Tout le monde ne peut connaître l'influence de Madame D... dite la Japonaise.
Il y a une dizaine d'années fut ouverte dans les environs des Tuileries une petite boutique mais voyante pour les colorations bizarres de l'étalage.
Un poète qui par-dessus tout, avait l'amour des vives colorations, s'arrêta longuement devant la montre, jeta un coup d'oeil curieux dans la boutique, y remarqua une beauté que la solitude ne paraissait pas distraire énormément. Ce poète bizarre, l'homme du monde, avait l'art de se créer tout d'abord des sympathies dans les endroits où il posait le pied. Il entra, feuilleta les albums japonais, s'assit, entama une conversation avec la marchande ennuyée, s'éventa avec les éventails, fuma une cigarette d'horrible tabac japonais, et s'en revint en chantant le Japon sur tous les tons.
Ce poète capricieux inventa chaque année quelques bizarrerie pour s'en amuser pendant quelques mois ; mais alors son enthousiasme prenait le caractère d'une obsession, et tout le temps que durait sa manie, il l'imposait à ses amis. Il devint ainsi la trompette de la marchande d'objets japonais ; ce fut tant que l'ennui de la dame disparut, les amis du poète ne quittant plus la petite boutique et sortant rarement de l'endroit sans en emporter quelque curiosité.
Les après-midi s'écoulèrent en dissertations sur l'art japonais, auxquelles se mêlèrent quelques compliments pour la dame. Parmi les initiés un jeune peintre américain se faisait surtout remarquer pour ses dépenses ; il n'était pas de jour qu'il ne s'offrit quelque laque, quelque bronze, quelque riche robe japonaise.
L'Américain avait son atelier à Londres, on le voyait chez "la japonaise" aussi souvent que s'il eût demeuré à Neuilly ; meubles et cabinets, il les expédiait en Angleterre avec la même facilité que s'il les eût confiés aux crochets d'un commissionnaire du coin de la rue.
Les prêches du poète, les achats du peintre furent résumés en des peintures franco-américaines si bizarres qu'elles troublèrent les yeux des gens assez naïfs pour rechercher les fonctions de jurés aux expositions de peinture : comme ces colorations étaient distinguées et nouvelles, on leur ferma les portes au nez. Peut-être quelques-uns les ont-ils remarquées dans les salles des Refusés. Le résultat fut celui-ci : le Japon contesté fit école.
De même qu'il y a eu en 1820 des avalanches de pifferaro en peinture, des déluges de Grecs et de Turcs en 1828, des Bretons en assez grande quantité vers 1840 pour peupler la Bretagne, des joueurs d'échecs si nombreux, de 1840 à 1850, qu'ils pouvaient lutter avec les bataillons de zouaves qui firent irruption aux Salons de la même époque ; aujourd'hui nous sommes menacés d'une invasion japonaise en peinture.
L'imitation est un fauteuil commode.
L'atelier japonais des Champs-Élysées, que les princes et princesses visitent à l'heure actuelle est "un signe du temps" dirait Prudhomme.
Toutes sortes de jeunes dames seront attifées de robes japonaises, comme cela s'est déjà vu à la montre de l'honnête maison Giroux, qui ne croyait pas faire naître un scandale sur le boulevard par cette exhibition.
Déjà même de prétendus peintres de la vie élégante nous fatiguent de leurs cabinets japonais, de leurs fleurs japonaises de leurs laques et de leurs bronzes japonais qui prennent la place principale sur la toile et jouent un rôle bien autrement considérable que les personnages.
En avons-nous déjà assez vu de ces soubrettes élégantes qui, cachant un billet dans la main, se préparent à entrer dans la pièce voisine où de nombreuses précautions doivent être prises pour la remise du billet doux... Ce petit drame amoureux m'intéresse. Il y a sans doute un jaloux dans la chambre à côté. Le jaloux est une mandragore japonaise en bronze qui fait vis-à-vis à des fleurs japonaises. Il paraît que la mandragore ne doit point avoir connaissance du billet.
Les amateurs trouvent ce drame ravissant, et l'achètent quelques billets de mille au peintre de la vie élégante.
La vente est connue dans Paris. Cinquante peintres suivront les traces de l'heureux initiateur qui a eu l'idée d'employer des objets du Japon, comme dans les théâtres de province un dialogue vif et animé remplace la musique.
Hokusaï : La Vague (détail)
« Japoniaiseries »
LA DÉCOUVERTE D'HOKOUSAI
paru dans Le Musée secret de la caricature, Paris, 1888, pp.187-201
... Il était réservé au Paris d'il y a vingt-cinq ans de se prononcer sur l'oeuvre d'un mettre capricieux [...] que les artistes adoptèrent pour ainsi dire. Vers 1855, quelques peintres et poètes, toujours en quête de nouveautés, firent la fortune d'un magasin aussi bien fourni en étoffes et en bronzes japonais qu'en albums et en feuilles volantes aux colorations pleines de saveur. Il existera toujours dans le monde parisien un petit groupe de chercheurs d'imprévu, doués d'une vue qui pénètre plus loin que la vue de la foule... De ce petit groupe s'échappa le rayonnement d'Hokou-Saï, un véritable artiste ; d'autres, plus réservés, sourirent un peu en voyant l'admiration pour des cahiers de croquis auxquels, disaient-ils, à Tokio on n'attachait peut-être qu'une médiocre valeur... La série des divers albums d'Hokou-Saï dont personne alors ne pouvait traduire les titres non plus que les courtes et rares légendes, fut à cette époque étudiée par un esprit curieux des secrets de tous les arts, mon ami Frédéric Villot, qui dépensait sa fortune en études de toute nature, et jeune encore je fus initié à la campagne qui se préparait par la communication de romans japonais qu'un dilettante faisait traduire pour sa propre jouissance.
Ce sont ces coteries du Paris intellectuel qu'il faut connaître pour se tenir au courant des recherches ; là je puisai les premiers renseignements qui, répondant bien à mes goûts, me permirent de donner dès 1869, sur l'oeuvre d'Hokou-Saï, quelques notes dont on me permettra de transcrire un extrait, car, quoique datés de près de vingt ans, mes sentiments ne se sont guère modifiés depuis lors.
« La plupart des vignettes japonaises reproduites dans ce volume, disais-je, sont tirées des cahiers de croquis d'un dessinateur merveilleux qui mourut, il y a environ cinquante ans, au Japon, laissant une grande quantité d'albums dont la principale série composée de quatorze cahiers, excita lors de son introduction à Paris, une noble émulation parmi les artistes. « Ce peintre appelé Fo-Kou-Saï, et qui est plus populaire sous le nom de Hokou-Saï, a plus fait pour nous rendre facile la connaissance du Japon que les voyageurs et les professeurs de japonais qui ne savent par le japonais [... ]
L'époque actuelle compte un certain nombre de très brillants écrivains qui veulent être admirés pour le précieux de leurs écrits. Ils se proclament volontiers des initiateurs en toutes choses et font savoir au public qu'ils ont découvert le Japon ; oui, eux tout seuls vraiment, à les en croire, ont enfoncé les portes de cet empire fermé jusque-là. J'ai montré qu'à M. Frédéric Villot et à quelques-uns de ses amis était due la popularité des peintres japonais. Depuis, il ne me coûte en rien de le reconnaître, on est entré plus avant dans l'ordre des connaissances japonaises et, pour ce qui touche plus particulièrement Hokou-Saï, on le doit en partie à M. Th. Duret, compagnon de voyage de M. Cernuschi [... ]
À quoi bon aller au japon pour en rapporter des déconvenues d'idéal, comme il arrive souvent aux gens de trop d'imagination ? Ces croquis précis passent de l'hiver à l'été, des grands tapis de verdure aux neiges épaisses ; ils transportent le curieux au pied des plus hautes montagnes dans les ports de mer, au bord des flots agités, sous des nuages menaçants qui font trembler pour le retour des barques de pêcheurs à l'horizon. Les croyances religieuses, les superstitions du peuple japonais, y sont figurées par d'imprévues représentations de divinités bouddhiques singulières ; plus fantastiques encore, ces guerriers, ces monstres légendaires, ces princesses persécutées qui semblent appartenir au domaine de noirs mélodrames [... ]
Veut-on voir le peuple de la ville à ses plaisirs, les populations rurales à leurs travaux ? C'est dans les croquis du peintre qu'on les surprend dans la variété de leur condition [...] Hokousai mourut à Tokio en 1849, âgé de quatre-vingt-neuf ans.
Il avait été dans le long parcours de sa vie le contemporain de Goya, de Rowlandson, de Daumier. Ces trois noms coulent de ma plume, amenés par de secrètes analogies avec les puissants satiriques que le Japonais ne connut certainement pas. Mais de certains courants existent dans une même époque qui relient les nations et les hommes. Le Japon n'est pas entré tout à coup au demi-siècle dans les voies de la civilisation européenne sans avoir écouté antérieurement de multiples appels de lumières et de progrès.
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LA MODE DES JAPONIAISERIES
signé C.-Y. et paru dans La Vie parisienne, 21 nov. 1868, pp.862-863
La dernière [originalité] qui doit être signalée est l'ouverture de l'atelier japonais d'un jeune peintre assez richement doté par la fortune pour s'offrir un petit hôtel dans les Champs-Elysées.
Il faut dire un mot d'abord de l'intervention japonaise en art et comment ces produits d'une civilisation singulière pénétrèrent dans Paris.
Tout le monde ne peut connaître l'influence de Madame D... dite la Japonaise.
Il y a une dizaine d'années fut ouverte dans les environs des Tuileries une petite boutique mais voyante pour les colorations bizarres de l'étalage.
Un poète qui par-dessus tout, avait l'amour des vives colorations, s'arrêta longuement devant la montre, jeta un coup d'oeil curieux dans la boutique, y remarqua une beauté que la solitude ne paraissait pas distraire énormément. Ce poète bizarre, l'homme du monde, avait l'art de se créer tout d'abord des sympathies dans les endroits où il posait le pied. Il entra, feuilleta les albums japonais, s'assit, entama une conversation avec la marchande ennuyée, s'éventa avec les éventails, fuma une cigarette d'horrible tabac japonais, et s'en revint en chantant le Japon sur tous les tons.
Ce poète capricieux inventa chaque année quelques bizarrerie pour s'en amuser pendant quelques mois ; mais alors son enthousiasme prenait le caractère d'une obsession, et tout le temps que durait sa manie, il l'imposait à ses amis. Il devint ainsi la trompette de la marchande d'objets japonais ; ce fut tant que l'ennui de la dame disparut, les amis du poète ne quittant plus la petite boutique et sortant rarement de l'endroit sans en emporter quelque curiosité.
Les après-midi s'écoulèrent en dissertations sur l'art japonais, auxquelles se mêlèrent quelques compliments pour la dame. Parmi les initiés un jeune peintre américainse faisait surtout remarquer pour ses dépenses ; il n'était pas de jour qu'il ne s'offrit quelque laque, quelque bronze, quelque riche robe japonaise.
L'Américain avait son atelier à Londres, on le voyait chez "la japonaise" aussi souvent que s'il eût demeuré à Neuilly ; meubles et cabinets, il les expédiait en Angleterre avec la même facilité que s'il les eût confiés aux crochets d'un commissionnaire du coin de la rue.
Les prêches du poète, les achats du peintre furent résumés en des peintures franco-américaines si bizarres qu'elles troublèrent les yeux des gens assez naïfs pour rechercher les fonctions de jurés aux expositions de peinture : comme ces colorations étaient distinguées et nouvelles, on leur ferma les portes au nez. Peut-être quelques-uns les ont-ils remarquées dans les salles des Refusés. Le résultat fut celui-ci : le Japon contesté fit école.
De même qu'il y a eu en 1820 des avalanches de pifferaro en peinture, des déluges de Grecs et de Turcs en 1828, des Bretons en assez grande quantité vers 1840 pour peupler la Bretagne, des joueurs d'échecs si nombreux, de 1840 à 1850, qu'ils pouvaient lutter avec les bataillons de zouaves qui firent irruption aux Salons de la même époque ; aujourd'hui nous sommes menacés d'une invasion japonaise en peinture.
L'imitation est un fauteuil commode.
L'atelier japonais des Champs-Élysées, que les princes et princesses visitent à l'heure actuelle est "un signe du temps" dirait Prudhomme.
Toutes sortes de jeunes dames seront attifées de robes japonaises, comme cela s'est déjà vu à la montre de l'honnête maison Giroux, qui ne croyait pas faire naître un scandale sur le boulevard par cette exhibition.
Déjà même de prétendus peintres de la vie élégante nous fatiguent de leurs cabinets japonais, de leurs fleurs japonaises de leurs laques et de leurs bronzes japonais qui prennent la place principale sur la toile et jouent un rôle bien autrement considérable que les personnages.
En avons-nous déjà assez vu de ces soubrettes élégantes qui, cachant un billet dans la main, se préparent à entrer dans la pièce voisine où de nombreuses précautions doivent être prises pour la remise du billet doux... Ce petit drame amoureux m'intéresse. Il y a sans doute un jaloux dans la chambre à côté. Le jaloux est une mandragore japonaise en bronze qui fait vis-à-vis à des fleurs japonaises. Il paraît que la mandragore ne doit point avoir connaissance du billet.
Les amateurs trouvent ce drame ravissant, et l'achètent quelques billets de mille au peintre de la vie élégante.
La vente est connue dans Paris. Cinquante peintres suivront les traces de l'heureux initiateur qui a eu l'idée d'employer des objets du Japon, comme dans les théâtres de province un dialogue vif et animé remplace la musique.
mise à jour le 3/04/2011