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Le 19 mars prochain sortira Paintings, le nouvel EP des Natas Loves You succédant au brillant From Natas with love paru début 2009. Pour ce jeune groupe originaire du Luxembourg, il s’agit là du premier effort parisien en studio. Une date importante… ainsi qu’une belle occasion pour nous d’en discuter autour d’un dictaphone. Rendez-vous fut donc pris chez leur manager, à quelques encablures seulement des légendaires vignes de Montmartre. Là, serrés sur un étroit sofa, les quatre cinquièmes du groupe -soit Alain le chanteur, Pierre-Hadrien le claviériste, Virgile le bassiste et Joachim le guitariste (le batteur Joonas, non francophone, n’étant pas disponible)- se sont longuement épanchés sur leur actualité, leur parcours mais aussi sur leur vision de la musique. Certains furent bavards, d’autres plus taiseux. Résultat: un entretien-fleuve où l’on apprend que ces inconditionnels de la belle pop ont plus que jamais les oreilles grandes ouvertes. Morceaux choisis.
Presque deux ans se sont écoulés entre From Natas with love et Paintings. Que s’est-il passé concrètement durant tout ce temps?
Pierre-Hadrien: En fait, à notre arrivée à Paris, on n’a pas été aussi efficace que prévu. Il a fallu s’adapter, se faire des contacts, en un mot s’implanter. Du coup, on a fait pas mal d’Open mic’ et quelques concerts mais ce n’est que depuis peu qu’on se remet à écrire des chansons.
Virgile: Sinon l’EP a été enregistré en Juillet 2010 et il a fallu beaucoup de temps pour le finaliser: le mixage, le mastering, la pochette, etc…
Quel regard portez-vous sur la scène rock parisienne dans laquelle vous évoluez désormais?
PH: Pour résumer, ce que l’on voit aux Open mic’ tous les dimanches est mieux que ce qu’il y a au Gibus les vendredis soirs. Maintenant, c’est très dur de savoir où l’on se situe au milieu de cette scène… J’ai l’impression qu’ici chacun fait son délire un peu tout seul, dans son coin.
V: Mais déjà, est-ce qu’on peut vraiment parler d’une « scène parisienne »? Il n’y a pas d’unité créative dans les styles musicaux. On se sent un peu tout seul au milieu de tout ça, comme si nous étions plus dans le paysage que dans la scène à proprement parler. Cela dit, je pense que beaucoup de groupes ont ce sentiment là…
PH: Pour moi, il y a un réel problème parisien, c’est le culte de l’esthétisme. Les gens n’ont pas tellement envie de créer une musique qui soit en rapport avec leur époque mais juste d’aller aux soirées rock et de cultiver un esthétisme rock un peu cliché. Et surtout, les groupes chantent en anglais mais n’arrivent pas à bien s’exprimer en anglais. Pour ça, on a la chance d’avoir parlé anglais à Luxembourg, du coup on sait ce qu’on veut dire et on le dit.
« ON A TOUJOURS ATTACHE ENORMEMENT D’IMPORTANCE A LA PRODUCTION »
Sur cet EP, quelle importance avez-vous accordé à la production?
PH: Depuis le début, on a toujours attaché énormément d’importance à la production car on désire un son à nous, un truc bien léché. Paintings, c’est juste une amélioration venant du fait qu’on ait appris un peu plus de chose concernant la production.
V: Concernant l’importance du studio dans notre musique, je pense que l’on a tous des avis différents. Moi à la base, ce qui me procure l’adrénaline, le rush d’énergie, c’est la scène. Le studio reste très intéressant mais ce n’est pas le truc qui me fait le plus kiffer. Contrairement à PH, je pense…
PH: J’ai changé ma vision du studio. Avant, on enregistrait des choses qu’on ne pouvait pas vraiment reproduire en live, c’était juste techniquement impossible. Désormais, j’essaye de rester réaliste et de me demander si je pourrais reproduire le son en live. Je ne ressens plus le besoin de rajouter sans cesse de nouvelles choses. Les périodes d’enregistrement nous ont beaucoup appris sur le songwriting, c’est pourquoi on se concentre dorénavant plus sur le squelette des morceaux que sur les ornements.
De Blues Spector à Golden Fog en passant par Scarlett Brown, de nombreuses couleurs teintent vos titres…
Alain: En fait, c’est quelque-chose dont on s’est aperçu après coup et qui nous a inspiré le titre Paintings. On pense en couleurs, en paysages, nos textes sont presque comme des tableaux, il s’agit à chaque fois de transmettre une atmosphère particulière, de parler d’une vision.
PH: L’idée était d’écrire de petites histoires, des nouvelles mais en tableaux. Jerusalem, par exemple, raconte l’histoire d’une femme partagée entre trois hommes qui n’acceptent pas qu’elle soit partagée.
Et sinon, qui écrit les paroles?
A: Depuis l’été, Virgile, PH et moi. Auparavant, chacun écrivait un peu de son coté. Grâce à cette écriture à trois, on a trouvé une forme d’équilibre. On partage tous un certain sens de l’esthétisme, une même vision des choses donc on se comprend très bien et de cette compréhension vient un respect. C’est très rafraichissant pour moi qui n’avait pas l’habitude d’écrire avec d’autres gens…
PH: Le plus important c’est le débat que l’on a à trois. De ce débat-là, il sort à chaque fois quelque-chose. Chacun a ses fautes de gouts, ses mauvais cotés mais dès que l’un de nous franchit la ligne et propose un truc un peu « cheesy », un autre est là pour le faire remarquer. En fait, c’est comme s’il y avait trois contraintes.
Avez-vous des influences littéraires particulières?
A: (Sans hésiter) Le romantisme, la beat-poetry des années cinquante et toutes les mythologies de toutes les cultures. En ce moment, on écrit d’ailleurs l’odyssée d’un personnage à travers plusieurs chansons dont le point de départ est le titre Golden Fog présent sur l’EP.
Ancrés le plus souvent dans un univers onirique, vos chansons parlent de magie, de spectre ou encore de science-fiction. Pourquoi vous détacher ainsi du monde qui nous entoure?
V: On est tous très introspectifs et complètement dans la lune tout le temps! Je respecte un type comme Alex Turner des Arctic Monkeys qui prend une situation dans un Pub quelconque de son coin pourri d’Angleterre et en fait de la poésie mais nous, on n’a pas du tout ce coté descriptif, réaliste. C’est une échappatoire pour nous d’écrire, une façon d’aller à l’intérieur de nous, pas une nécessité de décrire ce qui nous entoure.
PH: De toute façon, comme on ne vit pas dans un coin de merde du Nord de l’Angleterre, je crois qu’on n’aura jamais ce truc-là… Les song-writers anglais arrivent à capter ce truc merdique et a en faire un truc de beau. Il y a quelque-chose de très profond, un sentiment nationaliste fort dans leurs textes. Mais de notre coté, on cherche tout de même de plus en plus à transmettre un message. Le fait de vivre à Paris a d’ailleurs vachement influencé ça, on s’est pris une petite claque en arrivant ici et ça nous a endurci. Maintenant, je peux dire que je suis comme les mecs du Nord de l’Angleterre (Rires)…
A: Ça pourrait paraître superficiel de parler toujours de rêve, de belles choses mais c’est là où se retrouve la nuance à l’origine même du nom du groupe: rien n’est tout noir ou tout blanc. Ce que l’on cherche à décrire, c’est le noir ET le blanc. La vie n’est certes pas un beau rêve mais ce n’est pas pour autant un horrible cauchemar.
Il y a une évolution frappante entre les deux EP: d’un rock psychédélique un peu brumeux, vous semblez être passé à une pop avouée, affranchie. Comment l’expliquez-vous?
PH: Ça s’est fait de façon très naturelle. Pour ma part, j’ai un véritable amour pour la belle Pop. La Bossa Nova, les Beach Boys, les Zombies, c’est du songwriting, de la Pop avec un P majuscule. C’est de la belle pop, pas de la pop RTL2.
V: Ce mouvement vers une pop assumée, c’est quelque-chose qu’on a construit ensemble, pour lequel on s’est nourri mutuellement. Alain a un tout autre background: son premier groupe était primairement rock’n'roll… Joachim, quand j’ai commencé à le connaitre, écoutait des trucs seventies, du funk… Eux m’ont appris des choses et on leur en a apporté en retour, si bien qu’on est arrivé tous ensemble à la conclusion qu’on souhaitait faire de la pop. C’est un peu notre point de fuite.
PH: En fait, je commence vraiment à me dire qu’il va falloir faire passer un message à un moment. Sachant qu’aujourd’hui il existe un certain format, il faut trouver des outils pour communiquer son message. C’est comme Voltaire qui utilisait l’ironie pour éviter la contrainte de la censure… Aujourd’hui, il faut faire de la pop qui fait danser les gens. Je sais qu’il y a des gens qui vont écouter notre musique en club, parmi tous ces gens il y en aura forcément une petite partie qui va regarder les paroles et voir ce que ça dit. Voilà, j’aimerais qu’un message soit passé et pour cela il faut faire de la pop.
« ON COMMENCE A ACCEPTER LA CONTRAINTE PLUTÔT QUE DE LUTTER CONTRE »
On a parfois l’impression que cet EP est plus personnel que le précédent…
PH: From Natas with love, c’était nos premières chansons, c’était super jeune. Du temps s’est écoulé depuis, on a vraiment passé beaucoup de temps ensemble. On s’est recherché et on se recherche toujours mais disons qu’on s’est un peu plus trouvé que sur l’EP d’avant. Et du coup, c’est surement plus personnel.
Virgile: En arrivant à Paris, tout le monde était un peu paumé. On a du s’appuyer les uns sur les autres, on se voyait tous les jours et je crois que ça a influencé notre musique de manière profonde.
A l’intérieur même de Paintings, il y a comme un décalage entre d’une part des chansons extrêmement pop tels que Zeppelin et d’autre part des titres peut-être plus ambitieux, plus exigeants, à l’image de Blues Spector. Qu’en pensez-vous?
V: Ça rejoint ce qu’on disait, on commence à accepter la contrainte et à s’en servir plutôt que de lutter contre. Jack White, lui aussi, a sa théorie de la contrainte, il trouve plus intéressant d’etre contraint sur scène… Une chanson comme Blues Spector, avec deux bridges longs et instrumentaux, je l’adore mais à l’écoute ce n’est pas forcément facile. En fait, je crois avoir eu un vrai déclic en écoutant Grizzly Bear, parce qu’une chanson comme Two Weeks est super efficace et pourtant derrière, c’est un songwriting de bâtard. Pareil pour MGMT qui font des tubes, des chansons qui déchirent tout mais aussi des trucs hors-format comme Siberian Breaks. Les lignes sont vraiment en train de bouger.
PH: Cela dit, on fera toujours des chansons longues et plus introspectives. Si tu écoutes Paintings, c’est assez équilibré, il y a trois titres assez orientés pop, faciles d’accès mais aussi des morceaux plus intimistes. Il n’y aura jamais chez nous d’album avec que des morceaux pop.
C’est drôle parce qu’il y a une autre contradiction cette fois-ci interne à chaque chanson: quelque-chose de très propre, de très rigoureux (notamment du point de vue de la production) contraste avec un aspect baroque super prononcé.
PH: Mais « pop baroque » ne veut pas dire « baroque »! La pop baroque c’est les Beach Boys, les Zombies, Gainsbourg avec Initials BB… D’ailleurs, mon vrai kiff esthétique, c’est Scarlett Brown, je dis toujours en plaisantant que c’est notre Initials B.B.
Virgile: Et puis si tu écoutes l’album Odessey & Oracle des Zombies, tu vois que les arrangements sont également au millimètre près.
Et ce coté « pop baroque », il vous vient d’où?
PH: De Vivaldi, des Fleet Foxes… Mais ce n’est peut-être pas tant de la « pop baroque » que de la « romantique-pop ». Par exemple, Jane B. de Gainsbourg, qui est tirée d’un morceau de Chopin, entrerait parfaitement dans la terme de « pop baroque » alors qu’elle est en réalité inspirée d’un morceau romantique. Enfin bref… Sinon on est des énormes fans de John Barry et de David Axelrod.
V: J’écoute du classique depuis tout jeune, par mon père notamment, et je me suis toujours demandé comment marier pop et classique tout en sachant qu’il est super facile de tomber dans des trucs de très mauvais gout. Un jour j’ai découvert Axelrod qui m’a mis une grosse claque… Ce type a juste réussi à faire tout ce dont j’avais rêvé.
PH: Et puis c’est drôle parce que les Last Shadow Puppets ont eu le même kiff que nous. Sauf qu’eux, ils ont le London Orchestra derrière (Rires)… Pareil pour des groupes jugés plus mainstream comme Mando Diao et même Robbie Williams qui a piqué du François de Roubaix pour Suprême! Les gens aiment ce coté épique de la pop avec des cordes…
V: Mais ils sont réticents à l’avouer. Beaucoup de gens disent que les cordes, ça fait prétentieux, qu’on se prend pour de grands compositeurs de classique alors qu’on est juste des branleurs. Bon, on est des branleurs… mais on a tous une solide formation musicale donc ça reste à nuancer.
Ne trouvez-vous pas que dans la musique pop actuelle, tout marche par références et qu’on ne peut d’une certaine façon rien inventer de résolument neuf?
V: J’ai envie de dire que tout a toujours marché par références… Bach, Chopin, ils avaient tous masse de références, sans doute mille fois plus que nous parce qu’ils avaient reçu une éducation musicale au sens propre. C’est un peu facile de dire que l’age d’or est révolu et que plus rien ne s’invente. Je trouve ça faux parce que ça a toujours été le jeu de l’équilibre entre la référence et la pure création. De toute façon, il y aura toujours moyen de créer une chanson qui n’a jamais été faite avant. Et puis quelque-chose de neuf est toujours fait en référence à quelque-chose d’autre et ça ne diminue pas du tout sa valeur, au contraire.
PH: On peut s’imprégner d’un héritage et en redonner une vision plus adaptée à aujourd’hui. Tu as toujours les mêmes pulsions que le mec d’il y a six-cent ans, ça va juste être remis au goût du jour. En plus, il y a de nouveaux sons donc il reste forcément plein de trucs à faire.
Qu’est-ce qui tourne en ce moment dans vos Ipods?
PH: Beaucoup de bossa-nova, de la musique asiatique, El Guincho, Phoenix, Animal Collective…
Joachim: David Bowie.
A: Des musiques de films.
V: Récemment, j’ai beaucoup écouté le dernier Deer Hunter, Halcyon Digest. Mais j’écoute en fait assez peu de musique moderne. Là où on se rattrape, c’est que c’est super large ce que l’on écoute: de la musique cubaine, de la bossa, du jazz éthiopien des sixties…
PH: On essaye dorénavant de capter l’essence plus que le son. John Barry, par exemple, tu peux très bien utiliser ces accords en les adaptant afin d’en faire un truc super en phase avec l’air du temps. Pareil pour la bossa… Je n’arrive pas à croire que personne dans la pop mainstream ne s’est inspiré de la musique bossa nova, de ces lignes de voix tellement intéressantes. La bossa nova, c’est magnifique, c’est une musique parfaite dans le sens où elle prend tout ce qui est bon du jazz et tout ce qui est bon de la pop pour en faire un truc très simple à écouter mais en réalité super difficile à roder.
«CELUI QUI A REPRIS LE FLAMBEAU DE GAINSBOURG, C’EST SÉBASTIEN TELLIER»
Le 2 mars dernier, nous fêtions les vingt ans de la mort de Serge Gainsbourg. Vous en êtes de fervents admirateurs?
PH: A une époque, j’écoutais Melody Nelson tous les soirs avant de me coucher. La narration, Gainsbourg tout près du micro, aucune réverb’, aucun effet sur la voix, c’est dingue.
V: Il avait ce goût pour l’innovation tout en gardant un sens de l’esthétisme, c’est peut-être cela qui nous a vraiment marqué.
PH: Sinon je tiens à dire que je respecte à fond Sébastien Tellier. Ce type a une certaine mélancolie et il fait de la pop avec classe en y ajoutant une touche de second degré… A mon sens, celui qui a repris le flambeau de Gainsbourg, ce n’est pas Biolay, c’est Sébastien Tellier.
Comment se profile l’avenir pour les Natas Loves You?
V: Coke et putes à Miami! Non, en fait on est en train d’écrire un album. Et puis une tournée ce serait génial, on attend que ça. On verra en fonction des opportunités qui s’offrent à nous…
Tommy (manager): Sinon on devrait avoir de la diffusion radio au Luxembourg. Et ici, au moins quelques diffusions en province.
Pour finir, seriez-vous prêts à signer sur une major?
PH: Totalement.
T: A partir du moment où l’on est sûrs de ne pas se faire enfiler. Mais on est très bien entourés, je suis très rigoureux là-dessus. Voilà, on n’a pas envie d’être indie et de se battre contre les majors: jouer de la bonne musique c’est tout ce qui compte.
Propos recueillis par Grégoire et Leo.
Crédits: Leo.