Le regard humain. Voici une autre démarche montrant l'arrachement superbe de l'homme à l'animalité, à son nécessaire utilitarisme de survie. Regardez un match de boxe à la télévision. Même si vous n'aimez pas ça. Car grâce à la caméra,à la technique,on peut avoir une vue sur le regard de l'un des agonistes. Et l'on voit quoi? un regard vide. Le regard naturel de l'être vivant en danger. Le regard du prédateur comme de la bête traquée. le regard du chasseur. Ou du bon conducteur qui, par exemple à la nuit tombante, sait qu'il ne faut pas fixer, mais regarder vaste. sinon,le risque est ne ne pas voir le danger. Et la restriction du champ de vision, par exemple sous l'effet de l'alcool, nuit à ce regard "général", animal, sécuritaire. C'est le regard natif, vague... Si le boxeur fixe un point précis de son adversaire, il ne verra pas une attaque venant d'ailleurs.
Comment l'humain s'est -il arraché à la nature? Peut-être en changeant de regard. En apprenant à lire. En apprenant à fixer. Car, une fois hors de danger, l'homme a pu observer mieux, passer du regard « général » au regard précis et mieux observer ce dans quoi il est plongé. Et s'en distancer:la notion d' »environnement », d'ennemi est née à ce moment. Cependant,un animal comme le chat, (et d'autres félins connaît aussi ce regard focalisé quand il torture sa proie: il pose le regard du savant, de l'entomologiste,mais aussi du tortionnaire fasciné. Celui de Bigeard,disent certains qui, hélas l'ont vu àl'œuvre.... Celui qui déchiffre la souffrance infligée, s'en distancie par inhumanité mentale et affective. Mais est-ce un paradoxe? ).
Ce regard humain,propre à l'émerveillement peut alterner avec le regard »natif »...C'est le cas dans le sublimeece quiui nous écrase, ce qui dépasse le regard, ce qu'on ne peut envisager, voir d'un seul coud'œil...le genre paysage de montagne...on seremplitiles yeuxeux,on fixe, recommence jusqu'à un éventuel « syndrome de Stendhal », une émotion admirative qui coupe le souffle. Le peintre, humain plus que tout, l'a su intuitivement en encadrant le sublime,en permettant d'y accéder beaucoup mieux par le regard humain qui voit vraiment et scrute,ne cherchant plus seulement à s'informer,mais à voir, comprendre, déchiffrer, lire,aimer. C'est l'intelligence des chose.Intelligere, intégrer, comprendre,prendre avec soi, prendre en soi, devenir.
Et,du déchiffrement de la nature comme du reste (car il y en a un),le beau,par exemple,que le regard humain a inventé,on a pu en venir à la lecture, ce propre de l'homme que quelques traîtres osent ne pas pratiquer. A l'invention des lettres qui ne représente, groupées en mots, que d'une façon médiate, indirecte et profonde. A un déroulement des fonctions cognitives à nul autre pareil. Et qui naquit un jour quand on a voulu « lire » la nature, pour la mieux comprendre et connaître, pour ne plus la subir. Encore,pour la lecture des lettres, devait-on parler. Le regard fixé a une histoire. Il est de l'homme. De l'humanité .Et nous lisions toujours en prononçant,autrefois. A de rares exceptions près et Saint Augustin s'inquiète de voir saint Ambroise lire silencieusement:la lecture sans parole se généralisa en gros vers la Renaissance. Avec la naissance de la banque, à la généralisation des documents financiers, comme la lettre de change, qu'il fallait déchiffrer autrement. Ce qui allait avec la ponctuation, naissant au même moment, pour clarifier le texte:la grammaire et la banque sont intimement liées!
Ce regard fixé a intrigué au moment où l'on a pu le multiplier par la photographie. Et, au début du XXeÉmÉmileaval a commencé de prodigieuses études sur la lecture,les points de fixation du regard, son rythme. Ses composanets humaines. L'histoire du regard humain est à écrire. Elle est passionnante et montre notre grandeur,notre refus de l'état naturel des choses. Nous avons apprivoisé notre regard »sauvage ». Celui que le boxeur doit retrouver pour exercer une violence, animale, certes,mait très technicisée: en intelligence avec ce qui est là. Et c'est un pas de plus vers la liberté d'être. Pendant ce temps,les animaux stagnent. Provoquant la nostalgie des plus réactionnaires d'entre-nous. Ceux qui refusent l'intelligence du monde et des choses... Et préfèrent la bêtise au sens propre à la vie humaine. A l'humanisme. Vive l'humanité!