Da Brasilians, The Lanskies, The Dadds : la Basse-Normandie est plus riche que jamais en jeunes groupes pop et en formations rock. Panorama d’une région fertile et dynamique. (Article extrait des Inrockuptibles spécial Normandie en kiosque depuis le 30 mars)
Longtemps, quiconque souhaitait écouter des groupes de pop en Basse-Normandie devait se rendre à Saint-Lô. Préfecture du département de la Manche, cette cité de 20 000 habitants volait il y a cinq ans encore la vedette à sa voisine Caen, plus grande mais davantage ancrée dans une tradition rock, reggae ou electro. Mieux encore, Saint-Lô affichait l’un des plus forts taux de formations indie-pop au mètre carré du pays.
Leurs noms irradient régulièrement les colonnes de la presse musicale : Belone, The Lanskies, Da Brasilians, The Fuck, The Dadds, Pink Fish… Un dynamisme qu’explique le peu d’infrastructures culturelles de la ville, son isolement et son climat : pour vaincre l’ennui, les jeunes ont le choix entre monter à cheval – Saint-Lô est la capitale normande de l’équidé – et brancher une guitare. Ville stratégique des Allemands pendant l’Occupation, Saint-Lô est bombardé par les Américains dans la nuit du 6 au 7 juin 1944. Des tracts destinés à prévenir la population sont jetés du ciel la veille mais déviés par les vents. Les bombardements font plus d’un millier de victimes et détruisent la ville à 95 %.
Reconstruite après la guerre, Saint-Lô affiche aujourd’hui une architecture sans charme et un grand vide culturel. “Il suffit d’y passer une journée pour comprendre qu’il n’y a pas grand-chose d’autre à faire que de monter un groupe”, explique Benoît, bassiste des Da Brasilians, formation emblématique de la scène locale, désormais installée à Paris.
Le vieux haras de Saint-Lô a survécu aux bombes : ce sont dans ses murs que se situe la salle du Normandy. Oeuvrant, au début des années 90, pour la scène indie-rock via le festival disparu Les Remparts du Rock, l’association Les Enfants de la crise fait de Saint-Lô la capitale pop de la région. Et quand la municipalité décide en 1995 de faire du haras un Centre national du cirque, les groupes locaux se réunissent et improvisent une manifestation-concert à la mairie. Le Normandy reste donc une salle rock, dirigée par Nicolas d’Aprigny, ex-chanteur des Empty Bottles, ancien groupe culte de la ville. Outre la programmation pointue (April March, Scissor Sisters, Zita Swoon, Mando Diao, Au Revoir Simone, Gonzales ou Foals y sont passés sur sa scène), la salle favorise l’émergence d’une scène locale.
Les soirées Début de siècle s’y organisent chaque année : les groupes de Saint-Lô montent sur scène pour reprendre les titres des artistes qui les ont influencés. Des formations s’y mêlent et s’y créent. “Il y a un côté un peu chauvin ici, explique Nicolas d’Aprigny. Les gars de The Buzz sont influencés par les Lanskies. Ceux de The Fuck vont vous dire que le meilleur concert de leur vie fut celui des Da Brasilians.” Récemment, le jeune Ambroise Carrière fonde à Saint-Lô la structure Annoying Success Label pour développer l’accompagnement des groupes du coin. Son label soutient cinq groupes (Born In Alaska, Pink Fish, The Fuck, B-Ass et The Guest) et organise des concerts au V&B, un espace mi-magasin, mi-bar, dédié au vin et à la bière et situé à Agneaux, commune voisine de Saint-Lô.
Parallèlement au rayonnement de Saint-Lô, Caen dévoile un vrai dynamisme rock, dû notamment à la création d’une nouvelle salle de concerts, le Cargö. Ouverte en 2007, cette Smac (Scènes de musiques actuelles) complète le beau travail de son voisin, le Big Band Café d’Hérouville-Saint-Clair. La prochaine édition de son excellent festival annuel Beauregard réunira The Kooks, Gaëtan Roussel, Agnes Obel ou Kasabian.
Installé derrière la gare, le Cargö, dirigé par Christophe Moulin (directeur du festival electro Nördik Impakt), s’inscrit dans un programme global de réaménagement du quartier de la Presqu’île : la salle se situe entre le bâtiment des beaux-arts, les Ateliers intermédiaires (réunissant des collectifs de théâtre) et La Fermeture Eclair, confiée à l’association artistique Amavada et qui devrait ouvrir ses portes début avril. Outre la diffusion de concerts, le Cargö accompagne de jeunes groupes locaux, notamment via les studios d’enregistrement que la Smac met à disposition pour eux 24 heures sur 24. Damien Maurice, responsable de cette activité, résume :
“La salle mythique du Georges- Brassens a fermé en 1997. Il a fallu attendre dix ans pour que le Cargö ouvre ses portes. La Smac a permis à la scène locale de se développer. En Basse-Normandie, on référence 450 groupes avec une vraie activité de diffusion, dont 300 sur l’agglomération caennaise.”
Parmi eux, les noms de Concrete Knives, The Lanskies, Chocolate Donuts, Macadam Club, The Shellys ou Manatee sont à retenir. Ils succèdent à Gablé et à Orelsan, des enfants du pays autrefois soutenus par le Cargö, qui se sont depuis offert des carrières au niveau national et à l’étranger. De nombreuses associations, comme Freaky Tunes, AMC & Les Tontons tourneurs, Buzz Production, De l’Ouïe dans l’Air ou même la drôlement nommée Pommeau-Teurgoule-Débarquement complètent ce travail de dynamitage de la scène locale.
L’une d’entre elles, Happy Daymon, avait eu la bonne idée de fonder une chorale réunissant sept groupes de Caen : We Are Pop.
We are Pop – La Chorale Pop caennaise from Pier pow on Vimeo.
Si, la chorale de plus de trente musiciens n’existe plus, la ville de Caen a devant elle de belles soirées sonores. Les concerts en appartement s’y multiplient, et les jeunes pousses y préparent leur conquête du monde : pas moins de quatre groupes bas-normands égayèrent la dernière affiche des Trans Musicales de Rennes. Quant au prix Mediator, concours organisé cette année par Ouest France et auquel ont participé 625 groupes de l’Ouest français, il confirmait la tendance. Trois des dix lauréats figuraient parmi les groupes de la maison Cargö : Born In Alaska, Chocolate Donuts et Concrete Knives.
Article extrait du numéro des Inrocks spécial Normandie du 30 mars.