L’ombre et la lumière

Par Linh

L’exil est un espace entre-deux

Entre ici et ailleurs, entre avant et maintenant, entre réel et imaginaire

L’exilée, incapable de se détacher de la terre natale et incapable de se soumettre entièrement à la culture de l’autre

vit dans la nostalgie d’un pays qu’elle n’a pas connu et d’une langue qu’elle n’a jamais parlé.

inspiré par A. Klimkiewiscz

En faisant mes premiers pas incertains sur une terre familière mais inconnue, j’ai été aimantée par les marchés. Zones d’ombre et de fraîcheur au milieu de la frénésie urbaine, les marchés de Saigon portent le nom de leur quartier, sont des lieux de rencontres, rythment la journée des commerçants et des clients, offrent une restauration permanente, dévoilent leurs artisans de jour comme de nuit, font éclore en ville les fruits de chaque nouvelle saison, répondent à mon avidité de toucher un Vietnam suranné. Dans ces lieux de profusion, les femmes se croisent sans différence d’âge, d’origine ou de pensées. Dans ces lieux de ravitaillement, transpire la persistance d’un mode de vie où la cuisine garde encore une place primordiale et dans les commentaires et les négociations, j’y retrouve l’exigence que mettait ma grand-mère à choisir ses aliments.

Errant sans but véritable au milieu de ces marchés, parfois aux heures les plus creuses, celles où les néons sont éteints et les étals fermés ou vidés, j’ai été aimantée par la lumière qui tentait d’y entrer. Plonger dans l’ombre pour mieux entrevoir la lumière, mon parcours d’exilée. De descendante d’exilés. Le passé que je n’ai pas connu mais dont j’hérite me maintient dans une nostalgie à travers laquelle je perçois une beauté sans pouvoir la nommer.

Et ainsi, les images d’aujourd’hui me renvoient à hier, et le réel me renvoie à mon imaginaire. Attirée par un vide qui ne demande qu’à se remplir, mon regard part à la recherche de ces détails qui pourraient me servir de point de départ pour écrire une nouvelle histoire. Et au milieu d’un pays peuplé de 86 millions d’habitants, je capture cet entre-deux qui donne de la substance à mes croyances.

Face à ce vide, je me dis que rien n’est fini ou que tout peut recommencer. Les marchés de Saigon regorgent de recoins qui me maintiennent dans mon imaginaire. Partout mon regard s’arrête sur ce que je ne peux dater, sur ce que je ne peux relier au présent, sur ce qui pourrait sembler n’avoir de sens pour personne si ce n’est pour moi. J’entame avec les marchés de la ville un dialogue de sourd où je trouve de la vie pendant leur sommeil, où je vois de la lumière dans leurs lieux ombragés, créant ainsi un espace-temps où les incohérences de l’histoire trouvent enfin du sens.

Voyant dans une certaine forme de vide la beauté telle qu’elle ne m’a jamais été présentée, m’extasiant sur une simplicité qu’on pourrait appeler dénuement, je me remémore les paroles d’un maître bouddhiste « la vacuité est Illumination ».


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