Variation des personnages de Lawrence Durrell dans Le Quatuor d'Alexandrie, Prenons Justine. Dans le premier livre (Justine, justement), Darley, le narrateur, racontait leur passion mutuelle. Il la peignait à la recherche de l'amour, de la satisfaction sexuelle, sacrifiant tout à ça.
Dans Balthasar, deuxième livre, le même Darley découvrait que Justine aimait en réalité Pursewarden, un écrivain comme lui, mais son contraire en tout. Lui-même, Darley, n'aurait été qu'un paravent à la jalousie du mari.
Dans Montolive, on apprend que Justine en fait a un but tout autre que ceux que les lecteurs avaient pu imaginer jusque là. Elle complote avec son mari Nessim. Lui, copte richissime, a établi un trafic d'armes avec les juifs établis en Palestine pour secouer la tutelle anglaise et fonder un pays. Il l’a conquise en le lui avouant. Le but est de créer des zones minoritaires au Moyen-Orient qui s'opposeront à l'hégémonie arabe et islamiste. Elle, qui est juive, le seconde – et devient peu à peu le cerveau du couple.
Elle séduit Pursewarden, attaché à l'ambassade, parce qu'il suppute quelque chose sur le complot. La passion que Justine feint pour lui n'est qu'un moyen de le manipuler.
Même chose pour l'Anglais Darley. Sa compagne à lui, Mélissa a été entretenue par un homme impliqué dans le trafic d'armes. Si celui-ci a fait des confidences à sa maîtresse, qu'elles ont été répétées à Darley, il devient dangereux. L'amour de Justine a donc pour but de le sonder, de le contrôler.
Dans la foulée, on apprend incidemment que les journaux intimes qu'elle a donnés à Darley, et sur lesquels il s'est notamment basé pour écrire Justine sont des faux. Ce qui donne une tout autre résonance au premier livre.
Portrait très différent, donc, de l'héroïne principale du roman, à travers les livres qui le composent. Proust faisait un peu la même chose. Il exposait une première vision d’un personnage, avant de la miner peu à peu, puis de conclure, dans un troisième mouvement, que son impression originelle n’était peut-être pas si fausse.
Chez Durrell, le jeu se termine de manière un peu différente. Les portraits subjectifs dans les deux premiers livres semblent remplacés par une description objective dans le troisième, puisque celui-ci est raconté par un narrateur omniscient.
Mais l’oeuvre n'est pas encore terminée. On verra ce qu'il en est dans le quatrième livre, Cléa.