Les moissons étaient finies le fourrage rentré dans le village calme. Seul le va-et-vient des uniformes kaki rappelait que nous étions en temps de guerre…
Comme d’habitude Antoine venait de franchir le pont de Rochebois sur son vélo. L’officier d’un large mouvement du bras, avait une fois encore ordonné que l’on laisse passer cet abruti de français, qui se rendait au bistrot…
Pourtant, Antoine aurait été en bien fâcheuse posture, si on avait eu l’idée de fouiller ses sacoches, remplies ce jour là de grenades volées à l’occupant…
Mais Antoine n’écoutant que son courage_ et obéissant les yeux fermés aux ordres émanant du « Bordelais », allait rejoindre ses collègues du réseau « Pegase » au café, afin d’élaborer le plan d’un sabotage d’envergure à ce qu’on lui avait dit au nom de code évocateur « Mission brasier »…
Comme à son habitude, il pénétra dans le troquet, se rendit dans l’arrière-salle où se trouvaient déjà Lucien, le curé, et l’adjoint au maire…
Antoine tendit son paquet de cigarettes, Lucien en sortit une fois encore un petit rouleau de papier et demanda à Antoine : « Tu maîtrise bien les explosifs ? »
« Je me défends » Répondis Antoine…
« Tu passeras cet après-midi chez le « nazi », récupérer 4 pains de TNT, des détonateurs et les mèches lentes… C’est pour cette nuit… »
« On doit faire quoi ? »
« Un train de marchandises doit arriver en gare de Bruzailles à 20h31, il est censé contenir du matériel médical. En fait, les quatre wagons du centre sont bourrés d’armes, de munitions et de lance-flammes… Il faut tout faire sauter… »
« Les grenades c’est pourquoi faire ? Créer une diversion ? »
« Non j’y venais… Le wagon de tête sera occupé par des militaires armés jusqu’aux dents, chargés de protéger le convoi jusqu’en gare de Bordeaux Fernand (L’adjoint au Maire) se chargera d’eux, pendant que toi Antoine tu poseras les charges au milieu des caisses d’armes … Tout doit être réglé en dix minutes…Après il sera trop tard : une fois le feu d’artifice commencé, la garnison postée à proximité sera sur votre dos en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire…»
« Vous devrez synchroniser vos montres, tout doit être calculé… Bonne chance les gars et vive la France ! »
« Vive la France ! » Reprirent Antoine et Fernand…
« Au fait, ne vous faites pas prendre… » Lucien venait de leur tendre de petites capsules de cyanure…
Ils comprirent tout de suite Ces capsules devraient être placées sous la langue, en cas de problème il suffisait de croquer dedans… La mort était instantanée et sans douleur…
Vers 16h00 nos amis se trouvaient chez le « nazi », afin de prendre livraison, et une collation… La dernière peut-être…
Antoine pour la première fois avait peur. Il demanda au « nazi » de lui donner une feuille de papier, qu’il griffona à la hâte, et ceci fait il la lui remit… « En cas de coup dur, porte-la à ma mère… »
« Pas de souci, mais tout se passera bien ! »
En toute discrétion, en passant par les bois qui longeaient la voie ferrée, le commando se dirigea vers la gare… Seules les lueurs des lampes à pétrole illuminaient les wagons.Ca et là fusaient des ordres en Allemand et quelques soldats patrouillaient…
Dans cette semi-pénombre Antoine et Fernand venaient de se faufiler et déjà se retrouvaient à côté des voitures…
Antoine s’allongea à même les rails, son matériel à la main, sous le train… Fernand quant à lui se dirigeait à pas de loup vers la voiture de tête, et les quelques militaires en faction devant… Un jeu d’enfant pensa t-il, mais il me faudra en descendre un ou deux au révolver…
Antoine restait tapi, un soldat venant de se planter là… Le temps pressait, de plus, impossible de prévenir Fernand qui allait d’une minute à l’autre lancer ses grenades dans le wagon et neutraliser ainsi l’ensemble des gardiens… Il lui fallait absolument placer ses explosifs !!!
Tout à coup une voix se fit entendre « Komm schnnell !!! » Puis le zip d’une braguette…
En fait le soldat était descendu pour satisfaire à un besoin pressant et allait rejoindre sa voiture…
Antoine fit alors basculer la lourde gâche de la porte en fer et pénétra à l’intérieur du wagon. Il plaça ses charges activa ses détonateurs, et alluma les mèches lentes…
Quelques coups de feu, des explosions, des cris venaient du bout du train, Fernand avait dû faire son boulot… Un grand silence suivit, Antoine en profita pour détaler du plus vite qu’il put, ne prenant pas le temps d’attendre son compagnon. C’était la règle du chacun pour soi lors des missions de sabotages… A peine avait-il atteint le chemin, que le ciel s’embrasa, et qu’un terrible boum se fit entendre, des morceaux de métal retombaient çà et là sur le sol… Il ne restait pratiquement plus rien du train…
Il courut jusqu’à épuisement avant d’arriver enfin devant la porte de sa petite maison de pierre…
Dès le lendemain, Antoine se rendait au café pour ne pas éveiller les soupçons en changeant ses habitudes…
En arrivant au village il vit l’officier de la gestapo, mains sur les hanches qui se tenait devant une voiture blindée… Sur le capot, entassés comme de vulgaires ballots de linge sale les corps ensanglantés de 4 hommes, tués pour l’exemple parmi la population du village de Bruzailles, pour répondre à l’acte terroriste perpétré la nuit précédente…
Le militaire, sourire aux lèvres dans un Français parfait, mais avec un fort accent germanique se vantait d’avoir tué « ceux là » non loin de la gare, persuadé selon lui qu’il s’agissait de maquisards, peut-être même des responsables de l’explosion du train…
« Tu en reconnais un Antoine dit alors l’officier ? »
« Non » Répondit-il sans broncher, heureux que parmi eux il n’y ait pas Fernand, auquel cas le village aurait peut-être été mis à feu et à sang…
La « mission Brasier » avait été une réussite, quatre innocents pourtant avaient payé de leur vie…