La sémiologie de la publicité (extrait 3) par Odilon Cabat
Les Trois Fonctions de la Marque.
La marque est appliquée à un produit, étant déposée dans une classe de produits et donc dans un champ de production
Le signe qui la constitue est défini par la loi comme distinctif, c’est à dire comme différent de tous les autres, notamment de ceux avec qui elle est en concurrence économique, en conflit stratégique et donc dans le champ d’une guerre commerciale ou économique.
Enfin elle est protégée souverainement en tant que sceau, cachet, ou encore drapeau si c’est une enseigne, et donc dans le champ du patrimoine symbolique de l’Etat.
Appliquée (à une production), distinguée (des concurrents), protégée par l’Etat, elle présente trois caractères où l’on reconnaît facilement la rémanence des trois fonctions de l’idéologie indo européenne et dont il faut dire deux mots.
La Marque et l'Idéologie Trifonctionnelle
On se rappelle que Georges Dumézil a le premier montré que chez tous les peuples indo-européens, les mythes, les religions, les dieux, les structures sociales, les institutions, le vocabulaire et même les productions littéraires, étaient organisés sur le schéma des trois fonctions de la souveraineté, de la guerre et de la production.
A la fonction de souveraineté revient le magico-religieux, le juridique et le philosophique. La fonction de souveraineté est fonction "liante", "unifiante" : Mitra-Varuna, Zeus sont des dieux lieurs, des dieux du contrats (même l'arme de Zeus, la foudre, est liante, car tétanisante). La seconde fonction a en charge la violence, principalement la force guerrière et les activités du "corps". La troisième fonction est celle des richesses, de la production et de la reproduction, des forces génésiques.
Mais il convient de faire une remarque sur la fonction guerrière. Car en regardant les choses d'un peu plus près, on se rend compte que la seule idée de force violente n'est pas satisfaisante pour la caractériser. Non seulement parce que les autres fonctions ont aussi des forces à leur disposition, forces magiques et liantes de la souveraineté, force productives et reproductives de la troisième fonction, mais surtout parce qu'il semble bien qu'à la fonction guerrière revienne en fait, plus particulièrement, la désactivation de la force, sa canalisation ; comme en témoigne le chaudron des mythes où plonge le guerrier afin d'y neutraliser son surplus de violence
En fait la force brute relève des forces productives elles-mêmes et donc de la troisième fonction. Tandis que la fonction guerrière est plus concernée par l'appropriation de la force, sa mise en régulation logistique. Pour le dire simplement, la force guerrière est ce qui "militarise" l'anarchie de production, qui encadre le dérèglement des forces productive.
Il revient donc plus proprement à la fonction guerrière, non pas de produire de la force mais de la gérer. Double gestion de cuirassage et de "vectorisation" des forces productives, figurée comme on sait, par la lance et le bouclier.
L'appropriation de la force par un corps est le sens véritable de la fonction guerrière. C'est pourquoi non seulement le corps, mais tout ce qui met de la force dans un corps (et donc notamment l'entraînement sportif) relève de la seconde fonction et il est intéressant de noter que Mars, dieu de la fonction guerrière est toujours emblématisé par des objets creux, vides, mais forts (cuirasse, casque, heaume) : des corps-cadres. Il y aurait, à vrai dire, beaucoup à ajouter sur la symbolique de la cavité ou du "creux" dans la fonction guerrière, mais on en n'a pas la place ici.
Dans l'entreprise moderne - car il n'y aucune raison de reléguer l'usage des trois fonctions aux temps archaïques -, le cadre dynamique (dynamique veut dire "fort" et "cadre" désigne un corps creux) relève de la seconde fonction, il "encadre" les forces productives, leur donnant directives et direction. La force guerrière ("dynamis"), celle du "cadre", est intrinsèquement "morale" et "psychologique", comme le furor des romains.
C'est Platon qui nous met sur la voie de cette interprétation. La Cité de la République est, en effet, divisée selon l'idéologie trifonctionnelle puisque composée de trois classes ; les rois philosophes de la fonction de souveraineté, les gardiens, qui sont les guerriers et enfin les artisans-producteurs.
Si la vertu des rois philosophes est la "sagesse" et si celle des producteurs est la "tempérance", c'est à dire l'économie, il est significatif que celle des guerriers dont le nom, "gardiens" témoigne de leur rôle d'encadrement, soit la "prudence », vertu protectrice par excellence et non de débordement violent. Le débordement vient des producteurs qui ont l'accumulation et la richesse pour attributs, ainsi que le mauvais goût d'ailleurs. Il est significatif également que l'ascétisme soit un caractère et un goût du guerrier.
Ainsi, si elle est une utopie politique, la cité platonicienne est, en revanche, une bonne description de l'entreprise. Inversement, du reste, toute entreprise, comme ladite cité, est une société utopique.
De ce rôle particulier de la fonction guerrière, pour passer de l'entreprise à sa production et nous rapprocher de la marque, on en a une bonne illustration avec le cycle de l'objet. L'objet industriel passe en effet par trois phases qui s'interprètent très bien dans les termes des trois fonctions.
Il est d'abord un agrégat de fonctionnalités diverses, à la fois exubérantes et apparentes. Au cours de cette phase "rustique", l'objet appartient à la fonction de production : il se signifie "producteur".
Ensuite, ses fonctionnalités vont à la fois converger et s'occulter, se "camoufler", étant entendu que le camouflage est, avec la signalétique (les transmissions) est un des aspects de la fonction guerrière. Dans cette seconde phase, qui correspond au "stylisme" ou au "design", l'objet est alors caréné, cuirassé, aérodynamisé, vectorisé. Il se signifie soumis à des règles d'obéissance et de rigueur.
Enfin, la troisième phase est celle de la mise en exergue du "reste figuratif" et donc de l'expression d'un "pouvoir" magico-religieux, l'image d'un concept idéologique. Elle est rendue possible ou évidente du fait que le carénage guerrier a effectué une dissociation entre la forme (la morphê) de protection guerrière et la fonction (l'eidos de production). Paradoxalement la phase guerrière, la phase "aérodynamique" ruine le mythe du "fonctionnalisme". Entre la forme et la fonction séparées maintenant par la coque de protection guerrière, il reste une place à prendre pour la "figuration" ou si l'on préfère la "signification". Sur l'égide d'Athéna vient la tête de Méduse, qui figure le pouvoir de protection et de pétrification de la ville. Place que la "souveraineté" de la marque, à l'instar de celle de la ville ou de la nation, peut occuper.
Si ces trois phases constituent un cycle théorique, il arrive que les objets industriels choisissent de se fixer sur l'une d'entre elles à titre de créneau de "positionnement". Le marché des voitures en donne un bon exemple.
Ainsi, la calandre de la Deux-Chevaux reste un grillage fonctionnel d'aération dans lequel tourne dangereusement une excroissance de l'arbre du moteur, mais la Studbacker ou la carrosserie de la Porsche sont lisses de toutes les aspérités, alors que la calandre de la Rolls en vient à représenter un temple grec, surmonté d'une déesse.
Dans la première, toutes l'anarchie "centrifuge" et dangereuse des forces hétérogènes et multiples de production, dans les secondes toute la sobriété prudente du carénage "linéaire" et vectoriel de la guerre (le "camouflage" des fonctions qui est aussi celui des "significations"), dans la troisième l'image olympienne et "centripète" d'un fronton architectural.
Dans Le Protagoras le courage est défini non seulement comme une science - sachant que le savoir et la technique favorisent l’acte courageux, alors que l’absence de connaissance conduit à des actes téméraires et fous : la science de ce qu’il faut craindre et ne pas craindre -mais en outre Socrate le définit très exactement comme la Science du But.
Or la science du but n’est autre que la prévoyance (la stratégie). La prévoyance en latin se dit prudentia.
Ainsi la définition socratique du courage, son contenu propre, n’est autre que la Prudence, vertu du guerrier.