La coalition appuye une tentative de coup d’État, en faveur duquel elle a pris parti. L’intervention en Libye constitue incontestablement un acte de guerre, illégal, envers le gouvernement libyen. C’est aussi une ingérence patente dont les motivations, évidemment liée à la question pétrolière et gazière, s’inscrivent sans ambiguïté aucune dans le cadre d’une politique néocoloniale.
Comment faut-il comprendre ce qui est en train de se passer en Lybie ? Comment expliquer cette intervention onusienne, qui prend une tournure surréaliste et crée un précédent lourd de conséquence pour le devenir de la « gouvernance » à l’échelle mondiale ?
Qu’est-ce que la « gouvernance » ?
C’est cette tendance de plus en plus marquée, dans le chef des puissances, à intervenir là où bon leur semble, sans plus tenir compte des règles précises du droit international, dans le but, officiellement, de gérer une crise qualifiée « d’humanitaire », sous le prétexte d’agir de manière rapide et pratique.
Cette tendance s’est développée après l’effondrement de l’Union soviétique et la disparition de la logique bipolaire qui régissait les relations internationales, chacune des deux superpuissances, Etats-Unis et URSS, protégeant ses alliés de l’ingérence de l’adversaire. Ainsi, depuis le début des années 1990’, même si la Russie et la Chine tiennent à leur pré carré (à l’échelle régionale du moins), les Etats-Unis et leurs alliés européens, à travers l’alliance militaire de l’OTAN, ont commencé à dominer la scène internationale et à intervenir tous azimuts, là où leurs intérêts les y portent, et sans nécessairement tenir compte du droit et des prérogatives de l’ONU : en Afghanistan, en Irak, au Kosovo… et à présent en Libye.
Dans le cas de la Libye, c’est la France de Nicolas Sarkozy, nouvel allié privilégié de Washington et dès lors soutenu par elle en contrepartie, qui a été le promoteur de l’intervention : après avoir un peu trop rapidement lâché son ancien allié, Mouammar Kadhafi, et reconnu les rebelles comme nouveau gouvernement légal, Paris s’est retrouvée Gros-Jean comme devant lorsque Kadhafi a repris la main ; d’où cet acharnement d’Alain Juppé, le ministre des Affaires étrangères français, à arracher au Conseil de Sécurité une résolution autorisant l’intervention en Libye.
Pour ce faire, une pirouette rhétorique, bien que cousue de fil blanc, a été exécutée : la rébellion, armée, qui tente de renverser le régime de Kadhafi, rébellion partisane (la « révolution » libyenne est en réalité une guerre civile entre les clans tribaux de la région de l’est, Benghazi et Tobrouk, et la majorité des Libyens, favorables à Tripoli), s’est comme par magie transformée en une « révolte de civils sans défense », en proie à la vengeance meurtrière du chef de l’État libyen.
C’était en effet la condition sine qua non à la légalité d’une intervention onusienne dans les affaires intérieures libyennes : le principe fondamental qui régit les rapports entre les État consiste en la non-ingérence ; chaque État est souverain à l’intérieur de ses frontières et seul le gouvernement, qu’il soit démocratique ou pas, a la légitimité pour user de la force et maintenir l’ordre. Toutefois, le Conseil de Sécurité de l’ONU peut autoriser une intervention, mais dans le seul cas où serait en cours un génocide ou un crime contre la population civile.
De là, le discours martelé par la France et partout redit : « nous intervenons pour protéger des civils, avec l’accord de la communauté internationale, y compris celui des nations arabes, et dans le cadre d’un mandat de l’ONU ».
Mais de quelle « communauté internationale » s’agit-il, si non du petit club des États occidentaux (et encore, pas de tous) ? En effet, la résolution n’a été avalisée ni par l’Inde, ni par la Chine, ni par la Russie, ni par le Brésil. Elle est critiquée par la Turquie et même par l’Allemagne, qui a décidé de suspendre la participation de sa marine aux manœuvres de l’OTAN en Méditerranée, pour être certaine de ne pas devoir intervenir dans l’affaire en cas d’extension du conflit. Quant aux nations arabes, elles se résument à trois monarchies, depuis toujours gagnées aux intérêts états-uniens : l’Arabie saoudite et deux petits États, le Qatar et les Émirats arabes unis, lesquels, paradoxalement, laissent leur voisin, le roi du Bahreïn, massacrer son peuple en révolte, qui est, lui, réellement sans défense (mieux, l’Arabie saoudite a envoyé des troupes en renfort au monarque bahreïni).
En outre, ce dont aucun média n'a fait écho, plusieurs des leaders des rebelles ne sont pas à proprement parler des démocrates « épris de liberté »...
À commencer par le président du « Conseil national de Transition » qui ambitionne de remplacer le gouvernement Kadhafi, lequel n'est autre que Mustapha Mohammed Abud al-Jalil, ancien ministre de la justice de Kadhafi, nommé à ce poste car il appartient à la même tribu que l'épouse du dirigeant libyen.
Mustapha Abud al-Jalil
(en compagnie du Français Bernard-Henri Lévy, qui a apporté son soutien aux rebelles)
En décembre 2010, Amnesty International avait dénoncé Mustapha Abud al-Jalil comme l'un « des plus effroyables responsables de violations des droits humains en Afrique du nord ».
Autre exemple éloquent parmi les « démocrates » et « défenseurs des Droits de l'Homme » soutenus par la coalition, le général Abdul Fatah Younis, nommé à la tête des « forces armées "civiles" » rebelles.
Ancien ministre de l’intérieur libyen, Abdul Fatah Younis a également dirigé la police politique. Il était donc en charge de la répression et des tortures exercées sur les opposants au régime du colonel Kadhafi, dont il semble qu'il ait, en fin de compte, décidé de prendre le trône...
Sont-ce là les civils « épris de liberté » que la coalition est sensée protéger?
Enfin, le mandat de l’ONU. A l’origine, il s’agissait de mettre en place une zone d’exclusion aérienne. Par la suite, la France a réussi à imposer un texte autorisant les États à « tout mettre en œuvre » pour protéger les civils, contenu déjà plus vague et propice à l’interprétation…
Néanmoins, l’objectif est demeuré précis : la protection des civils.
Pourtant, à peine la résolution votée, la France s’est empressée d’engager le combat contre les forces armées libyennes (l’armée régulière obéissant au gouvernement légitime) et a commencé à détruire ses infrastructures. Des missiles, qui ont fait de nombreuses victimes civiles, ont été tirés par les Britanniques et les États-uniens depuis des navires ; certains visaient directement la résidence du chef de l’État libyen ( !).
Sans complexe, devant « l’incapacité des rebelles à profiter de l’aide de la coalition pour remporter la victoire » (sic), certaines chancelleries ont même proposé de « fournir des armes lourdes aux insurgés » (sic), car « il est évident que les populations civiles ne pourront être en sécurité qu’une fois Kadhafi parti » (sic).
Il est en outre désormais bien établi que la coalition « internationale » a dépêché aux rebelles des conseillers, qui coordonnent les opérations militaires et les mouvements des troupes des insurgés et les frappes des forces franco-britannico-états-uniennes. Autrement dit, les frappes de cette coalition, non seulement, ont enlevé la maîtrise de l’air au gouvernement libyen mais, surtout, ont objectivement et délibérément soutenu la progression des rebelles. La coalition a fourni une force aérienne aux insurgés.
L’objectif poursuivi, comme on l’aura compris, n’est donc nullement la protection des civils, mais le renversement du gouvernement libyen et son remplacement par les leaders de la rébellion.
En d’autres termes, cette coalition est en train d’appuyer une tentative de coup d’État, en faveur duquel elle a pris parti.
L’intervention en Libye constitue incontestablement un acte de guerre, illégal, envers le gouvernement libyen.
C’est aussi une ingérence patente dont les motivations, évidemment liée à la question pétrolière et gazière, s’inscrivent sans ambiguïté aucune dans le cadre d’une politique néocoloniale qui crie son nom.
En cela, la résolution 1973 et l’intervention en Libye constituent un précédent dangereux pour la souveraineté des peuples : ce précédent pourrait être le justificatif et le premier acte d’une longue liste d’interventions à venir, au Venezuela, en Amérique latine, en Afrique, en Iran… Partout où le commande l’intérêt des puissances, la moindre opposition au gouvernement en place, même extrêmement minoritaire, voire organisée et téléguidée depuis l’étranger (comme ce fut le cas lors des célèbres « révolutions colorées »), pourrait être instrumentalisée de sorte à justifier une intervention.
En Iran, par exemple, la forte minorité d’opposants au gouvernement du président Ahmadinejad, si répression des manifestations il y avait à nouveau, pourrait servir de prétexte à une intervention de soutien à la population civile, exactement comme en Libye. La livraison d’armes à l’opposition serait alors envisageable, de sorte à renverser le gouvernement iranien (au risque de passer par une période de guerre civile et de dévaster le pays).
La question pour l’avenir : après l’Irak, après la Libye… à qui le tour ?