Le fameux débat sur la laïcité dont on nous rebat les oreilles depuis plusieurs semaines m’a rappelé qu’il fut un temps où j’ai côtoyé la religion. Français bien ordinaire, j’ai été élevé dans la religion catholique comme beaucoup - mais pas tous - de mes camarades de classes dans ce Paris des années 50.
Quand j’écris « élevé » j’exagère pas mal, pour ne pas dire énormément, car à la maison on ne parlait jamais de religion et si le vendredi on mangeait du poisson, c’était plus par concours de circonstances, il faut bien en manger pour varier les menus et que ce jour lui est dévolu par une tradition séculaire devenue habitude de vie, plutôt que pour respecter une consigne religieuse. Vendredi c’est poisson, comme lundi c’est raviolis, vous voyez le genre de raisonnement.
De même pour les grandes fêtes religieuses, Pâques et Noël, le mot « fêtes » prenait le pas sur la dimension spirituelle du truc. Des cadeaux à Noël, des chocolats à Pâques, voilà la seule liturgie qui réglait notre année.
Je ne suis donc pas d’une famille pratiquante comme on dit, d’ailleurs un de mes deux parents était sans religion. Néanmoins j’ai suivi le catéchisme pour avoir les bases de la religion dominante alors et recevoir les sacrements traditionnels d’un jeune Français de cette époque, du baptême à la communion. Mes parents estimant que cet enseignement religieux ne pouvait pas me faire de mal et qu’à l’instar de Pascal, il était préférable de croire car si le Paradis existe j’aurais un passeport valide et que s’il n’existe pas, ce n’était pas la mer à boire que de suivre quelques heures de catéchisme.
J’ai donc durant quelques années d’enfance, fréquenté les sacristies et églises. Cours de « cathé » une fois par semaine et messe le dimanche matin. Une carte de pointage permettait à l’abbé en soutane de vérifier que nous respections bien le contrat nous liant à l’Eglise. Quand nous allions à la messe, nous déposions notre carte dans une corbeille disposée à l’entrée et elle nous était rendue le jeudi suivant, jour du catéchisme. Durant les vacances, ceux qui partaient la faisaient tamponner par le curé du village de leur lieu de résidence et gare aux manquements ! L’examen final, la communion, pouvait être remis en cause par de trop nombreuses absences. Du moins était-ce la menace qui planait sur nos têtes de gamins, aux dires du curé.
Car la communion, c’était un peu comme Noël mais en plus grand. C'est-à-dire, un gueuleton avec toute la famille fringuée en milords et des cadeaux qui vous font une vie, du genre gourmette en or ou première montre avec bracelet en cuir. On était loin des trains électriques ou des soldats de plomb, nous devenions des bribes d’homme. Il ne s’agissait pas de rater ça pour quelques absences à la messe dominicale, c’eût été trop bête.
Jamais, même aujourd’hui, je n’ai regretté quoique ce soit. Cet enseignement religieux ne m’a jamais gêné, au contraire même, j’ai appris beaucoup de choses ; de l’histoire, de la géographie, j’ai lu des textes et croisé des auteurs, je comprends un peu mieux certaines œuvres d’art et les codes de la peinture des siècles passés. Tout cela participe à l’ensemble de mes connaissances, connaissances qui me servent beaucoup quand je fais des mots croisés ! Mon examen obtenu, je n’ai plus jamais remis les pieds dans une église si ce n’est qu’en tant que touriste admirant un chef d’œuvre architectural.
Pourtant, de ces courtes années où j’ai tâté de la religion, il me reste un souvenir fort. Pour pouvoir communier durant la messe, il fallait au préalable s’être confessé et cet acte, à l’époque, m’exaltait au point que j’en garde encore une trace vivace dans ma mémoire. On imagine qu’un gamin de dix ans n’a pas grand-chose à se faire pardonner par le Bon Dieu, péchés véniels au pire, sanctionnés par deux ou trois Ave Maria et un Notre Père. Mais je ne sais pas pourquoi, peut-être était-ce la solennité du lieu, l’odeur de l’encens, le mystère du confessionnal dans un coin sombre de l’église avec le prêtre planqué derrière la grille auquel il fallait déballer ses pensées les plus intimes, le soulagement d’être relâché avec une amende de principe. Sûrement un peu de tout ça mêlé, mais quand je ressortais de l’église, passant du sombre et frais au grand jour ensoleillé et chaud, je me sentais léger, léger, presque à m’envoler.
Parfois j’aimerais retrouver cette sensation de légèreté, ce grand nettoyage intérieur, cette purge spirituelle. Croire que je suis remis à neuf, que le compteur repart à zéro.