La Chine, deuxième puissance économique mondiale depuis mars 2011, tel est en principe l’événement majeur de notre temps. Mais en est-on certain ? Ce classement tient, en grande partie, à la démographie : par habitant, les Chinois restent bien mal classés, avec un revenu moyen de l’ordre de 500 US Dollars. Une croissance de 10% par an, depuis trente ans, est par contre un succès plus remarquable, unique dans l’histoire par sa continuité même. Ce succès est mitigé par les caractéristiques de ce développement fondé, pour l’essentiel, sur la mobilisation de masse de travailleurs exploités, mis au service du consommateur occidental, et n’utilisant que des techniques conçues ailleurs qu’en Chine.
D’autres signes sont plus positifs. Les entrepreneurs chinois sont en voie de découvrir les vertus de la propriété intellectuelle et de l’innovation technique, moins sous la pression des Occidentaux et de l’Organisation mondiale du commerce que par suite de la concurrence entre sociétés chinoises sur le marché chinois. Pour se distinguer du voisin chinois qui fabrique comme vous, en copiant les mêmes procédés imités de l’Occident, l’entrepreneur chinois découvre que breveter une marque et améliorer les procédés de fabrication confèrent un avantage comparatif, d’abord sur le marché chinois, puis sur le marché mondial. Le cycle vertueux est donc, peut-être, enclenché.
Mais existe-t-il une seule marque chinoise reconnue mondialement ? Les économistes chinois avouent eux-mêmes que non, c’est prématuré. (Lenovo pourrait être une exception mais ce n’est qu’une fabrique d’anciens ordinateurs IBM). Existe-t-il une production qui ne serait que chinoise, sans équivalent occidental ? Après s’être creusé la tête, les responsables du Parc industriel de l’Université Tsinghua à Pékin, la pointe de la recherche en ingénierie, m’ont cité Tongfang, un système de contrôle douanier par rayons X à faible densité, commercialisé dans quarante pays. On ne s’étonnera pas qu’un Etat policier réussisse une percée sur le marché des contrôles.
Ce qui conduit à une interrogation plus générale sur la possibilité d’innover dans une société où étudiants et chercheurs sont en permanence contrôlés par la police politique. Innover suppose parfois des pensées non conformistes. Un enseignant de l’Académie des Beaux-Arts de Hangzhou, qui fut dix ans professeur de design industriel en France, m’a fait observer que ses élèves chinois étaient “un peu coincés”, et que leurs travaux les plus audacieux restaient cachés dans leurs tiroirs. “Coincés” car prudents !
La contribution de la Chine au monde reste certainement handicapée par son régime autoritaire : l’innovation véritable, celle qui change la vie, suppose une évolution politique qui n’est toujours pas à l’ordre du jour du Parti communiste chinois.