Ecrire une lettre, une seule, c'est s'offrir la point final, s'affranchir d'une vieille histoire.
La collection "Les Affranchis" fait donc cette demande à ses auteurs : "Ecrivez la lettre que vous n'avez jamais écrite."
Annie Ernaux a choisi d'écrire à cette soeur dont on lui a toujours tu l'existence.
Un dimanche de 1950, alors qu'elle joue dehors - elle a dix ans - elle surprend une conversation entre sa mère et une cliente. "Elle raconte qu'ils ont eu une autre fille que moi et qu'elle est morte de la diphtérie à six ans, avant la guerre, à Lillebonne. Elle décrit les peaux dans la gorge, l'étouffement. Elle dit : elle est morte comme une petite sainte. [...] elle dit de moi elle ne sait rien, on n'a pas voulu l'attrister. A la fin, elle dit de toi elle était plus gentille que celle-là. Celle-là, c'est moi." Plus jamais Annie Ernaux n'entendra ses parents parler de cette soeur inconnue, jamais elle n'osera poser de questions, ce secret restera entre eux, comme une ombre... Pourtant, ses parents, à présent décédés, reposent juste à côté de la petite tombe blanche de leur fille première née.
Que dire ? J'ai ressenti beaucoup d'émotions à lire ce texte, pour de multiples raisons, dont bon nombre de personnelles. Je sais, depuis La Place et Les Années ce qui me lie à l'auteure Annie Ernaux. A tant de décennies de distance, j'ai eu étrangement la même éducation, mon lot de secrets de famille à porter (pas tous encore élucidés, mais le seront-ils jamais ?) et je pense avoir trouvé le même refuge qu'elle (avec moins de talent bien sûr) dans l'écriture et la lecture... Mais passons sur ces échos en moi, car ce texte est avant tout un exemple dense et flagrant de son talent. Je l'ai lu d'une traite hier au soir.
Et cette collection de chez Nil me semble une belle idée. A suivre...
Deux autres lectures qui m'ont fait craquer... celle de Clara, ébranlée [clic]et celle de Cathulu [clic]