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La peinture photographique de Manet

Publié le 03 avril 2011 par Marc Lenot

Pour lire ce billet dans une mise en page plus correcte, il vous faut aller .

Une des choses qui m’a frappé dans cette exposition Manet au Musée d’Orsay est une certaine forme d’esthétique photographique chez Manet. Je ne sache pas que Manet ait beaucoup fait usage de la photographie, que ce soit pour son propre plaisir ou, comme Delacroix et bien d’autres, pour préparer ses dessins et ses tableaux (même si l’Exécution de Maximilien fut bien entendu basée sur des documents photographiques parus dans les journaux – lire la monographie de John Elderfield) mais, en esprit curieux, il était certainement au courant des développements du nouveau médium apparu dans son enfance.

Quels éléments peuvent caractériser une esthétique photographique ? En simplifiant, on peut sans doute considérer le rendu du mouvement, de la vitesse, l’instantané, capture d’un instant, et le cadrage et recadrage. Ces trois facteurs se retrouvent à des degrés divers, dans des toiles de Manet dans cette exposition.

La peinture photographique de Manet
La vitesse ne se voit guère que dans un tableau, les Courses à Longchamp (1866 ; Chicago Art Institute) où le flou délibéré des jambes des chevaux au galop est bien différent de la posture gelée des montures d’Horace Vernet par exemple, chez qui rien ne bouge, tout est figé.  Ce n’est que 12 ans plus tard que  Muybridge révèlera la dynamique du cheval au galop. Mais ce n’est pas le plus intéressant.

La peinture photographique de Manet
Dès le début de l’exposition, on rencontre un Enfant à l’épée (1861 ; Metropolitan) sur un fond neutre. Sa pose est théâtrale ; pourquoi transporte-t-il cette arme plus grande que lui, à qui l’apporte-t-il ? Ce tableau est la capture d’un instant fugitif, le moment où l’attention de l’enfant aurait été captée par le photographe, l’instant décisif où la pose se serait figée. C’est un rapport au temps très différent de celui qu’on peut voir, par exemple, dans le portrait voisin des parents de l’artiste, image fixe sans le moindre mouvement, pose sculpturale et non pas instantanée. Ce n’est guère qu’à partir de 1879 que la technique permettra d’accéder à ce qu’on peut nommer l’instantané photographique.

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C’est aussi très vrai de la Chanteuse des rues (1862 ; Boston Museum of Fine Arts), flottant entre deux mondes, passant d’un univers à un autre, image même de la saisie d’un moment, avec ces cerises si sensuelles.

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On va retrouver cette instantanéité dans d’autres oeuvres de Manet, certaines très théâtrales comme Faure dans le rôle de Hamlet (1877 ; Folkwang Museum Essen) où le côté tragique et mortel du personnage est souligné par la posture de l’acteur pris sur le vif, d’autres plus légères comme
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cette Femme dans un tub (1878/79 ; pastel ; Musée d’Orsay), présentée ici au milieu de femmes posant pour leur portrait alors qu’elle est saisie sur le vif, nue, mi-surprise, mi-amusée, plutôt complice. Ce thème fréquent gagne ici une légèreté, une vivacité, un impromptu que, là encore, je qualifierai de photographiques. Sans doute n’est-il pas innocent qu’il s’agisse ici soit de drame, soit de sexe.

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Enfin, l’habitude fréquente de Manet de découper des toiles déjà peintes pour en faire de nouveaux tableaux ressort d’une pratique quasi photographique du cadrage. L’exemple le plus connu est le dramatique Homme mort (ou Torero mort, 1864 ; Washington National Gallery) qui fut d’abord le premier plan d’un tableau de corrida : renversement de la vision, mais
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aussi renversement sacrilège des pratiques picturales du fait de la coupe, du recadrage. Bien d’autres tableaux ont subi le même sort ; voici, parmi d’autres, les Gitans, ici reconstitués en photomontage, dont trois des découpes sont montrées dans l’exposition.

Ce n’est là bien sûr qu’un aspect secondaire de cette exposition, qui, sauf erreur, n’a guère été soulevé, et qui mériterait sûrement plus d’étude que ce bref billet.

Photos courtoisie du Musée d’Orsay, excepté la femme au tub.
Crédits photo :
Faure dans le rôle d’Hamlet © Museum Folkwang, 2011
Courses à Longchamp Photography © The Art Institute of Chicago.
Le torero mort © Widener Collection, Image courtesy National Gallery of Art, Washington
Photomontage des gitans © Courtesy of Wildenstein & CO. Inc., New York
La chanteuse des rues Photograph © 2010 Museum of Fine Arts, Boston
Le jeune garçon à l’épée © The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN / image of the MMA


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